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ParisPlusieurs lieux emblématiques du Marais pourraient bientôt mettre la clé sous la porte

Par Nicolas Scheffer le 08/01/2021
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EXCLUSIF. Le Tango, le Gibus, le Dépot, le Banana Café ou encore la Mutinerie... Pour tous ces lieux emblématiques des nuits LGBT+, fermés depuis dix mois, ce ne serait plus qu'une question de semaines.

"J'ai revendu ma voiture à moitié prix, ma montre pour payer le loyer de mon établissement. Sans nouvelle aide, dans trois à quatre mois, on aura coulé", déplore Jean-Claude Houssey, le gérant du Raidd bar, rue du Temple à Paris. "On court d'aides en aides pour tenter de survivre, mais elles sont loin de compenser les pertes. On perd plusieurs dizaines de milliers d'euros tous les mois", renchérit Jean-Bernard Menoboo, l'exploitant du Gibus, près de la place de la République. Le Tango, lui, est déjà en vente.

Fermées depuis le 13 mars, les boîtes de nuits LGBT+ à Paris sont à l'agonie. Dans le marais, les loyers des bars et boîtes de nuit se comptent en dizaines de milliers d'euros. D'abord, ces établissements ont commencé par se serrer la ceinture, les dirigeants ont arrêté de se verser un salaire. Puis, ils ont se sont endettés, lorsque les banques voulaient bien leur prêter. Aujourd'hui, après dix mois de fermeture, ils tirent la sonnette d'alarme : sans une aide rapide, Paris aura perdu ses clubs LGBT+.

"J'ai donné toute ma vie au Raidd"

"Un jour, je me dis qu'on va s'en sortir et le lendemain, j'ai le sentiment que le monde va s'écrouler", se désole le patron du Gibus. "J'ai donné toute ma vie au Raidd et au Cud. Depuis que je suis fermé, j'ai le sentiment de ne plus servir à rien. Moralement, c'est terrible !", renchérit Jean-Claude Houssey. À la Mutinerie, haut lieu de convivialité lesbien et queer, "on est résiliantes, on ne peut pas faire autrement. L'avantage, c'est qu'on a toujours été dans la merde. La première fois qu'on a vu les huissiers, on était paniquées. Aujourd'hui, on garde au moins la tête froide", explique Claire, membre du collectif.

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Les établissements naviguent à vue : certains anticipent de pouvoir rouvrir en septembre 2021, d'autres espèrent pouvoir accueillir leurs clients à l'été. "On est plutôt pessimistes, mais on avait prévu depuis plusieurs mois que ce serait compliqué. Au premier confinement, on savait que ça durerait au moins un an", indique Christophe Vix-Gras, associé des Rosa Bonheur.

"Nous devons mettre en vente car nous ne savons pas quand est-ce qu'on va pouvoir rouvrir. En septembre ? On ne pourra pas tenir jusque là. On a trop de charges qui tombent tous les mois", regrette Alexis Carcassonne, le propriétaire du Tango. "C'est un crève-cœur de le dire, mais ce ne sont pas les établissements qui rouvriront en premier", euphémise le ministère de la Culture, sans se prononcer sur une date. "La situation est trop mouvante pour se prononcer sur un calendrier", abonde le ministère des PME.

Des aides au compte-goutte

Chaque jour, les patrons des établissements de nuit voient leur trésorerie fondre, sans que les aides ne suivent. "Au départ, le système pour obtenir les aides d'État était incompréhensible. Les premières que j'ai touchées, c'était au mois de novembre, après neuf mois à vivre sur ma trésorerie", souffle le patron du Raidd, connu pour ses shows de mannequins qui prennent des douches

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En dehors de l'activité partielle, pour payer les salaires, "on n'a toujours pas reçu d'aides. Elles sont distribuées au compte-goutte et les établissements de nuit ne semblent pas prioritaires pour les obtenir", croit savoir Michel Mau, le directeur artistique du Dépot. "Pour le moment, je n'ai touché que 1.500 euros", note Michel Michel le patron du Banana Café. "On peut tenir encore deux à trois mois, mais si on n'a pas rouvert à ce moment, on mettra la clef sous la porte", insiste-t-il.

