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interviewYannick Jadot : "Il faut réfléchir aux conditions d’une GPA éthique"

Par Marie-Pierre Bourgeois le 14/06/2021
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[Interview] Déjà candidat à la présidentielle de 2017, l’eurodéputé EELV Yannick Jadot prépare la route de son parti pour celle de 2022. Nous l'avons rencontré.

Interview Marie-Pierre Bourgeois & Romain Burrel

Il n’est pas encore candidat à la présidentielle de 2022, même s’il vient de lancer une "plateforme d’idées", 2022lecologie.fr. Mais, au beau milieu d’une crise sanitaire mondiale et après les excellents scores d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) aux municipales de 2020, c’est le bon moment pour interviewer Yannick Jadot.

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Ces derniers temps, on a un peu de mal à situer son parti sur des questions comme la PMA, la GPA, la lutte contre l’homophobie… Pour TÊTU, l’eurodéputé âgé de 53 ans esquisse les grandes lignes de ce qui pourrait être un programme LGBTQ+ pour la présidentielle.

Vous avez sous les yeux un TÊTU avec, en couverture, Christiane Taubira. Si elle se présente en 2022, votre parti la soutiendra-t-elle ?

Yannick Jadot : Christiane Taubira a écrit de belles pages de l’histoire et de la politique française. C’est une femme de conviction et de combat. J’espère qu’elle participera au grand rassemblement autour de l’écologie, de la démocratie et de la justice sociale que je veux construire. Ma conviction est que l’écologie est la seule force politique d’avenir, la matrice qui nous permet de réconcilier l’environnement et la santé avec la justice sociale, et l’émancipation individuelle et collective. Puisque Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron sont déjà candidats, nous devons rassembler toutes les personnes qui se situent entre eux – humanistes, progressistes et écologistes – pour gagner en 2022.

EELV a longtemps été à l’avant-garde des combats LGBTQ+. Mais on voit peu de nouvelles propositions…

Tant mieux si la société française a profondément évolué ! Je pense que nous y avons contribué. Les écologistes restent à l’avant-garde de ce combat. La vice-première ministre belge, Petra De Sutter, est une écologiste, et c’est la toute première femme trans à accéder à ce niveau de responsabilité en Europe. Comme député européen, je fais partie de l’Intergroupe LGBTI. Et vous savez combien la situation est dramatique en Pologne, notamment. Trop souvent, en Europe et en France, les combats pour les droits LGBTQ+ sont instrumentalisés et, parfois, hystérisés. Droite et gauche se ressemblent aujourd’hui tellement sur l’économie qu’elles se sentent obligées d’hystériser le débat sur les questions sociétales. Cela génère beaucoup de violence et de souffrance. Il nous faut apaiser ces débats pour obtenir l’égalité réelle.

"Les multiples possibilités d’avoir des enfants apportent beaucoup de bonheur à de très nombreuses familles"

Il y a chez EELV une méfiance autour de la science, que ce soit sur les vaccins ou sur la PMA. Êtes-vous personnellement favorable à la GPA ?

Je le dis clairement : il ne peut pas y avoir de marchandisation du corps des femmes. On voit bien l’enjeu social autour de cette question : louer les services et le corps des femmes. Nous avons aujourd’hui de multiples possibilités d’avoir des enfants, ce qui apporte beaucoup de bonheur à de très nombreuses familles. Cela justifie de réfléchir aux conditions d’une GPA éthique.

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Il nous faut créer les conditions d’un débat sur les contours d’une possible régulation. Pourquoi pas à travers une convention citoyenne ou une conférence de consensus préalablement à un débat parlementaire ? Ce serait l’occasion de casser les malentendus, de peser les situations très humaines qui sont en jeu, et les écueils. Ces débats montreront qu’il est possible de parler sereinement des questions LGBTQ+. Ma conviction est que les Françaises et les Français sont prêts à débattre et à avancer en intelligence et en responsabilité. La Manif pour tous n’est pas la France !

