Fermé depuis 10 mois, Le Tango pourrait mettre la clef sous la porte. Ce haut lieu des nuits queers à Paris est central pour la communauté LGBT+. Les habitués expliquent pourquoi.
"Il y a des hommes qui entraient hétérosexuels au Tango, ils en sortaient, ils étaient bi !", s'amuse José, un habitué de la boîte de nuit. Sans trop se mouiller, on peut dire que chaque personne qui a passé quelques nuits dans le Marais est allé au Tango. Mais ce haut lieu de la nuit LGBT+ parisienne est fermé depuis le début de la crise sanitaire.
Et après dix mois de fermeture, cette boîte de nuit mythique risque de ne pas relever son rideau de fer, comme le révélait TÊTU la semaine dernière. Les propriétaires, endettés, ont mis en vente le lieu. Depuis, de nombreuses personnes, notamment LGBT+, ont appelé à sauver ce lieu mythique. Ils racontent à TÊTU pourquoi ce dancing compte tant pour eux.
Un rite de passage
C'est au Tango qu'Andy a appris qu'il était gay. Arrivé de banlieue, il y a une dizaine d'année, il traînait dans les rues du Marais, le vendredi soir, alors qu'il se posait des questions. Pour autant, il n'osait pas entrer dans un bar et s'accouder au comptoir. "Je faisais semblant de lire des messages sur mon téléphone, dans un angle de rue. Un groupe de garçons a commencé à me parler et à me proposer d'aller au Tango", raconte-t-il au téléphone. "Une fois à l'intérieur, c'était magique : des garçons s'embrassaient, certains étaient travestis, ils dansaient... Tout un monde s'offrait à moi !".
Quand il est entré au Tango, Adrien pensait que c'était "la grosse boîte parisienne, alors qu'il y a un côté pas très sophistiqué". Il se souvient de soirées déchainées à chanter des chansons de la pop culture "en version originale et pas remixée". "Quand tu étais sympa et que tu savais t'y prendre, tu pouvais aller voir le DJ pour qu'il passe Alizée ou Lorie", souffle-t-il.
Sans vraiment comprendre ce que cela signifie, toutes les personnes interrogées qualifient le Tango de "boîte de province". "Un endroit sympa où personne se prend la tête et où on peut discuter avec des gens sans être jugé", selon Ghislain. Lorsqu'il est à Paris, c'est un passage obligé pour Matthieu Gatipon-Bachette, président de Couleurs Gaies, une asso LGBT+ à Metz. "Il y a un petit côté cheap qui donne sa convivialité au lieu. Tout le monde est sympa, c'est une valeur sure assez rare à Paris !", s'amuse-t-il.
Typiquement gay
Surtout, Le Tango, c'est un lieu typique de la culture gay : un melting pot assez joyeux et un défouloir. "Je vais au Tango depuis 10 ou 15 ans, notamment aux soirées de Madame Hervé (Latapie, l'organisateur·rice des événements, ndlr)", raconte Ghislain. "Il y a un côté 'venez comme vous êtes' très chaleureux et agréable. Ce n'est pas une boîte m'as-tu-vu comme il peut y en avoir dans le Marais", dit-il.
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Surtout, la particularité du Tango est d'accueillir tout le monde : des bears aux twinks, des créatifs parisiens aux étudiants Erasmus, en passant évidemment par les drag queens, les lesbiennes ou encore les "filles à pédés"... "On n'a pas besoin d'être apprêté pour venir au Tango. On y croise des gens qui sortent du bureau en costume-cravate comme des personnes qui font attention à leur look", remarque Raphaël. "Le Tango m'a permis de m'assumer en tant que gay, parce que je savais que je serai bien reçu. Sur Grindr, on me trouve trop vieux, trop mal foutu, mes photos ne sont pas assez sexy... Ici, je me suis fait de véritables amis", appuie Will, cinquantenaire.
