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Marche des fiertésRobert Biedrón sur la Pologne : "Il y a eu un moment pour la négociation, maintenant, l'Union Européenne doit agir"

Par Nicolas Scheffer le 14/09/2020
Robert Biedrón

EXCLUSIF - Le député européen, et ancien candidat à la présidentielle polonaise Robert Biedrón s'exprime pour la première fois à l'international depuis la réélection d'Andrzej Duda. Il dénonce l'homophobie qui sévit en Pologne et appelle à une réaction forte.

Quand Robert Biedrón est élu à la tête de Slupsk et ses 90.000 habitants au nord du pays en 2014, il est le premier maire ouvertement homo dans un pays conservateur. Déjà, en 2011, il était l'un des premiers députés gay de la Diète, le parlement de Pologne. En 2019, après avoir fondé son parti, Printemps, il devient député européen. Cet homme de gauche défie même Andrzej Duda lors de l'élection présidentielle. Dans un climat particulièrement homophobe, Robert Biedrón est balayé au premier tour avec 2,20% des voix. La Pologne n'est pas prête à avoir un président gay.

Au contraire, elle a voté pour un président en croisade contre "l'idéologie LGBT". Les atteintes aux droits LGBT+ sont quotidiennes. Alors, depuis son bureau à Bruxelles, Robert Biedrón fait le pied de grue pour que la présidente de la Commission européenne condamne la Pologne. Il tente d'organiser la défense des droits des personnes LGBT+. Il a répondu aux questions de TÊTU.

Vous êtes connu pour être le premier maire ouvertement gay, le premier député gay dans un pays conservateur et candidat de gauche à la dernière élection présidentielle. Vous êtes aujourd'hui député européen. Comment êtes-vous arrivé à la politique ?

Parfois, j'ai l'impression d'être le seul gay de mon pays. Il y a très longtemps, quand j'avais 18 ans, j'ai rejoint un mouvement politique de gauche. J'ai dirigé l'une des plus grosses campagne associative contre l'homophobie en Pologne. Mais je savais que la clef, c'était la politique : si on veut faire changer les législations, il faut s'engager. Pour autant, je n'aurais jamais imaginé devenir maire d'une ville, député européen ou dirigeant d'un parti avec quelque 20 députés nationaux...

Votre orientation sexuelle a-t-elle influencé votre vie politique ?

C'est mon identité. Au début, c'était difficile. Il y a 10 ans, même en tant que député, j'ai été frappé dans la rue. Quand vous êtes homo, vous êtes toujours étiqueté comme quelqu'un qui ne devrait pas être écouté avec sérieux. On m'a posé des questions sur ma vie sexuelle, ce qu'on ne demande à aucun autre homme politique.

À quel point êtes vous inquiet pour la communauté LGBT+ en Pologne ?

Je suis très inquiet. Je sais ce que c'est d'être gay dans un pays comme la Pologne, je viens d'une région conservatrice. Aujourd'hui, 30% du territoire est occupé par une zone "sans LGBT+". Nous devons faire face à une chasse aux sorcières. Les personnes LGBT+ sont un bouc-émissaire facile. Le gouvernement ne peut pas s'en prendre aux émigrés car il n'y en n'a pas en Pologne, ni de noirs.

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Pourriez-vous décrire la situation en Pologne ?

Tous les jours, on lit dans les journaux que quelqu'un a été frappé. Je n'ose même pas compter le nombre de discours transphobes parce que c'est terrifiant. Le président Polonais a dit que les personnes LGBT+ n'étaient pas des être humains. Un ministre salue les "zones sans-LGBT" en leur apportant un soutien financier. La situation se dégrade. L'activiste non-binaire Margot a été détenue parce qu'elle a défendu ses valeurs. Il y a une chasse aux sorcières à la télévision publique assimilant les personnes LGBTI à une "idéologie" que le gouvernement devrait combattre. Des autorités disent que les activistes LGBTI rôdent autour des écoles et donnent des pilules aux enfants pour leur faire changer de sexe. Cela concerne pas que les personnes LGBT+, mais également les femmes dont les droits sont bafoués. Le droit d'avorter est limité, les viols ne sont pas véritablement poursuivis.

