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Marche des fiertésTerry Reintke sur les droits LGBT+ en Pologne : "Pour que la Commission fasse quelque chose, on a besoin de gens dans la rue"

Par Nicolas Scheffer le 11/02/2021
Pologne

Dans une interview à TÊTU, l'eurodéputée Terry Reintke appelle la société civile à faire pression sur la Commission européenne. Elle demande des sanctions contre la Pologne dont la politique LGBTphobe enfreint les traités européens.

Pour les personnes qui suivent les institutions européennes et les questions LGBT+, Terry Reintke est un peu une rock star. Depuis son arrivée à Bruxelles, l'eurodéputée allemande tente de mobiliser la société civile pour faire respecter les droits des personnes LGBTQI+ au sein de l'Europe et notamment en Pologne.

Dernier exemple en date, un hashtag qu'elle a partagé avec des centaines d'activistes de partout en Europe. #InfringementNow demandent les militants et élus pro-LGBTQI+, littéralement "infraction maintenant". En résumé, ils et elles entendent pousser la Commission à s'attaquer au gouvernement polonais qui bafoue quotidiennement les droits des personnes LGBTQI+, transgressant ainsi les lois européennes. Dernier épisode en date, des militantes ont été jugées pour avoir... simplement représenté la Vierge auréolée du drapeau de l'arc-en-ciel.

Pour la députée européenne allemande et écologiste, coprésidente de l'Intergroupe LGBTI, les institutions doivent "agir maintenant". C'est son mantra et sans doute la phrase qu'elle a le plus prononcée ces derniers mois. Mais pour réveiller la Commission, l'eurodéputée en couple avec Mélanie Vogel, une conseillère politique française, appelle la société civile à manifester et faire pression. Entretien.

Avec de nombreux activistes partout en Europe, vous appelez au lancement d’une procédure d’infraction contre la Pologne. Pourquoi ?

Cela fait un moment qu’on essaie de mettre la pression sur la Commission européenne pour qu’elle prenne à bras le corps la question des zones "sans-LGBT". Il y a eu très peu de réaction de la part de la Commission. Nous pensons qu’en Pologne les traités européens ne sont plus respectés. Avec une procédure d’infraction, la Commission peut appliquer des sanctions financières. Bien-sûr, ça ne sera pas des milliards, mais cela a un effet dissuasif et politique. Les gouvernements doivent savoir qu’ils ne peuvent pas bafouer les droits sans réaction.

À quoi ressemble la situation des personnes LGBTQI+ en Pologne ?

Leur sort n’a jamais été brillant. Il y a six ans, un gouvernement autoritaire, nationaliste et fondamentaliste a été élu et la situation s’est détériorée continuellement. On peut le voir par l’utilisation d’une rhétorique affreuse en qualifiant les personnes LGBTQI+ de “pervers” ou “d’idéologie”, que nous sommes contre la famille, la chrétienté…

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Mais il y a aussi des actes LGBTphobes avec un climat particulièrement hostile aux personnes LGBTQI+ en ciblant notamment la jeunesse. Quand je parle avec des activistes, ils racontent qu’ils doivent émigrer pour être eux-mêmes parce qu’ils font face à la haine tous les jours. Les autorités ne font rien pour les protéger. Un sondage montre que 96% des LGBT+ polonais pensent que le gouvernement ne protège pas leurs droits. 

Pensez-vous que le soutien de la société civile est suffisant ?

Une des choses que j’ai apprise depuis que j’ai été élue au Parlement européen, c’est que si vous voulez que la Commission fasse quelque chose, vous avez besoin de gens dans la rue et sur les réseaux sociaux.  J’ai le sentiment qu’aujourd’hui, il y a eu une prise de conscience de la situation en Pologne. Elle n'était pas là il y a deux ans quand la première zone "sans-LGBT" a été créée.

Mais on a besoin d’un mouvement civique plus fort qui mette la pression non seulement sur la Commission européenne, mais aussi sur les gouvernements nationaux. Les activistes polonais racontent que lorsqu’ils voient la solidarité des actions qui se déroulent partout en Europe, cela compte beaucoup pour eux.  C’est l’un des atouts de la communauté LGBT+, nous sommes une communauté mondiale et structurée.

L’une des phrases que vous avez le plus souvent prononcées, c’est “faites quelque chose !”.

Cela pourrait être le slogan de ma prochaine campagne ! (rires)

... Qu’est-ce que vous feriez en premier si vous étiez à la tête de la Commission européenne ?

