Abo

cinéma"Les Démons de Dorothy" : Alexis Langlois, le réalisateur queer qui s’attaque au cinéma de papa

Par Franck Finance-Madureira le 14/01/2022
cinéma,les démons de dorothy,alexi langlois,film,gay,dorothy,lio,film queer,court métrage

Jeune réalisateur français, Alexis Langlois est en pleine préparation de son premier long-métrage, Les Reines du drame, mais aujourd’hui c’est son dernier court, Les Démons de Dorothy, récompensé cet été au festival de Locarno, qui a les honneurs d’une sortie en salles et en VOD. Portrait d’un cinéaste queer et inspiré qui compte bien réveiller le cinéma français !

Quand on parle d’Alexis Langlois avec Lio, alternativement chanteuse pop culte, actrice de films indés branchés, féministe engagée, et, désormais, muse punk trash des Démons de Dorothy, cinquième court-métrage de la carrière du jeune réalisateur qui redéfinit les contours d’un cinéma queer français, elle évoque un grand enfant qui sait où il va : "Alexis, c'est un coup de foudre, j'adore être avec lui, je trouve qu'il a quelque chose du Joker, quelque chose qui fait qu’il est toujours sur la tangente et qui est très fort. Il est toujours dans une espèce de jeu, c'est ça que j'aime. Il vend des terrains de jeu qui sont hyper jouissifs, ludiques et d’une mécanique extrêmement précise".

À lire aussi : Ces films LGBTQI+ qu'on a hâte de voir en salles en 2022

Alexis Langlois est repéré dès 2016 avec son film Fanfreluches et idées noires, récit virevoltant et trash d’un after qui n’en finit plus de finir avec sa galerie de personnages hors-normes qui constituera son vivier d'interprètes, parmi lesquels sa sœur Justine, égérie "number one" qui fait souvent office d’alter ego pour le cinéaste. Suivra une comédie musicale très 80’s sur la rupture, A ton âge, le chagrin s’est vite passé, et le fameux De la terreur mes sœurs, fantasme de "revenge" d’une bande de filles trans aux caractères bien trempés, en révolte contre l’hétéro-patriarcat.

C’est sur ce film que la réflexion prend forme et que la suite se dessine : "Toute cette période avec De la terreur mes sœurs, raconte Alexis Langlois, a vraiment réveillé plein d'angoisses sur le fait d'avoir envie de faire du cinéma même si ça peut être difficile pour quelqu'un qui ne vient pas du milieu… Je me suis posé pas mal de questions sur comment réussir à faire des films. Moi qui avais toujours fait des films dans mon coin presque sans d'argent, j’ai commencé à ce moment à avoir des envies de mises en scène fortes donc de budgets plus importants pour lesquels il fallait que je me plie au jeu des commissions tout en essayant de continuer à faire les choses qui m'excitaient".

De Buffy aux Démons de Dorothy

Dur labeur, d’autant que les retours des fameuses commissions d’aide au développement ou au financement sont au mieux circonspects, au pire teintés d’une homo/transphobie qui ne dit pas son nom : "Il y avait une dimension militante dans le film qu’en général les gens n'aimaient pas. C'est vrai qu’il y eu des retours de commissions assez violents, parfois homophobes et souvent transphobes. Que les gens n'aiment pas ce que le film raconte, c'est une chose, mais en fait ils n'aimaient pas la proposition non plus, et j’ai beaucoup entendu qu’on ne pouvait pas faire ça et que pour mettre en scène des personnes trans, il fallait les montrer dans leur quotidien douloureux, leur transition… Là, c'était une comédie, le problème ne venait pas d'elles mais de l'extérieur et en plus elles se vengeaient !". 

"Je me suis dit que ça serait quand même intéressant de réunir en un personnage toutes les angoisses qu'on peut avoir quand on est une personne queer."

Alexis Langlois

C’est à cette période que naît l’idée des Démons de Dorothy, et de son attaque en règle d’un certain "cinéma de papa", aux mains d’une bourgeoisie hétérosexuelle bon teint qui porte un regard lointain sur celles et ceux qui sont différents : les lesbiennes, les queers, les personnes trans, les personnages non-conformes ou hors-normes… "À force de raconter ces histoires aux amis ou aux autres personnes qui font du cinéma, poursuit Langlois, je me suis rendu compte que plus ou moins tout le monde vivait ça. Je me suis dit que ça serait quand même intéressant de réunir en un personnage toutes les angoisses qu'on peut avoir quand on essaye de faire des films ou d’avancer dans la vie quand on est une personne queer. Je crois que cela peut parler à beaucoup de monde. L'aspect comédie est arrivé très vite, il permet en fait de se libérer plus fort ! D'une manière détournée, c'est mon histoire qui est racontée dans le film avec mon goût pour la satire qu’il fallait creuser au maximum, avec l’idée d’en faire aussi un film fantastique puisqu’il y a vraiment cette référence à Buffy contre les vampires. Dans Buffy, les angoisses et les démons adolescents sont vraiment incarnés par de vrais démons, il y a de nombreux personnages queers, des sorcières, des femmes badass, c’est ce que Les Démons de Dorothy doit à cette série !".

