Accusé de satanisme et de vouloir pervertir la jeunesse avec son single récemment sorti "Montero (Call Me By Your Name)", le jeune rappeur s'est mis à dos les conservateurs. Forcément, puisqu'il impose une vision assumée, flamboyante - et inédite - de l’homosexualité.
Presque une semaine s'est écoulée depuis la parution de "Montero (Call Me By Your Name)". À travers ce nouveau morceau – annonciateur d'un album inaugural –, Lil Nas X se remémore une rencontre furtive mais intense avec un homme. Celle-ci s'est déroulée l'été précédent, comme il l'explique dans une vidéo pour Genius. Dans le texte de la chanson, le rappeur évoque à la fois la fulgurance d'un coup de foudre, mais aussi la difficulté de s’enticher d’un homo dans le placard. Après son hit "Old Town Road", ce single est de loin celui qui fait le plus couler d'encre. Non pas pour son propos queer pleinement assumé, mais pour son clip, catalogué comme dangereux et provocateur.
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Une Génèse revisitée
Au sein de la vidéo tant controversée, Lil Nas X invoque un imaginaire aux couleurs très pop, directement inspiré de la religion chrétienne. En trois actes finement liés, l'artiste de 21 ans se place dans la peau d'un personnage hybride, à la fois Adam et Ève, errant dans un jardin d'Eden violacé. Après avoir embrassé une créature reptilienne, il est envoyé fissa dans le Colisée, où des sculptures humanoïdes se mettent à le lapider pour son péché. Mais alors qu'il semble se diriger vers le Paradis, le rappeur s'agrippe à une barre de pole dance pour glisser jusqu'aux Enfers. Il danse ensuite de façon suggestive avec Satan, sagement installé sur son trône, et finit par lui tordre le cou, s'emparant de ses cornes. Et, par corrélation, de sa place.
Tandis que le clip faisait déjà beaucoup jaser, la situation s'est envenimée avec la mise en vente des fameuses "Satan Shoes". En effet, Lil Nas X s'est associé avec le collectif artistique MSCHF pour customiser des sneakers Nike avec des symboles évoquant le satanisme, soit des produits dérivés de sa vidéo thématique. Et forcément, ça n'a pas plu à tout le monde.
"Nous sommes en lutte pour l'âme de notre nation, soutient la gouverneure républicaine Kristi Noem via un tweet alarmiste. Nous devons nous battre avec force. Et nous devons nous battre avec intelligence. Nous devons gagner". De son côté, le pasteur évangélique Mark Burns appelle "les chrétiens à se soulever contre ça". Quant à l'autrice conservatrice Candace Owens, elle accuse directement le rappeur d'avoir "été manipulé par des corporations pour aider à détruire encore davantage notre jeunesse". Sur les réseaux sociaux, les blâmes sont légion : Lil Nas X représente le satanisme et devient donc l'ennemi public n°1.
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Or le fond du problème n'est pas tant que le chanteur ait recours à des visuels blasphématoires ou sataniques pour promouvoir son dernier single. Mais, plutôt, ce qu'il représente lui-même : un homme noir, gay et qui n'a pas peur de le montrer. Plus encore, de le revendiquer. Là où certain·e·s voient une mise en scène anti-catholique et provocatrice, d'autres discernent un acte franc de revendication.
Noir, gay et assumé
Au-delà de l'esthétique globalement très queer qui prévaut tout au long de la vidéo, cette dernière comporte des éléments majeurs qui nécessitent une deuxième lecture. Comme ce plan, à l'issue du premier acte, où une phrase en grec ancien est gravée dans un tronc d'arbre. Il s'agit là d'un extrait du Banquet de Platon où le philosophe reprend le discours d'Aristophane. Le dramaturge grec évoque une génèse de l'humanité défendant que les humains étaient à la base deux entités fortement liées. Séparés par la colère de Zeus, les deux corps – qu'ils soient masculin ou féminin – cherchent ensuite à se retrouver. "C'est un des premiers exemples de l'homosexualité et de la bisexualité présentées comme familières ou acceptables d'une façon qui n'est pas toujours présente dans notre société aujourd'hui", souligne Joseph Howley, professeur de littérature classique à l'Université de Columbia, dans un article éclairé du Time.
