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DilcrahAprès 4 ans à la Dilcrah, Frédéric Potier défend son bilan contre la haine anti-LGBT+

Par Nicolas Scheffer le 17/02/2021
Frédéric Potier

Après quatre années passées à diriger la Dilcrah, Frédéric Potier a rejoint la RATP. Le maçon des politiques publiques contre la haine anti-LGBT+ revient pour TÊTU sur le travail réalisé ces dernières années.

C'est une figure familière des associations LGBT+ qui a terminé sa mission. Depuis 2017, le préfet Frédéric Potier avait la charge de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). En clair, c'est à lui qu'il revenait de mettre en oeuvre les politiques de lutte contre les LGBTphobies.

Le 14 octobre dernier, le préfet est installé à côté de la ministre de l'Égalité Elisabeth Moreno pour la présentation du plan pluriannuel contre les LGBTphobies. C'est notamment lui qui a soufflé à la ministre les idées pour améliorer le sort des personnes LGBT en France. Avant de rejoindre la direction de la RATP, il a donné une dernière interview à TÊTU, sous forme de bilan. Et de regrets ?

Vous quittez la Dilcrah que vous présidez depuis 2017. Mission accomplie ?

Quand j'ai accepté cette mission en mai 2017, la Dilcrah venait d'être compétente sur les sujets LGBT+, il fallait tout mettre en place. Oui, la mission est accomplie dans la mesure où on a mis la question LGBT+ au centre de l'appareil d'État. Évidemment, il reste beaucoup à faire, mais on a fait de vrais progrès.

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Le fait d'aller à La Roche-sur-Yon avec le préfet de région au Centre LGBT+, c'est une marque de reconnaissance. Ouvrir une ligne d'écoute pour la haine anti-LGBT+ en Martinique avec des financements publics, c'est concret. Faire des formations avec des assos de personnes trans à la préfecture de police, cela montre que les mentalités ont changées et qu'on a passé un cap.

Et pourtant, les actes LGBTphobes sont en augmentation. Le dernier rapport SOS homophobie fait état d’une hausse des signalements “alarmante”. Quel est votre diagnostic ?

Les victimes osent davantage signaler des faits que par le passé. Il vaut mieux que des gens qui subissent ce genre d’actes soient accompagnés plutôt qu’il y ait une forme de tabou. C’est un progrès. 

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La deuxième explication, c'est que les personnes LGBT+ sont davantage visibles dans la sphère publique, ce qui provoque une forme de rejet. On forme les officiers de police judiciaire sur ces questions, donc nécessairement, cela a un effet sur les chiffres. Mais nous avons encore des marges de progrès à faire sur l'accueil des victimes. 

Vous sentez une sensibilité accrue d'Élisabeth Moreno par rapport aux autres ministres que vous avez côtoyés ?

Sur ces questions-là, il y a une grande continuité entre ce qu’avait lancé Najat Vallaud-Belkacem sous François Hollande, Marlène Schiappa pendant le confinement et Élisabeth Moreno aujourd’hui. Il faut reconnaître à Élisabeth Moreno de s’être battue pour sortir ce plan contre les LGBTphobies le 14 octobre dernier.

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On est passé d’un État homophobe dans les années 1980 à un État qui lutte contre l’homophobie. Ce travail, on est en plein dedans. C’est un changement qu’on doit aux militants, aux associations, aux personnalités publiques.

Quelle serait, selon vous, la mesure la plus urgente du plan contre les LGBTphobies à mettre en place ?

Je suis très attaché aux mesures qui concernent l’éducation, notamment créer une chaire universitaire sur les questions LGBT+. On a besoin de produire du savoir sur ces questions. Il y a aussi la création, dans chaque académie scolaire, un observatoire de la haine anti-LGBT+, notamment là où le tissu associatif est faible. 

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Comment avez-vous réagi quand Guillaume a accusé sur Twitter un couple de l’avoir violé ?

Je ne veux pas commenter les affaires judiciaires en cours.

Il n’y a pas de plainte, donc pas d’affaire judiciaire…

La question du #MeTooGay interroge beaucoup. Notre mission, c’est de lutter contre la haine anti-LGBT, on a construit des choses pour cela. Là, il s'agit de violences sexistes et sexuelles à l’intérieur de la communauté. Les outils ne sont pas les mêmes. Ce n’est pas la vocation initiale de la Dilcrah de s’occuper de ces questions. Son ampleur a pris tout le monde par surprise...

Les associations disent quasiment toutes qu’elles doivent pallier les carences de l’État. Est-ce le cas ?

Je ne pense pas. Je crois que pour faire des interventions en milieu scolaire, c’est plus efficace d’avoir des gens qui connaissent bien ces sujets dans leur chair que des fonctionnaires qui appliqueraient un programme. On perdrait en efficacité, en sincérité, à fonctionnariser ces interventions.

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Si on attend d’SOS homophobie qu’ils aillent dans les écoles, vous n’avez pas peur que dans certains endroits, il n'y ait pas assez de bénévoles donc pas d'intervention en milieu scolaire ?

Non, on arrive à avoir un maillage territorial conséquent. Lorsqu’on n’a pas assez de militants dans une ville, on trouve une solution avec d'autres structures.

Êtes-vous déjà sorti de votre devoir de loyauté pour faire avancer les droits des personnes LGBT+ ?

Avec François Croquette, l’ambassadeur aux Droits de l’homme on a écrit à l’ambassadeur de Hongrie sur la législation envers les personnes trans. On l’a un peu fait sans filet et surtout, sans autorisations. Mais on a estimé que c’était notre devoir de le faire. Certains aux quai d’Orsay ont dû être surpris de lire dans TÊTU un courrier d’un préfet à un ambassadeur.

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Parfois, si on demande toutes les autorisations nécessaires, ça peut un peu s’enliser...  Il n’y a pas eu de sanction, mais une explication franche et virile avec l’ambassadeur de Hongrie. 

Si vous étiez parlementaire ou même ministre, qu’est-ce que vous porteriez comme projet de loi ?

J’ai été très heureux de la publication par Flora Bolter et Anne-Lise Savart, l'une de mes collaboratrices, de leur travail sur les personnes intersexes. Il y a peu d’analyse sur ces sujets-là car c’est un sujet qui n’est pas facile. Je suis favorable à ce qu’on s’en empare. 

Comment comprenez vous que le projet de loi bioéthique soit si long à aboutir ? 

On est au bout du processus… Le président n’a pas voulu faire usage de procédure accélérée ce qui a permis un climat relativement apaisé, c’est une tactique qui a été tenue jusqu’au bout. Mais je comprends les impatiences. 

La PMA pour toutes avait pourtant été promise en 2012, on est 20 ans après…

Je me souviens de la loi sur le Mariage pour tous, je travaillais avec Claude Bartolone à l'Assemblée. Je pensais qu’il fallait associer le mariage avec la PMA. Quand on voit les débats qu’a été le mariage, peut être que la PMA cela aurait fait trop. Mais on ne peut pas réécrire l’histoire. Dans certains pays, les droits des personnes LGBT+ reculent…

Est-ce que vous appelez la Commission européenne à taper du poing sur la table ?

Sur les sujets qu’on traite, le risque, c’est d’en rester à une posture. C’est dangereux. 

 

Crédit photo : Capture d'écran YouTube / Chemins d'avenirs