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chemsexOlivier Véran dans TÊTU : "Les enfants nés de GPA ne sont pas malheureux"

Par Nicolas Scheffer le 17/06/2021
Olivier Véran dans son bureau au Ministère de la Santé, le 10/05/2021

Depuis son arrivée au ministère de la Santé, Olivier Véran a été accusé de délaisser les sujets LGBTQI+. PMA pour toutes, chemsex, VIH, parcours de transition... les attentes ne manquent pas. Alors que la loi bioéthique arrive sans sa phase finale, le ministre défend son bilan, marqué par le Covid-19.

En arrivant au ministère de la santé en février 2020 – en remplacement d’Agnès Buzyn –, Olivier Véran n’a pas pris le temps de changer les tableaux de son bureau, comme le veut la tradition, et a choisi "une croûte" presque au hasard dans le catalogue du mobilier national. Pourtant, lorsqu’il déboule dans son bureau, où nous l’attendons, le ministre ne semble pas accablé par un an de gestion de crise sanitaire et s’autorise même une blague sur le succès, au sein de la communauté, de la photographie de sa vaccination.

>> L'interview du ministre est dans le numéro d'été 2021 de TÊTU >>

Blagueur et détendu, on en oublierait presque que l’épidémie de coronavirus a mis à mal de nombreux sujets LGBTQI+. La PMA pour toutes ? En retard. La lutte contre le VIH ? En berne. Le chemsex ? Il explose. Quatre ans après l’élection d’Emmanuel Macron, le gouvernement peine à convaincre. Mais Olivier Véran y croit. "On va se donner les moyens", répète-t-il comme un mantra.

L’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, promesse de campagne d’Emmanuel Macron, n’est toujours pas votée. Que dites-vous à toutes ces femmes qui attendent depuis si longtemps ?

En France, il doit être exclu de refuser un droit en fonction de l’orientation sexuelle, du genre ou de l’origine. C’est totalement anachronique et c’est ce à quoi nous voulons mettre un terme avec la PMA pour toutes. Votée dans le cadre des lois de bioéthique, elle ne pouvait pas suivre une procédure accélérée. Il y a une exigence de débat démocratique à laquelle nous nous sommes tenus. Néanmoins la dernière lecture à l’Assemblée ira très vite et devrait avoir lieu d’ici l’été. Nous avons travaillé et anticipé pour qu’un maximum de décrets sortent dès que la loi sera promulguée, et pour que les financements soient au rendez-vous. Je souhaite que les parcours de PMA puissent être initiés pour les femmes concernées dès cet été.

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Le projet de loi va-t-il assez loin ?

Généralement, la loi vient entériner des pratiques clandestines en France, quelque-fois légales à l’étranger, et qui sont donc acceptées d’un point de vue éthique. Je n’estime pas qu’une loi bioéthique puisse répondre à tous les enjeux du moment. Sur la PMA, j’ai eu à me prononcer en tant que député. Je me suis énormément interrogé sur des sujets comme la technique de la réception d’ovocytes de la partenaire (Ropa) ou la PMA post-mortem.

Pourquoi refuserait-on à une femme d’accéder aux ovocytes de sa compagne dans le cadre d’une PMA ?

(Il cherche ses notes.) C’est un sujet important qui a fait l’objet d’un débat rigoureux. Il y a une logique sous-tendue par la notion de parent social et de parent biologique. Dès lors que, ce qui compte, c’est la primauté du parent social, introduire du biologique crée deux niveaux de maternité au sein d’un couple de femmes. Certaines militent contre la Ropa pour cette raison.

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Comment justifier que les hommes transgenres en capacité de procréer ne puissent accéder à la PMA ?

L’accès à la PMA est ouvert à toutes les femmes, en couple ou célibataires. La loi n’opère pas de distinction entre personnes cisgenres et transgenres : seul est pris en compte l’état civil de la personne, qu’il ait évolué ou non.

Pourquoi le Sénat a-t-il rejeté en seconde lecture l’article 1 du projet de loi ?