"Les Démons de Dorothy" : Alexis Langlois, le réalisateur queer qui s’attaque au cinéma de papa
© shellac

Dorothy, jeune cinéaste lesbienne dont les idées noires se projettent sur la page blanche numérique, est aux prises avec ses peurs et cet équilibre introuvable entre la création et sa réception par ceux qui décident et ne comprennent pas. "Le film n’est pas dirigé contre les commissions, précise Langlois, mais pose la question de qui lit les scénarios. Effectivement je pense qu'il y a très peu de personnes queers, qu'il y a beaucoup moins de femmes que d'hommes, et très peu de personnes racisées ! Mais ça permet d'avoir un personnage, Dorothy, qui est une version de moi en pire, et, du coup, on peut y aller fort. Ce qui est dit à Dorothy, c'est vraiment un concentré des pires remarques que j’ai entendues, disons que tout est vrai, mais que c'est un concentré. Ce qui permet de grossir le trait, et de permettre de comprendre la violence d’un propos comme 'ça ne parlera à personne'. Et c'est mal connaître le public. Moi je ne prétends pas que mes films peuvent plaire à tout le monde, mais visiblement, il y a des gens qui ont envie de voir ce genre de film".

Autour de Dorothy, interprétée par Justine Langlois, s’animent Petula, une productrice ingérable (Nana Benamer), et, en guise d’ennemie jurée de l’héroïne, une jeune prodige du cinéma adulée et jalousée, Xena Lodan, interprétée par Dustin Muchuwitz, vu récemment dans le très beau court de Naïla Guiguet, Dustin. Nana Benamer et Dustin Muchuwitz campaient déjà deux des personnages de femmes trans affirmées de son précédent film. "En gros, détaille le réalisateur, il y avait plein de copines qui avaient joué dans De la terreur… mais j’hésitais pour le personnage de productrice, qui pouvait être très différent selon l'actrice. J’ai fait un casting de copines ce qui n'était pas un moment très agréable. Les autres étaient super mais Nana apportait à la fois quelque chose de très burlesque parce qu'elle a un talent comique très fort mais aussi une sorte de fragilité et de douceur. Dans la vie je n'ai pas de Némésis, il fallait donc un personnage qu'on adore détester. Pour créer Xena Lodan, la cinéaste que joue Dustin, j'ai repris plein de phrases de réalisateurs ou de réalisatrices qui m’agacent, qui sont, à mon goût, un peu trop dépolitisés et pour qui tout paraît tellement simple !".

Lio, "monstrueusement fabuleuse"

Le film est traversé par la présence tantôt fantomatique et effrayante, tantôt "jack in the box" et complètement punk d’une mère envahissante et très critique interprétée par Lio, qui s’est visiblement amusée à retrouver un plateau, d'autant plus dans ce contexte particulier. "C'est un heureux hasard, se souvient Alexis Langlois, on s'est rencontré dans un jury de festival et j'ai dit à Lio que j'avais fait un de mes films en référence à Golden Eighties, un film de 1986 réalisé par Chantal Akerman et dans lequel elle jouait. Elle avait l'air hyper excitée, elle a vu mes films et on s'est dit qu'on avait envie de travailler ensemble. Je lui ai parlé de ce personnage de mère monstrueuse, elle a lu le scénario et a dit oui. Elle est vraiment drôle, elle a un côté BD, très Barbarella. Je pense que ça l'amusait de jouer avec toutes ces personnes qu'elle avait vues dans mes films et elle a un côté fondamentalement queer ! Lio a été monstrueusement fabuleuse !".

"Quand on est une vraie timide comme moi, on a envie qu'on vous pousse vers cette audace."

Lio

La comédienne-chanteuse-icône ne tarit pas d’éloge sur la liberté maîtrisée du jeune cinéaste : "On parlait souvent de moi en toujours 'too much', c’était toujours trop mais par rapport à quoi ? Et quand j'ai vu le cinéma d’Alexis, j'ai compris que s’il me proposait quelque chose, il n’allait pas le faire à moitié ! J'adore ça mais je me fais violence, c’était compliqué, il est ambitieux, il attend beaucoup. Quand on est une vraie timide comme moi, on a envie qu'on vous pousse vers cette audace. J’ai essayé d’être à la mesure de son énergie, j'en avais envie, et, simplement il m'a permis de le faire".

Prochaine étape : le long métrage. Et c’est avec Carlotta Toco, coscénariste des Démons de Dorothy, et Thomas Collinot, qu’Alexis Langlois a écrit Les Reines du drame. "C’est un film qui raconte un peu une histoire d'amour que j'ai vécue, livre-t-il, mais à travers un miroir un peu déformé par le genre, celui de la comédie romantique musicale. C'est une histoire d'amour sur 50 ans entre deux chanteuses qui seraient comme Mariah Carey et Rebeka Warrior. Le film évoque leurs difficultés à s'aimer avec leurs carrières et leurs caractères explosifs". Le projet vient de recevoir l’aide du CNC pour les films de genre, de la part d’une commission dirigée par… Arielle Dombasle. Il n’y a pas de hasard, Alexis Langlois a un don aussi développé pour plaire aux icônes que pour en créer. 

À lire aussi : "Scream" 5 : un retour aux sources exaltant pour la franchise culte

>> Les Démons de Dorothy d’Alexis Langlois,
séances spéciales en salles dès le vendredi 14 janvier 2022.
Le film est également disponible en VOD sur shellacfilms.com et en coffret DVD.

Crédit photo : Nicolas Fontas