Vous proposez d’ailleurs de créer un statut pour les parents sociaux à côté de celui des parents biologiques…

Ce sujet ne concerne pas seulement les couples LGBTQ+. Il peut intéresser les couples hétérosexuels, notamment dans le cadre des familles recomposées. Récemment, on m’a raconté l’histoire d’un couple d’hommes qui avait fait une GPA à l’étranger. De façon volontaire, le père biologique n’a pas reconnu son enfant, mais son compagnon l’a fait : ainsi, si le couple se sépare, le père biologique n’aura pas de problème à faire reconnaître ses droits sur l’enfant. L’état actuel de notre droit donne lieu à ce type de situation ubuesque. Il faut sécuriser le statut des parents sociaux.

"Nous aurions aimé que la PMA soit ouverte aux hommes trans en capacité de procréer"

Pourquoi le groupe EELV au Sénat s’est-il abstenu sur l’ouverture de la PMA aux couples de lesbiennes ?

Nous nous sommes abstenus parce que le manque d’ambition du Sénat était sidérant [La majorité de droite au Sénat a retoqué l’article 1 du projet de loi, n’autorisant la PMA qu’aux couples de lesbiennes et pas aux femmes seules, comme cela avait été voté à l'Assemblée]. Cependant, nous pourrions voter ce texte de loi bioéthique [Le texte revient à l'Assemblée pour le vote final, le 29 juin], même s’il y a quelques oublis, notamment pour les personnes trans. Nous aurions, par exemple, aimé que la PMA soit ouverte aux hommes trans en capacité de procréer.

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Que proposez-vous pour faciliter le changement d’état civil des personnes trans ?

Nous souhaitons avant tout dépsychiatriser et déjudiciariser les changements d’état civil, qui s’apparentent aujourd’hui à de vrais parcours du combattant. En tant qu’écologistes, nous croyons fermement à l’autodétermination. Il faut pouvoir changer de genre sur simple déclaration à l’état civil et pouvoir le faire de façon gratuite. L’enjeu n’est pas seulement de lutter contre la transphobie : la diversité dans la société, comme dans la nature, est une force.

Une jeune adolescente trans s’est suicidée à Lille en décembre 2020. Comment mieux accueillir les élèves trans à l’école ?

L’école est aujourd’hui le premier lieu de souffrance pour les personnes LGBTQ+. Nous devons arriver à faire progresser toute la communauté éducative pour mettre en œuvre une meilleure inclusion. La question est double : aborder la question de l’orientation sexuelle et des identités de genre pour déconstruire les phobies identitaires, et former les personnels pour identifier les signaux de souffrance des jeunes en difficulté. Là encore, les associations pourraient intervenir pour accompagner l’ensemble des forces éducatives.

Les personnes LGBTQ+ sont la cible de nombreuses agressions. Que proposez-vous pour assurer notre sécurité ? EELV n’est pas le parti le plus à l’aise sur ce sujet…

D’abord, il faut cesser de dire que nous ne serions pas sérieux sur les questions de sécurité. Que la droite prétende incarner la sécurité n’est pas honnête : c’est Nicolas Sarkozy qui a supprimé 13.000 postes dans la police. Mais vous avez raison de dire qu’il faut agir plus efficacement. On constate une hausse des violences sur les personnes LGBTQ+ partout sur le territoire. À Lyon, Grégory Doucet, le maire EELV, s’est battu pour obtenir 200 policiers de plus. Il faut aussi renforcer les moyens aux associations par des subventions plus importantes afin de mieux accueillir les personnes agressées. C’est aussi l’action que nous menons à Rennes. Je sens aujourd’hui beaucoup de fatigue, d’usure, du côté des associations, qui ont l’impression de se battre quotidiennement avec des budgets très faibles.

"Pour lutter contre les violences faites aux personnes LGBTQ+, il faut mieux former les policiers"

Grenoble est dirigée par l’écologiste Éric Piolle depuis 2014. La criminalité y a beaucoup augmenté, notamment contre les personnes LGBTQ+…

Qu’il y ait des villes où il y a des problématiques sécuritaires fortes, c’est vrai. Mais à Grenoble la situation est ancienne, et Éric Piolle agit avec détermination, sachant qu’une grande partie des moyens relèvent de la police nationale. Si l’on veut avancer dans la lutte contre les violences faites aux personnes LGBTQ+, il faut notamment mieux former les policiers. Il y a un problème global au sein de la police et de la gendarmerie sur la question des agressions et des violences sexuelles au sens large. Il faut prévoir deux dispositifs : d’abord former dès l’école de police à ces sujets, puis mettre en place de la formation continue pour que les policiers, aujourd’hui, sur le terrain, aient des clefs de compréhension. Ces stages de sensibilisation seraient montés par des associations qui viendraient dans les commissariats. J’insiste : des associations. On ne veut pas voir McKinsey former les policiers.