La majorité sénatoriale s’est, semble-t-il, emmêlé les pinceaux. Ils se sont retrouvés à voter des amendements qui allaient bien au-delà de la ligne qu’ils avaient toujours majoritairement défendue. À la fin ils se sont retrouvés avec un texte tellement détricoté qu’ils ont en bloc voté contre. Cet imbroglio pendant l’examen du texte, nous allons le résoudre avec la nouvelle lecture (votée définitivement le 29 juin, ndlr).

"À l’automne nous présenterons des mesures afin d’adapter notre stratégie de lutte contre les IST"

L’épidémie de coronavirus a eu un impact considérable sur la lutte contre le VIH. Ce virus-là est-il secondaire pour le gouvernement ?

Ne me dites pas ça à moi, qui suis médecin. J’ai redoublé de messages de prévention et d’appels à la population afin qu’elle continue de se faire dépister. Mais les chiffres sont têtus. Entre mars et mai 2020, on a assisté à une baisse du dépistage de 56 %, et il n’y a pas eu de rattrapage. Entre 2019 et 2020, on constate -10 % de dépistages du VIH. La préoccupation est réelle.

Avec, notamment, des Cegidd fermés pendant le confinement...

On s’est battus pour les laisser ouverts le plus possible. À quatre reprises nous avons passé des consignes nationales pour la continuité d’activité des Cegidd, et nous avons aussi appuyé les associations autorisées à pratiquer des tests rapides (Trod). Notre objectif pour 2023, c’est de réduire drastiquement l’incidence des IST les plus fréquentes et les plus graves (syphilis, gonococcies et chlamydia) et d’avoir une augmentation nette de la couverture vaccinale contre l’hépatite B et le HPV. Maintenant nous allons bientôt savoir si la baisse du dépistage a eu un impact sur la circulation du VIH. Et à l’automne nous présenterons des mesures qui seront mises en œuvre dans la foulée afin d’adapter notre stratégie de lutte contre les IST. Quand il s’agit de prévention, on sait mettre les moyens.

"Le militantisme embête l’État, mais c’est grâce à ça qu’on avance"

Ne faudrait-il pas une grande campagne nationale ? Avec des spots pour inciter à se faire dépister ?

Ce sera sans doute l’une des recommandations de la feuille de route sur la santé sexuelle dont nous aurons bientôt les conclusions. Cette communication grand public devra notamment toucher les personnes éloignées de la communauté. Nous devons aussi poursuivre les actions de la précédente feuille. Je pense à l’expérimentation des centres de santé communautaires ou à la création d’une semaine du dépistage, laquelle, lancée en 2019, a dû être interrompue à cause de la crise sanitaire.

Les associations disent devoir compenser l’absence de l’État sur le terrain. Ça ressemble à un désengagement...

Elles sont souvent allées plus loin que l’État, et c’est une chance pour notre pays. C’est la pression des associations qui a permis de faire évoluer les choses, notamment sur la PrEP. S’il n’y avait pas eu Aides dans le cadre du programme d’échange de seringues, on aurait eu encore plus de retard. Parfois, le militantisme embête l’État, il peut être virulent et aller trop vite par rapport à ce que les administrations sanitaires voudraient porter, mais c’est aussi grâce à ça qu’on avance. C’est aussi une demande des associations de se voir confier une sorte de délégation de service public, soutenue financièrement par l’État. Quand il y a des actions de dépistage dans des boîtes de nuit, des bars ou d’autres lieux communautaires, c’est plus efficace d’avoir des associations que d’y envoyer des personnels administratifs.

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Quels moyens mettez-vous en œuvre contre le VIH ?

La diffusion de la PrEP en primo prescription en médecine de ville – que nous mettons en place pour en faciliter l’accès –, les campagnes grand public, le soutien à tous les réseaux pros et associatifs afin de toucher tout le monde… La baisse du dépistage est l’occasion de relancer une politique de santé très proactive en matière de santé sexuelle. Il est hors de question que la crise soit un prétexte pour laisser se diffuser le VIH et les autres IST sur l’ensemble du territoire.

Avec la fusion des agences pilotant les recherches contre les hépatites, contre le VIH et contre les virus émergents, ne risque-t-on pas de piocher sur des fonds dédiés à la lutte contre le VIH pour aller combattre un futur virus?

