En 18 ans d'existence, Plus belle la vie aura fait souffler sur la télévision française un mistral gagnant pour la représentation LGBT. Dans le magazine têtu·, l'interprète de Thomas, premier protagoniste gay de la télévision française, et celle d'Alexandra, nouveau personnage transgenre dans la saison finale, évoquent ce que la série de France 3 aura signifié à leurs yeux.
En dix-huit ans, du vent a soufflé sur le quartier du Mistral. Les couples se sont faits, défaits, des personnages ont tiré leur révérence, remplacés par de nouveaux et attachants visages… Mais tout à une fin, et le dernier épisode de Plus belle la vie sera diffusé le 18 novembre. Depuis le 30 août 2004, chaque soir, sur France 3, plusieurs millions de téléspectateurs (plus de 6 millions à son apogée) suivent les protagonistes de cette série populaire, centrée sur la vie quotidienne d’un quartier (fictif) de Marseille. Si elle a pu être critiquée pour la qualité de ses intrigues – par ailleurs propres à ce genre de feuilleton –, elle est la première production hexagonale à s’être saisie à bras le corps de si nombreux sujets de société, et à avoir autant fait œuvre de pédagogie auprès du grand public sur les questions LGBTQI+ et de nombreux autres débats d’actualité.
Depuis la première saison, Laurent Kérusoré interprète Thomas, premier personnage gay de premier plan dans une série française. Une révolution pour l’époque. Loin des caricatures dont le petit écran avait l’habitude, la série aura permis aux téléspectateurs de suivre les amours du jeune homme et de s’émouvoir de sa rencontre, puis de son mariage, avec Gabriel, ainsi que de l’adoption de Baptiste et Thérèse par le couple. “Finalement, le plus drôle, c’est que Thomas a vécu ma vie de rêve : se marier avec un beau médecin et avoir deux enfants”, s’amuse aujourd’hui son interprète.
Alexandra, nouveau personnage transgenre
Le dernier personnage queer à avoir intégré le quartier du Mistral, c’est Alexandra, une jeune femme trans rêvant de faire carrière dans la police. “Sa transidentité n’est pas forcément mise en avant, souligne Meryl Bie, son interprète, une actrice trans de 21 ans. On sait qu’elle est trans, que ça pourrait compliquer sa relation, mais ce n’est pas le sujet principal. Il s’agit plutôt d’aborder les enjeux que cela crée pour elle.”
Au cours des dix-huit saisons, un effort de représentation a été fait avec, entre autres, le couple lesbien formé par Céline et Claudia, ou encore avec le personnage Dimitri, interprété par Jonas Ben Ahmed, premier acteur trans de la série. “Souvent, on a ouvert des portes, développe Laurent Kérusoré, et c’est ce qui fait la force de Plus belle la vie. Les intrigues de la série abordent des sujets qui n’étaient pas traités à la télévision française jusque-là. Pourtant il ne faut pas craindre d’aborder un sujet qui n’est pas consensuel, ou d’introduire un nouveau personnage LGBTQI+, car ils existent déjà dans la société. On ne doit rien mettre de côté, et surtout personne.” Pour lui, l’erreur serait de se censurer par crainte de la réaction des spectateurs. “C’est justement en utilisant des pincettes qu’on fait peur, déclare-t-il simplement. C’est comme ça qu’on provoque la confusion. Si on parle des choses naturellement, l’autre les perçoit comme telles. Il ne faut pas prendre les téléspectateurs pour des cons, même lorsqu’on se place dans une optique d’éducation.”
Laurent Kérusoré et son personnage Thomas
Son rôle, Laurent Kérusoré l’a incarné avec sincérité et implication. “En découvrant le personnage, je l’ai trouvé touchant, loin d’être une caricature, se remémore l’acteur. Il était émotif, sensible, et c’est ce qui m’a plu chez lui. La force des auteurs a été de donner vie à un personnage touchant, et non d’en faire « l’homosexuel du quartier ». Ce n’est pas un PD qui débarque, mais un enfant qui cherche son père.” Si Laurent Kérusoré est gay, la force politique de son rôle l’a un peu dépassé. “Je suis comédien avant tout”, affirme-t-il avec humilité. S’il a toujours refusé de faire de son personnage un “étendard de l’homosexualité”, il est fier d’avoir pu permettre à certains jeunes de trouver un appui et des réponses à travers lui : “Quand tu es adolescent et que tu vois que papa et maman adorent Thomas, c’est plus simple de leur dire « je suis comme lui »”, lance-t-il dans un sourire.
De son côté, Meryl Bie, qui a à cœur de rendre authentique le personnage d’Alexandra au moyen de sa propre expérience, pense que son rôle peut permettre de changer les choses : “La représentation dans les séries est primordiale. Chaque personnage de Plus belle la vie s’inspire d’expériences et de vécus auxquels les gens pourront s’identifier. Mettre en scène les discriminations et les situations de rejet, que les personnes de la communauté ont en commun, c’est aussi une manière de provoquer des prises de conscience chez ceux qui n’ont aucune connaissance de ces problématiques, et de démonter les stéréotypes. Plus on donne de la visibilité à une minorité, plus on lui donne de la force, de la confiance, et on devient aussi plus à l’aise pour incarner ces personnages à l’écran.”
On ne saura jamais combien de coming out a facilités Plus belle la vie, même si Laurent Kérusoré a reçu énormément de messages de remerciements – et presque autant d'insultes – pour avoir aidé tout un tas de mecs à sortir du placard. “J'ai conscience d'avoir changé quelques mentalités”, se réjouit-il. On en a conscience aussi, et l’on souhaite bon vent au Mistral.
À lire aussi : Voici les séries LGBTQI+ à ne pas rater en septembre
Crédit illustration : Paul-Antoine Bernardin - Vaadigm Studio