jeunesseLa protection des jeunes LGBTQI+ doit être l’affaire de toutes et tous

Par têtu· le 14/04/2021
jeunes LGBTQI+

TRIBUNE. Les graves dysfonctionnements mis en lumière au sein de la Fondation Le Refuge interrogent la délégation systématique de la protection des jeunes LGBTQI+ aux associations. 18 hommes et femmes politiques, travailleurs.es sociaux, et militant.e.s appellent l'Etat à prendre ses responsabilités.

En 2021, en France, toutes et tous s’accordent, quel que soit leur bord politique, pour rejeter les violences à l’encontre des lesbiennes, des gays, des bi, des personnes trans ou intersexes (LGBTI-phobes), particulièrement quand elles touchent les jeunes, et singulièrement dans le cadre du cercle familial. La nécessité d’un accompagnement adapté de ces victimes afin qu’elles puissent dépasser le traumatisme est également un constat largement partagé. C’est pourquoi les révélations de l’enquête publiée dans Mediapart le 15 décembre dernier à propos des graves dysfonctionnements de la Fondation Le Refuge, complétées par un article dans Libération le 16 janvier ainsi que par le rapport d’audit rendu public le 18 février dans TÊTU sont particulièrement choquantes.

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Les pouvoirs publics locaux et nationaux ne peuvent rester spectateurs

La démission des dirigeants mis en cause, tout comme les décisions successives prises par Le Refuge après deux articles de presse particulièrement nourris en témoignages et un audit mené par un cabinet privé, vont dans le bon sens mais ne règlent pas tout. Les pouvoir publics locaux et nationaux ne peuvent rester les spectateurs qu’ils sont trop souvent encore. Ils doivent par ailleurs cesser de se défausser intégralement sur des associations et des financements privés pour assumer la protection des enfants et des jeunes LGBTQI+. 

S’agissant du Refuge, il appartient désormais aux services de l’État, notamment à l’IGAS dont c’est la mission, d’examiner la situation au regard des pratiques du champ social. La Convention internationale des droits de l’enfant – les jeunes jusqu’à 18 ans – est le texte relatif aux droits humains le plus largement ratifié au monde. Elle est claire : « Les États parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié. » (Article 3, Alinéa 3).

L’autre révélation de ce « RefugeGate »

Au-delà du légitime contrôle, il faut également assumer une véritable politique publique pour l’heure, absente. Les reconnaissances accordées au Refuge – la plus récente étant le décret du ministre de l’intérieur du 12 mars 2020 lui ouvrant la voie à l’avantageux statut de « Fondation reconnue d’utilité publique » – ne sont que la traduction d’un fait assez simple qui vaut la peine d’être verbalisé : les violences spécifiquement faites aux enfants et jeunes majeurs LGBTQI+ sont une réalité, significative, à laquelle le droit commun de la protection sociale ne sait pas ou ne veut pas répondre de manière adaptée. Cette responsabilité n’est pas, à l’heure actuelle, pensée de manière transversale dans les départements, dont relève pourtant la protection de l’enfance. Elle est à peine esquissée dans le « plan national d’action pour l’égalité des droits, contre la haine et les discriminations anti-LGBT » pour la période 2021-2023. C’est pourtant ce chantier crucial que révèle aussi, en creux, ce « RefugeGate ».

Comme le montre l’enquête Virage, les femmes lesbiennes et bi (3 à 4 fois plus) et les hommes gais et bi (1,5 à 2 fois plus), sont plus nombreux en proportion à avoir fui le foyer en raison de conflit familial que les femmes et hommes hétérosexuels. Les personnes trans, elles, sont deux fois plus nombreuses que les autres personnes LGBTI+ à avoir vécu cette violence. Tous ces jeunes, parfois mineurs, se retrouvent en grande précarité et en manque de protection, alors même que la jeunesse fait face à une paupérisation sans précédent, que le RSA leur est refusé, que les services d’accueil et d’insertion sont sous-dimensionnés et sous-financés. Au sein d’une jeunesse abandonnée à son sort, les LGBTQI+ ne peuvent compter, pour les accompagner de manière adaptée face aux violences qu’ils vivent, que sur les ressources associatives avec les limitations inévitables que cela implique. Un abandon dans l’abandon, en somme.

Appel aux élu·e·s locaux et nationaux ainsi qu’aux professionnel·le·s

Il ne s’agit pas de tout mettre par terre. Il y a, bien sûr, de très bonnes raisons de s’en remettre à des associations LGBTQI+ : ces dernières connaissent intimement le sujet des discriminations et des violences en lien avec l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Elles sont plus à même d’agir avec intelligence et compréhension. Il n’est, en revanche, ni compréhensible, ni admissible, que les acteurs publics ne s’approprient pas ces connaissances, cette expertise, et ne les intègre pas au corpus de réflexion général dans le domaine de l’aide aux jeunes en difficulté. 

C’est même une double faute. D’abord, parce que chaque enfant ou jeune adulte a un droit non-négociable à un accompagnement adapté et respectueux, respectueux notamment de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre et de leurs caractéristiques sexuées, surtout lorsque ces aspects de leur identité ont fait l’objet de violences, notamment si leurs parents les rejettent. Ensuite, parce que ne pas former systématiquement les personnes œuvrant à l’accueil et à l’accompagnement des jeunes aux manières respectueuses d’aborder ces sujets et de contrer les stéréotypes et comportements LGBTI-phobes, cela revient à maintenir le silence du tabou et à ancrer la solitude des victimes. Ce faisant, nous validons sans un bruit l’existence de ces violences que nous proclamons dénoncer.

C’est pourquoi nous lançons un appel aux élu·e·s départementaux, aux candidat·e·s aux élections départementales des 13 et 20 juin prochain et aux professionnel·le·s de l’action sociale pour un accueil adapté et sans discrimination. Il n’est que temps de convenir que la protection des enfants et des jeunes LGBTI+ relève de notre devoir commun. Et que ce devoir doit déterminer, aux côtés des acteurs associatifs particulièrement experts, des politiques communes, publiques, pleinement égalitaires et engagées.

Signataires :

Flora Bolter, co-directrice de l’Observatoire LGBT+ de la Fondation Jean-Jaurès, co-animatrice de Fiertés en commun - Joël Deumier, ancien président de SOS homophobie, co-animateur de Fiertés en commun - Denis Quinqueton, co-directeur de l’Observatoire LGBT+ de la Fondation Jean-Jaurès – Yohann Allemand, président de l’Association de défense des anciens du Refuge – Arnaud Alessandrin, sociologue – Lyes Bouhdida-Lasserre, adjoint au maire du 20e arrondissement chargé de la Petite enfance, de la jeunesse et de la Vie étudiante - Stephane Bribard, responsable de structure médico-sociale - Véronique Cerasoli, Féministe et militante pour les droits LGBTI+ - Arnaud Gallais, directeur général d’Enfant présent - Geneviève Garrigos, conseillère de Paris - Anna Gaudino, directrice d’établissement social - Lyes Louffok, membre du Conseil national de la protection de l’enfance – Laurence Vanceunebrock, députée de l’Allier - Bernard Loye, secrétaire-adjoint de l’Association de défense des anciens du Refuge - Lennie Nicollet, président d’HES LGBTI+ - Ferhat Ould Ouali, Fiertés en commun - Muriel Salmona, psychiatre, présidente de Mémoire Traumatique et Victimologie - Gabrielle Siry-Houari, adjointe au maire du 18e arrondissement de Paris, porte-parole du Parti socialiste