C'est fou ! Cela m'évoque malheureusement les temps de guerre, nous savons ce qu'ont donné les "zones sans juif". Je n'aurais jamais pensé vivre cela dans un pays qui a tant souffert de la seconde guerre mondiale, du communisme et du fascisme.

L'exécutif justifie son homophobie par la "tradition" et la foi. L'épiscopat polonais a fait l'éloge des "thérapies de conversion". Vous espérez que le Pape rappelle à l'ordre l'épiscopat ?

L'épiscopat polonais ne respecte pas l'enseignement du Pape François. Je n'attends aucune influence du Vatican sur l'Église polonaise.

Quelles sont les relations entre l'Église et l'administration ?

Chaque loi qui passe devant le Parlement doit être examinée par l'Église qui donne son avis. Bien sûr, cet avis n'est pas contraignant mais son poids est tel qu'il faut le prendre en compte. L'Église est également protégée de scandales pédophiles. Vous pouvez trouver en ligne un registre avec l'identité des personnes qui ont été condamnées pour pédophilie. À une exception : les prêtres.

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L'élection présidentielle a conduit à des remarques particulièrement homophobes de la part d'Andrzej Duda. Comment les avez-vous reçues ?

J'ai le cuir épais et j'ai l'habitude d'être attaqué. Je pense à toutes les personnes LGBT+ qui ne sont pas en sécurité. Ma mère était terrifiée. Lorsque Duda a dit que nous n'étions pas des êtres humains mais une idéologie, elle est allé avec d'autres mères devant le palais présidentiel. Elles ont lu une lettre, très touchante, pour que le président arrête de déshumaniser leurs enfants. J'ai éprouvé une vraie fierté.

Andrzej Duda a été réélu en juillet d'une courte majorité. Qu'inspire cette réélection à la Pologne progressiste

Il y a un sentiment d'impuissance en Pologne. On a essayé tant de choses : on a manifesté dans les rues, été dans les tribunaux internationaux, auprès des institutions européennes... Nous avons tenté d'alerter des journalistes, des avocats, des docteurs, des professeurs... Pour beaucoup de gens, on ne peut plus rien faire. En tant que social-démocrate, je pense que le pays doit être réparé avec les outils de la démocratie, les droits humains et non avec le populisme, l'hostilité et la division.

"Margot doit nous réveiller"

Comment répondre à quelqu'un qui dit que les personnes LGBT+ sont une "idéologie" ? Peut-on avoir une argumentation censée quand quelqu'un en face utilise l'émotion ?

Il faut montrer la vie des personnes LGBT+, ce qui n'est pas évident puisqu'elles doivent se cacher. Celles qui font leur coming out ont la responsabilité de témoigner, parler, donner du soutien... On doit être solidaire avec Margot, même on n'est pas d'accord avec tout ce qu'elle dit parce qu'elle est radicale. Elle ne se bat pas que pour sa vie et ses droits mais pour chacun d'entre nous. Avec mon compagnon, qui est député national, nous faisons notre possible pour l'aider.

Margot-peut-elle unifier la communauté LGBT+ ?

Elle doit nous réveiller. Je suis admiratif de son combat. J'adorerais voir la Pologne changer parce qu'elle a installé une discussion sur le genre, l'identité, la sexualité et les modes de vie. Mais ce n'est pas à moi de dire ce qu'elle devrait faire, elle doit prendre en compte sa sécurité.

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Vous avez le sentiment d'être soutenu par la France ? Par Emmanuel Macron ?

Quand le président Macron est venu en Pologne, il a mis en avant le problème de l'État de droit et de la démocratie. Je vois des initiatives de l'ambassade de France et de partis politiques français et d'ONG. Nous ne sommes pas seuls dans ce combat. Tant que l'on sera dans l'Union Européenne, on pourra avoir son soutien. Bien-sûr, nous souhaiterions que les institutions agissent avec plus de résolution, mais au moins, les traités donnent un cadre à l'action du gouvernement.