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D’après le Syndicat du travail sexuel (Strass), la pénalisation du client entraîne "violences", "précarité économique et fragilité" pour les travailleuses du sexe…

Arrêtons-nous un instant sur l’expression "travailleuse du sexe". Quand on l’utilise, on a l’impression que le seul angle d’approche est la situation de personnes qui ont choisi d’exercer ce métier. La traite des êtres humains est pourtant une partie énorme de la prostitution que nous connaissons en France et ailleurs, et les moyens mis dans la police sont trop faibles au regard de l’ampleur du trafic et des filières. Il y a urgence à agir contre les réseaux de proxénétisme afin de protéger les personnes exploitées, et à dégager des moyens pour les réinsérer.

Il faut évidemment aussi protéger les hommes et les femmes qui ont choisi cette situation, en levant toutes les dispositions qui pénalisent les clients et les prostitué·es. Toutefois, quand je regarde ce que font les autres pays européens, je constate qu’il n’y a pas de pays modèle sur le sujet. Aux Pays-Bas par exemple, la situation dans les maisons closes ressemble à de l’abattage, alors que le cadre juridique est très clair.

La Pologne et la Hongrie ont attaqué les droits des personnes LGBTQ+. Faut-il exclure ces pays de l’Europe ?

La défense des droits et des libertés fondamentales est inscrite dans les traités de l’Union européenne (UE). Les pays ne peuvent s’y soustraire impunément. Avant d’exclure un pays, il faut utiliser tous les moyens pour faire respecter ces droits. Beaucoup des pays membres ont rejoint l’UE parce qu’elle offre un espace de protection de la démocratie et des libertés, alors qu’ils sortaient de dictatures. Malgré l’opposition de la Pologne et de la Hongrie, notamment, nous sommes parvenus à mettre en place un mécanisme européen pour priver de fonds les pays qui violent l’État de droit. Cela comprend évidemment les violences vis-à-vis des communautés LGBTQ+.

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Les sanctions budgétaires porteront seulement sur les infractions à venir, certes, mais c’est une vraie avancée. Et le Parlement européen n’a rien lâché alors que la Pologne et la Hongrie menaçaient de bloquer le plan de relance et le budget européen si cette disposition était votée. De manière plus générale, nous nous battons au niveau européen pour que la persécution des personnes LGBTQ+ soit pleinement reconnue lors des demandes d’asile.

Faut-il cesser toute relation diplomatique et commerciale avec des pays qui condamnent à mort l’homosexualité, comme le Qatar par exemple ?

Les gouvernements qui se succèdent ont malheureusement démontré beaucoup de complaisance avec l’Égypte, l’Arabie saoudite, le Qatar ou la Russie. Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, est dramatiquement silencieux sur ces questions, privilégiant les contrats d’armement. Et puis il y a les promesses médiatisées et la réalité des actes. Emmanuel Macron annonce se retirer de l’accord UE-Mercosur en août 2019, mais en réalité les discussions se poursuivent entre l’UE et le Brésil, alors même que ce pays compte un nombre effrayant d’agressions contre les LGBTQ+ – et détruit l’Amazonie et le climat.

L’UE doit mieux défendre ses valeurs, qui sont universelles lorsqu’elles touchent aux libertés fondamentales. Rien n’est simple dans le monde d’aujourd’hui, mais l’Europe est le premier marché mondial. Utilisons mieux notre puissance économique afin de créer un rapport de force sur les valeurs. Plutôt que de dérouler le tapis rouge au président russe à Versailles ou à Brégançon, recevons-le au niveau européen. Les dictateurs ne connaissent que le rapport de force. Agissons en conséquence, sans arrogance mais sans naïveté !

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