"Il faudrait les porter à 30% ou 35% du chiffre d'affaires"

Le 16 mars, Emmanuel Macron prenait l'engagement qu'"aucune entreprise, quelle que soit sa taille, ne sera livrée au risque de faillite". Au premier confinement, les aides se comptaient à 1.500 euros, puis à partir de juillet, les discothèques pouvaient toucher jusqu'à 10.000 euros. Pour décembre, le gouvernement a annoncé que les entreprises fermées en décembre pourront bénéficier d'une aide de 20% de leur chiffre d'affaire mensuel. Sauf que... les chefs d'entreprises n'en n'ont pas encore vu la couleur.

"Pour l'instant, le formulaire de demande n'est pas encore en ligne", souffle Michel Mau du Dépot. "Le formulaire sera disponible le 15 janvier et leur décaissement sera fait en quelques jours", indique à TÊTU le ministère des PME.

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Surtout, le chiffre d'affaire est calculé par rapport à l'année 2019, marquée par la crise des Gilets jaunes, les grèves contre la réforme des retraites et donc une baisse des recettes. "20% du chiffre d'affaire, bien souvent, cela ne compense même pas le coût du loyer d'un établissement. Il faudrait au moins les porter à 30% ou 35% du chiffre", regrette Olivier Robert, président du SNEG & Co, le syndicat des entreprises LGBT+ et alliées. "Initialement, les syndicats de la profession nous ont demandé 15%, nous sommes allés au-delà pour englober un maximum d'entreprises", justifie le ministère des PME.

Des charges importantes

Pour les établissements parisiens, et à fortiori, du Marais - où les prix explosent - le loyer est le premier poste de dépense. L'exécutif a incité les bailleurs à faire des ristournes sur les loyers commerciaux, mais le dispositif n'a pas fait ses preuves. Tous les établissements contactés par TÊTU ont des loyers supérieurs aux aides qu'ils reçoivent. À cette charge, il faut ajouter le recours à un comptable, divers abonnements à l'électricité, la vidéosurveillance, les stocks...

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D'autant que les banques ne viennent pas compenser autant qu'il faudrait les aides manquantes. "Heureusement que j'étais banquier dans une autre vie, sinon, je n'aurais jamais réussi à avoir un Prêt Garanti par l'État (PGE)", avance le propriétaire du Gibus. Plusieurs établissements rapportent s'être vu refuser un PGE. Preuve s'il en faut de l'inquiétude quant à la reprise.

Des aides difficiles à obtenir

Le patron du Sneg & Co craint surtout que les aides arrivent trop tard. "Les dossiers pour obtenir les aides sont tellement compliqués qu'il manque toujours un papier", dit-il. "Les procédures d'aides ont été fortement simplifiés. De nombreuses entreprises s'en sont saisies et on a eu peu de retour de ce type de difficultés. Un numéro vert a été mis en place par Bercy pour accompagner dans les demandes d'aides (0 806 000 245)", répond le ministère des PME.

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Autre inquiétude, "si on les reçoit six mois après la fermeture définitive de l'établissement, cela ne sert à rien !", s'emporte le président du syndicat. "Sur 300 établissements LGBT+ en France, 90 ont baissé définitivement le rideau, si on ne fait rien, les 300 y passeront", dit Olivier Robert.

Des lieux rachetés par Paris ?

Selon nos informations, la mairie de Paris envisage de racheter le Tango, pour que l'activité historique du dancing reste dans le Marais. "Nous ne pourrons pas racheter tous les clubs. Lorsque nous sommes propriétaires des établissements, comme avec le Rosa Bonheur, nous avons fait des ristournes. Nous mettons également en place un fonds avec la BPI (banque publique d'investissement) pour recapitaliser des entreprises parisiennes dans lequel nous investissons 2,5 millions d'euros", indique à TÊTU Frédéric Hocquard, adjoint parisien en charge du tourisme et de la vie nocturne.

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L'élu parisien indique être en discussion, avec la SNCF et Aéroports de Paris pour mettre à disposition des espaces de plein air cet été. "J'invite les propriétaires de boîtes de nuit de s'emparer de cette possibilité. Je sais que cela suppose de se réinventer, mais ces lieux en sont capables", ajoute-t-il. Avec le Covid, Paris n'est définitivement pas une fête.

 

Crédit photo : Raphael Schaller / Unsplash...