Cette fusion permet d’être plus efficace et  mieux coordonné dans la lutte contre les virus, en évitant de dilapider nos forces dans des séries de projets parfois contradictoires. Nous sommes déterminés à affronter le VIH et à le vaincre. Cela demande des moyens financiers, il n’y a pas de secret. Avec le Covid-19, on n’est pas allé piquer des moyens à la recherche existante, on en a rajouté : quand vous avez  une nouvelle menace, il faut rajouter des fonds. Nous avons besoin de structures de recherche opérationnelles, de réseaux de recherche plus étendus et de davantage de coopération internationale.

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Je ne crois pas que ceux qui me succéderont dans ce bureau auront en tête de réduire les fonds contre les maladies émergentes, surtout après le Covid-19. J’imagine le tollé, qui serait justifié, si un ministre osait diminuer les budgets consacrés à la recherche contre le VIH. Enfin, avec un pouvoir démocratique… Car les pays qui ont basculé dans l’extrême droite n’ont pas développé la recherche contre les IST, bien au contraire. Là-bas, tout s’effondre en matière de dépistage, de recherche, d’accompagnement, de traitements… Sur ces sujets, le Brésil était un modèle, puis il a basculé sous Bolsonaro, et l’homophobie  y est aujourd’hui crasse. La lutte contre le VIH, ce n’est pas dix ans de retard qu’elle prend alors, mais beaucoup plus.

Avec le déconfinement, anticipez-vous une explosion du phénomène du chemsex?

Il nous faudra être très attentifs à ce que le déconfinement ne s’accompagne pas de conséquences sanitaires dramatiques. Le phénomène du chemsex est inquiétant, les substances concernées sont extrêmement dangereuses et addictives, donc le risque est majeur. Il y a des morts, et 10 à 15 % des hommes qui pratiquent le sexe avec d’autres hommes (HSH) disent avoir pratiqué le sexe sous l’emprise de stupéfiants. Les indicateurs sont extrêmement inquiétants.

"La réduction des risques, c’est la seule méthode de santé qui vaille"

Avant vous, Agnès Buzyn disait vouloir s’emparer du sujet. À un an de l’élection  présidentielle, aurez-vous le temps de lancer une politique? 

Une étude a été financée en  2019 pour mieux comprendre ce phénomène. On doit désormais en tirer les enseignements pratiques. Des actions sont d’ailleurs en cours avec le soutien du ministère: le Réseau de prévention des addictions (Respadd) a, par exemple, élaboré un livret d’information. Le ministère soutient également un appel à projets pour lutter contre les addictions dans les villes de Marseille, Bordeaux et Paris. Le phénomène reste émergent; la première étude date de 2015. On attend de l’État qu’il apporte des solutions à des pratiques illégales et souterraines, mais ça se saurait s’il suffisait de dire “arrêtez” aux usagers de drogue. Ça ne fonctionne pas comme ça.

Il faut s’assurer que tout le monde a conscience du risque, puis faire de l’accompagnement et prendre en charge les personnes de A à Z. La réduction des risques, c’est la seule méthode de santé qui vaille. Plus les gens sont éloignés du système de soins, plus il faut redoubler d’efforts. Il n’y a pas de société sans drogue. Dans les pays où la peine de mort est appliquée pour les usages de stupéfiants, il y a toujours des consommateurs. Il y a également, dans le cas du chemsex, une nécessité de prévoir un accompagnement psy. Je souhaite le faciliter et le faire savoir.

En 2015, vous fustigiez la logique répressive en matière de stupéfiant. Et pourtant, Gérald Darmanin dit vouloir faire la guerre aux trafiquants et aux usagers... Il y a donc deux lignes au sein du gouvernement ?

La réduction des risques, c’est la seule méthode de santé qui vaille. Plus les gens sont éloignés du système de soin, plus il faut redoubler d’efforts. Lorsque j’étais parlementaire, j’ai défendu mordicus les salles de consommation à moindre risque. Je m’étais pris des tombereaux de critiques... Mais ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas de l’interdiction à côté. 

Mais ces deux logiques ne peuvent pas cohabiter : en réprimant, on éloigne du parcours de soins.