Pas uniquement là pour choquer les esprits puritains, les références religieuses de "Montero (Call Me By Your Name)" sont mûrement réfléchies. Mais au-delà du sous-texte, Lil Nas X déploie une représentation de la sexualité queer des plus explicites. Il le fait de façon graduelle : d'abord, par un baiser. Puis, par la scène de lapidation, où les cailloux sont ici remplacés par des plugs anaux. Et, enfin, par une séquence de lap dance où le protagoniste ne rechigne pas à se frotter sensuellement contre le Diable.
Il faut ajouter à ça les paroles ouvertement sexuelles de la chanson en elle-même, que l'artiste justifie auprès de Genius. Selon lui, il faut "normaliser" ces actes et en parler sans tabou "est important pour la représentation". Celle qu’il offre, si elle peut paraître très – trop – sexualisée aux yeux de certain·e·s, évoquant des clichés éculés sur les gays, n'est pas à prendre au premier degré. Même son twerk contre le Diable déborde d'humour et de provocation. Car Lil Nas X semble avant tout avoir souhaité confronter les conservateurs à leur propre vision stéréotypée de nos sexualités.
Retour de bâton
Le chanteur ne s’en est d’ailleurs pas caché, sur les réseaux, en répondant méticuleusement à de nombreux commentaires lors du weekend qui a suivi la sortie du clip. À ceux qui répètent aux personnes queers qu'elles finiront en enfer, la réponse de Lil Nas X est on ne peut plus claire : il ira de lui-même au royaume de Satan. "J'ai passé toute mon adolescence à me détester à cause de toute la merde que vous prédisiez parce que j'étais gay, lâche-t-il sur Twitter. Donc j'espère que vous êtes en colère, que vous restez en colère et que vous ressentez la même colère que vous nous apprenez à ressentir envers nous-mêmes". C'est donc en retournant leurs propres armes contre eux que le rappeur prend sa revanche.
Mais ce qui dérange les plus conservateurs avec la vidéo de Lil Nas X, ce n'est pas uniquement ce qu'il met en scène mais ce qu'il incarne : un affront aux valeurs LGBTphobes qu'ils prêchent, et ce de par sa simple existence. En se plaçant dans tous les rôles de son clip, il reprend le contrôle d'une narration qu'on lui a longtemps refusée. À l'issue de la vidéo, le chanteur semble devenir le nouveau Satan. Impossible alors de ne pas déceler un message puissant. Lil Nas X n'est plus une victime : il est prêt à contre-attaquer et, par déduction, à devenir la nouvelle figure crainte par les chrétien·ne·s.
Alors oui, l'affaire des "chaussures sataniques" était peut-être de trop – sur cet aspect, tout dépendra de la sensibilité de chacun. Mais il n'y a jamais eu de fumée sans feu. Plusieurs jours après la sortie de "Montero (Call Me By Your Name)", le clip est toujours objet de discussions, parfois houleuses, sur les réseaux sociaux. Qu'importe les avis échangés, le constat est le même : plus que jamais, Lil Nas X et la queerness qu'il incarne occupent l'espace public. Et à travers lui, c'est l'existence de nombreuses personnes queers et racisées qui est reflétée. C'est un appel à être fier·e·s de son identité sans plus avoir à s'en excuser.
Le jour de la parution du clip, le jeune rappeur partageait un texte intime à ses abonné·e·s. "Des gens seront en colère et diront que j'ai une idée derrière la tête, déclarait-il alors. Mais la vérité, c'est que c'est le cas. L'idée de faire en sorte que les gens ne se mêlent pas de la vie des autres et qu'ils arrêtent de leur dicter qui ils doivent être". On peut dire que Lil Nas X, lui, a appliqué son propre message à la lettre.
Crédit photo : Lil Nas X via capture d'écran YouTube