Que feriez-vous si vous étiez à la tête de la Commission européenne ? Quelle serait une bonne réponse à l'homophobie d'Etat en Pologne ?

Quand nous avons intégré l'Union, nous avons signé les traités et donné notre accord au respect des droits humains, de l'égalité, de la liberté, de l'État de droit. Ces valeurs ne sont pas respectées par la Pologne aujourd'hui. L'une des réponses doit être financière : c'est l'un des outils les plus efficaces. Les fonds européens ne devraient pas être transféré à des gouvernements ouvertement homophobes ou des villes qui se sont déclarées elle-même "sans-LGBT". Et les subventions devraient être données sans intermédiaire.

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Et pourtant, quand la Commission européenne a refusé d'accorder des subvention, c'est de l'ordre du symbole. Seules six villes sont concernées pour des montants qui ne dépassent pas 25.000 euros... N'est-ce pas frileux ? 

Oui et non. Bien-sûr, cela ne concerne que quelques communes. Mais nous voyons déjà que quelques une ont déjà retirées leur mention "sans-LGBT" par peur de perdre leurs fonds. On pourrait aller, certes, plus fort. Il y a eu un moment pour la négociation, maintenant, l'Union doit agir. Il y a notamment un débat à propos du budget. Les subventions pourraient désormais être conditionnées au respect de l'État de droit.

"Si cette situation perdure, ce sera la destruction de l'Europe car les tendances anti-démocratiques pourraient faire exploser l'Union."

La présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, devrait-elle dénoncer les politiques anti-LGBT+ ?

Son rôle est de faire respecter les traités. Actuellement, ils ne le sont pas. Si nous ne réagissons pas, nous encourageons d'autres pays à bafouer nos valeurs. Ce qu'il se passe en Pologne fera jurisprudence. Aujourd'hui, les atteintes sont en Pologne et en Hongrie, mais demain, elles pourraient arriver en Espagne, en Italie ou en France. Le Conseil de l'Europe et la Commission européenne n'ont pas pris le sérieux de la situation. Ils ont tardé à réagir. Si cette situation perdure, cela ne sera pas simplement une jurisprudence, mais la destruction de l'Europe car les tendances anti-démocratiques pourraient faire exploser l'Union.

Qu'est-ce que vous diriez à un jeune polonais LGBT+ qui veut quitter le pays parce qu'il ne se sent pas accepté ?

Je le comprends. Quand j'étais jeune militant gay, que je commençais ma carrière politique, j'étais plein d'énergie pour me battre pour la Pologne. Mais c'était il y a quelques années. Aujourd'hui, l'environnement est hostile et beaucoup cherchent la sécurité. J'ai beaucoup d'amis qui ont émigrés vers d'autres pays et vivent heureux. Ce serait injuste de leur demander de rester pour combattre. Mais s'ils souhaitent se battre, ils me trouveront à leurs côtés.

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Vous avez participé à la première marche des Fiertés en 2001. Dans quelle mesure les Pride sont-elles menacées ?

La situation polonaise est très paradoxale. Il y a des dizaines de Pride. Nous nous sommes battus à Strasbourg (où se trouve la Cour européenne des droits de l'homme, ndlr) pour pouvoir avoir le droit d'organiser une marche. Au début, on était 100, 200 peut être. Aujourd'hui, il y a des centaines de milliers de personnes partout en Pologne. Les jeunes qui ont le courage de marcher, une fois par an, pendant quelques heures, peuvent sentir ce que les hétéros ressentent tous les jours.

Et donc sont-elles menacées ?

Oh oui ! Il y a beaucoup d'exemples de villes où les Pride ont été attaquées ou menacées. Elles font peur parce qu'elles changent la vision des gens. Nous, on se sent fort et inarrêtable. D'ailleurs, on changera la Pologne. Peut-être pas demain, ni après-demain, mais un jour.

 

Crédit photo : Jarosław Roland Kruk / Wikimedia Commons