Pas nécessairement. D’un côté nous devons dissuader l’usage et la consommation de stupéfiants de manière générale, y compris par la politique pénale, et de l’autre accompagner celles et ceux qui en sont victimes. Il faut sortir d’une dichotomie où soit vous sortez le bâton, soit vous supprimez toutes les règles. Certains ont une vision purement moralisatrice de ces sujets, ce n’est pas la mienne.

La ministre en charge de l’égalité, Élisabeth Moreno, s’est dite favorable à une “GPA éthique”. Quelle est votre position

(Il fait la moue.) C’est un sujet compliqué. La GPA ne fait pas partie du programme politique sur lequel le président a été élu. Le débat, là-dessus, est clos. Si je regarde ce qui se passe dans les pays qui l’ont mis en place, les statistiques montrent que les enfants nés de GPA ne sont pas malheureux.  Prétendre l’inverse serait, factuellement, faux. Dire que la mère qui porte l’enfant, dans un cadre éthique, serait malheureuse, c’est également statistiquement erroné. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas des situations difficiles. Le point dur de la GPA, c’est la non-commercialisation du corps. Je ne serais pas choqué qu’un jour on puisse en débattre et que cela permette d’éclairer la représentation nationale.

À titre personnel, vous serez de quel côté dans ce débat?

Comme pour la fin de vie, j’arriverai sans esprit militant. Honnêtement, je ne peux pas me prononcer de façon binaire sur un sujet aussi impactant. Mais les arguments naturalistes ne sont pas les miens.

Une proposition de loi vise à interdire les “thérapies de conversion”. Peut-on espérer qu’elles le soient avant la fin du quinquennat?

Elles sont déjà interdites : abus frauduleux  de l’état d’ignorance et de la situation de faiblesse, mise en danger de la personne et escroquerie. Le Code de santé publique les interdit également au titre de l’exercice illégal des professions de santé. Le Code de la consommation aussi, au titre des pratiques commerciales trompeuses. Ces pratiques sont donc, de fait, interdites par le droit. Il faut le rappeler, le marteler pour que les victimes portent plainte. Ce sont des pratiques anachroniques et barbares.  Mais c’est moins le droit qu’il faut changer que l’état d’esprit des gens et leur rapport à l’homosexualité ou à la transidentité.

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 Tant qu’il y en aura qui considéreront qu’il est anormal d’avoir telle ou telle pratique sexuelle, qu’on ne peut pas ne pas se sentir en adéquation avec son corps, alors on n’aura pas terminé le travail. Il ne faut rien céder à ces réseaux qui bousillent la vie de gamins en se jouant de la crédulité de leurs parents. S’il faut adapter la loi, alors allons-y. Mais je crois que les textes dont nous disposons suffisent. Ce qui importe, c’est avant tout de les faire appliquer. Partout. Sans trembler. Je m’y engage.

Comme député, vous aviez remis un rapport parlementaire sur le don du sang. Vous appeliez  à actualiser les critères de sélection  des donneurs, notamment sur l’orientation sexuelle. À quand?

 Les normes évoluent régulièrement, et la durée d’abstinence est passée à quatre mois. J’ai saisi toutes les autorités sanitaires pour continuer à faire évoluer ces règles. À mesure que les études avancent, on se rend compte que le surrisque supposé est de plus en plus faible, ce qui nous permet de réduire cette durée d’abstinence. On va donc arriver à une situation équilibrée, quelles que  soient les pratiques. Plus on a d’arguments rassurants pour les bénéficiaires, plus on va réussir à normaliser ça.

Pareillement, ne faudrait-il pas revoir le parcours de soins concernant les transitions de genre?

Je veux qu’on dépsychiatrise les parcours de transition pour les personnes trans genres. Nous nous sommes mis au travail avec les associations pour faire un état des lieux des prises en charge actuelles et dresser une vraie feuille de route. Dans ce cadre, j’ai saisi la Haute Autorité de santé  afin de revoir tout le parcours de transition, le simplifier, et qu’on soit au moins en conformité avec le parcours de l’OMS. Je  me suis également assuré que ses travaux  commenceront dès début 2022. (Sa secrétaire le presse une nouvelle fois de se rendre au Parlement.) Je ne peux pas être en retard,  c’est dans la Constitution. 

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Photo : Olivier Véran dans son bureau au Ministère de la Santé, le 10/05/2021
© Samuel Kirszenbaum