Je lancerais une procédure d’infraction. Les droits fondamentaux sont régulièrement liés avec la question de l’État de droit et de la séparation des pouvoirs. Une proposition effrayante a déjà été faite pour interdire les Fiertés en Pologne. Lorsque ce gouvernement veut revenir sur un droit, au lieu de le pousser au parlement, il l’attaque devant la Cour constitutionnelle, où les conservateurs sont majoritaires. Ça ne peut pas fonctionner comme ça dans une société démocratique.

Quand Ursula von der Leyen dit que les zones “sans-LGBT” sont des zones “sans humanité”. Ça ne vaut rien ? 

C’est une politicienne qui cherche de bons titres de presse. Elle pose les bons constats, maintenant, comment ça se matérialise en actions concrètes ? Elle a lancé une stratégie pour les personnes LGBTQI+, c’est un beau progrès que nous attendions depuis longtemps. Mais c’est un renforcement d’une législation, alors que nous ne savons pas faire respecter les textes qui existent déjà !

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Ursula von der Leyen est dans le compromis. Elle veut éviter une situation où la Commission tape du poing sur la table pour faire respecter l’État de droit, c’est vraiment décevant. Quand la Commission peut éviter d’avoir un conflit avec un État membre, elle le fait, c’est dans sa logique institutionnelle. Mais son rôle est surtout de faire respecter les traités. 

Que pourraient-ils faire concrètement maintenant, à part lancer une procédure d’infraction ?

Ce qu’ils ont commencé à faire, c’est un rapport annuel sur l’État de droit. Ici, la Commission fait un minuscule pas, mais elle fait quelque chose. Concernant le budget, ils ont mis en place un mécanisme de conditionnalité de l’État de droit. L’argent de l’UE ne pourra plus être utilisé pour des projets qui vont à l’encontre des valeurs de l’Union. Au moins, il y a des outils qui peuvent être utilisés. Maintenant, il faut le faire...

Au fond, je comprends la Commission. Ils ont le choix entre ne rien faire et avoir quelques critiques ou faire quelque chose et provoquer des controverses interminables. Nous devons mettre la pression sur la Commission pour qu’elle mette plus d’énergie dans nos combats. 

Est-ce que vous ne craignez pas que cela attise le sentiment eurosceptique en Pologne ?

Si on ne peut pas appliquer les lois parce que des gens ne sont pas d’accord, quel est l’intérêt de disposer de telles lois ? Aujourd’hui, le danger est aussi de l’autre côté. Les progressistes polonais perdent confiance à l’égard des institutions politiques qui ne sont pas capables de les protéger. 

La Pologne est-elle toujours une démocratie selon vous ?

La situation est très alarmante. La Pologne est à la limite d’être une démocratie en dysfonctionnement. Ce que la Pologne a comme atout vis-à-vis de la Hongrie, ce sont des médias critiques qui fonctionnent et une vie civique active. Mais ces contre-pouvoirs sont constamment attaqués. Certains activistes choisissent d’émigrer. Je ne peux que les comprendre...

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Pour les aider, nous mettons en place un programme pour permettre de financer des organisations qui défendent les droits humains et la démocratie. Jusqu’alors, ce programme était à destination des pays extérieurs à l’Union.

Diriez-vous que d’une manière globale, la situation des personnes LGBTQI+ en Europe a régressé ?

Si on regarde 30 à 40 ans plus tôt, la situation est bien meilleure. Que ce soit d’un point de vue légal ou social, on a beaucoup de choses à célébrer. Mais depuis 10, 15 ou 20 ans, il y a eu un retour en arrière impressionnant qui a été particulièrement bien pensé par les forces conservatrices. On a toujours cru que ces mouvements nationalistes ne fonctionneraient jamais ensemble à échelle européenne, mais ils le font et de manière très structurée. Et désormais, on parle clairement de recriminaliser l’homosexualité. Nous n’avons pas été vigilants. Nous avons cru que la société ne pouvait pas reculer et que nous allions toujours aller de l’avant. Il faut que nous soyons plus vigilants sur nos valeurs. Il faut agir.

Face à cela, est-ce que ça fonctionne de manifester et de publier des tweets ?

Je suis une élue écologiste depuis 2014. Quand on portait ce sujet, au départ on prêchait dans le désert. D’un coup, Greta Thunberg est arrivée. Des jeunes étudiants du monde entier se sont mis à demander des comptes. Les avancées qui ont été réalisées en un an et demi étaient impensables il y a cinq ans. Quand vous faites du bruit et que vous êtes prêt à harceler les politiques, ça a un effet. Est-ce que c’est assez rapide ? On peut en discuter. Mais si vous faites du bruit, il y aura une réaction.

Nous devons nous rappeler que nous sommes un mouvement énorme ! Nous avons beaucoup d’alliés et nous faisons des manifestations tous les étés. Imaginez que les Pride dans le monde entier appellent à supprimer les zones “sans-LGBT” !