Le Tango a été un véritable foyer pour Thomas*. "Il faut souligner la dimension inclusive de Tango. J'ai discuté avec le patron et je lui ai dit que j'aimerais bien savoir danser mais que je ne pouvais pas à cause de mon handicap auditif, il m'a tout de suite mis en contact avec un club de danse social. Dans d'autres boîtes de danse, je suis regardé de haut. Au Tango, on vient car on aime danser...", insiste-t-il.
Des danses à deux
Le Tango ne porte pas ce nom par hasard. En première partie de soirée, des danses à deux sont proposées. Le parquet est soigneusement entretenu pour pouvoir danser et gare à ceux qui oseraient apporter leur verre sur la piste : Madame Hervé veille au grain avec son autorité légendaire. "Pour moi, le Tango, c'est une deuxième maison. C'est le seul endroit où tu peux danser avec un autre homme sans recevoir des œillades. Il y a vraiment une vision dégenrée du couple où une femme peut mener la danse sans que cela pose problème", pointe José Rodriguez, ancien président de Rainbow Evidanse, une asso de danse de salon LGBT+ et hétéro friendly.
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"Tout est fait pour créer des rencontres"
José avait 23 ans lorsqu'il est entré au Tango pour la première fois, il a passé la porte sans groupe d'amis. Mais il s'en est fait rapidement. Il est ensuite venu régulièrement, notamment lorsqu'Hervé Latapie organisait des bals des célibataires. "Tout est fait pour créer des rencontres". Il y a quelques années, il a proposé à un date de poursuivre la soirée au Tango. "Quand j'ai vu qu'il savait danser, j'ai tout de suite craqué", se souvient-il avec douceur. Et ils sont resté ensemble depuis.
Andy se souvient être resté des heures dans le fumoir minuscule et bondé lorsqu'un garçon le faisait craquer, au risque de se faire jeter par des personnes qui voulaient entrer. Raphaël, lui, c'est aux toilettes de la boîte de nuit qu'il a emmené celui avec qui il est toujours en couple, cinq ans après. "Je l'ai repéré sur la piste avec un t-shirt blanc et une bière (alors qu'il n'avait pas le droit !). Après quelques danses, on a fini par faire l'amour dans les toilettes. Jusqu'à ce qu'une heure plus tard, une nana tambourine à la porte en nous disant que ça fermait. Quand on est sorti, les lumières étaient rallumées et tout le monde était parti" se rappelle-t-il.
Un lieu pour la communauté
Étudiant, Andy sortait du Tango au petit matin, "les poches pleines de capotes. Ça coûte cher et c'était chouette d'en trouver". Le Tango a rempli sa mission pour la communauté LGBT+. "Plus que d'autres, le Tango a été un lieu pour les associations LGBT+", estime Roman Krakovsky, le président des Séropotes, une association de convivialité de personnes porteuses du VIH. Chaque année, l'association organise un bingo drag hébergé par la boite de nuit. "À une époque, les recettes représentaient la moitié de notre budget !", indique le président.
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Une robe à paillette noire, Christian s'est travesti pour la première fois au Tango en février 2008. "Maintenant, à chaque bal travesti, je me créé une nouvelle robe", dit-il. Depuis plus de 10 ans, il n'a pas passé un week-end sans aller danser à La boîte à frisson. Alors, "le confinement a été un déchirement. Ce qui me faisait tenir, c'était de savoir que je serai là le jour de la réouverture". Sur son téléphone, il a même laissé des alarmes, qui lui rappellent qu'il doit se préparer pour aller danser. "Je n'ai pas osé les retirer", souffle-t-il. "On est nombreux à vouloir que l'esprit perdure. Si le Tango ferme, on recréera quelque chose c'est sûr". Avant de regretter : "ça ne pourra jamais être à la hauteur".
*Le prénom a été modifié
Crédit photo : Wikimedia Commons / Celette