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représentationHarry Potter à l’école de la queerness : des codes gays mais surtout des placards

Par Marion Olité le 26/12/2022
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[Queer coded 3/5] Bienvenue dans la période de l’année où les marathons des films Harry Potter reprennent de plus belle dans les chaumières. L’occasion d’ausculter le rapport chaotique qu’entretient la saga magique de J.K. Rowling avec la queerness. 

La première fois que le personnage de Harry Potter fait son apparition sous les traits de Daniel Radcliffe, dans L’école des sorciers, premier film adapté de la saga littéraire de J.K. Rowling, il sort d’un placard, celui qui lui sert de chambre dans la maison des Dursley. De quoi déjà nous mettre la puce à l’oreille… Son oncle et sa tante n’ont jamais accepté leur neveu orphelin comme l’un des leurs, et lui rappellent à l'envi son “anormalité”. L’histoire d’un jeune garçon incompris, maltraité par sa famille biologique, qui possède des pouvoirs spéciaux et va trouver du réconfort au sein d’un monde magique… Si les aventures de Harry Potter ont particulièrement touché plusieurs générations de fans LGBTQI+, ce n’est pas pour rien. Auprès de Hermione et Ron, sa famille choisie, Harry prend confiance en lui, affronte ses démons et devient ce que les Dursley ne voulaient surtout pas qu’il devienne : gay sorcier ! Toute l’histoire de la saga magique peut être lue comme une métaphore du coming out et de l’acceptation de son soi authentique. 

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Le personnage avec lequel Harry développe la tension sexuelle la plus électrisante est sa nemesis, Drago Malefoy. Le blondinet devient complètement obsédé par celui qui a refusé son “amitié”. Dans les fan fictions, on ne s’y trompe pas : le ship Drarry (pour Drago + Harry) est le plus populaire dans la slash fiction, une catégorie qui rapproche deux personnages n’ayant pas de liens explicitement romantiques dans une œuvre. Il faut attendre La Coupe de Feu pour voir Harry développer un intérêt pour la gente féminine, en même temps que tous ses petits camarades qui se cherchent une partenaire de danse pour le bal. Est-ce qu’il ne cède pas là à une pression sociale ? Quoi qu'il en soit, il n’est pas spécialement à l’aise en la compagnie d Cho Chang. Enfin, le couple qu’il forme par la suite avec Ginny Weasley ne brille pas par son alchimie. Harry aurait aisément pu être écrit comme un personnage gay, et il n’est pas le seul de la saga.  

Lycanthropie et homosexualité 

Professeur contre les Forces du mal dans le film Le Prisonnier d’Azkaban, Remus Lupin se transforme en loup-garou, condition considérée comme une maladie honteuse dans l’univers des sorciers. De fait, J.K. Rowling a expliqué qu’elle a imaginé la lycanthropie de Remus comme une métaphore du VIH et de la stigmatisation qui va avec. De son côté, David Thewlis, son interprète dans la saga ciné, a confirmé : “Lors des répétitions, Alfonso Cuaron m’a dit que mon personnage était gay. Donc je l’ai joué ainsi pendant longtemps.” La relation entre Lupin et Sirius Black, son vieil “ami” et oncle de Harry, est codifiée homosexuelle. Quand les deux hommes se retrouvent après des années de séparation, leur étreinte, émouvante, ressemble à celle de deux amants. 

Ils vivent ensuite en colocation dans L’Ordre du Phénix et se comportent en adorables papas de substitution pour Harry, dont ils sont tous les deux proches. Ils offrent même à l’adolescent un cadeau de Noël commun. Et ils ne cessent de se regarder lors des scènes dans la demeure des Black. Les fans ont même compté que Lupin regarde Sirius pendant plus de 40 lignes de texte dans le tome L’Ordre du Phénix ! Enfin, les deux protagonistes ne semblent pas le moins du monde intéressés par le genre opposé… jusqu’à ce que J.K. Rowling décide d’adjoindre à Lupin un intérêt amoureux sur le tard, en la personne de Nymphadora Tonks. 

Tonks et Lupin, le plus queer des couples de Harry Potter

Présente dans la saga à partir de L’Ordre du Phénix, cette sorcière aux cheveux qui changent de couleur à volonté demande à son entourage d’être appelée Tonks. Elle déteste son prénom d’origine, bien genré, et elle est métamorphe. Entre ses cheveux roses ou violets, son style punk et sa capacité à se glisser dans n’importe quel genre, Tonks a été lue par de nombreux fans comme un personnage codifié genderfluid ou non-binaire. Mais J.K. Rowling décide de faire de Lupin et Tonks un couple hétéronormé de plus (la saga ne contient que ce modèle) : dans Les reliques de la mort, ils se marient et ont un enfant. La sorcière arbore même une couleur de cheveux davantage dans la norme. En “déqueerisant” Lupin et Tonks, l’écrivaine a retiré aux fans LGBTQI+ une représentation organique. Ironie de l’histoire : elle décide de les sacrifier (ils meurent ensemble lors de la bataille de Poudlard) pour “sauver” le personnage d’Arthur Weasley, figure du bon père de famille hétéro. Elle a donc indirectement perpétué le trope “Bury your gays”, qui désigne la tendance à tuer systématiquement les personnages LGBTQI+ dans les œuvres de pop culture. 

À propos de la “déqueerisation” de Tonks, Aja Romano analyse : “Elle a consciemment créé un personnage métamorphe et non-binaire qui m’a aidé à comprendre que j’étais genderqueer, puis l’a fait 'grandir' en une femme cisgenre”. Depuis, J.K. Rowling a détaillé dans un essai sa vision de la non-binarité et de la transidentité comme des dysphories de genre qui selon elle se corrigent en “grandissant”. Refuser à Lupin d’être un protagoniste explicitement gay, alors qu’elle souhaitait parler à travers lui du sida, une maladie dont l’histoire est liée à la communauté LGBTQI+, est également un choix qui interroge. L’autrice récupère des éléments constitutifs de l’identité queer mais refuse à ses fans une vraie représentation. 

Dumbledore et Grindelwald

Le monde étrangement hétéronormatif des sorciers de Harry Potter ne contient qu’un seul personnage, Albus Dumbledore, officialisé comme gay par J.K. Rowling en 2007 – après sa mort dans la saga littéraire. Le directeur de Poudlard et mentor de Harry n’avait jamais montré le moindre intérêt pour le genre opposé, tandis qu’on lui connaissait une mystérieuse relation avec un autre sorcier, Gellert Grindelwald, passé dans le camp du Mal. Une décennie plus tard, cette histoire d’amour tient une place majeure dans Les Animaux Fantastiques, le spin-off cinématographique de Harry Potter sorti en trois volets, qui se déroule durant les années 30. 

Malgré ce coming out officiel, le personnage d’Albus Dumbledore, incarné par Jude Law (Grindelwald prend les traits de Johnny Depp puis Mads Mikkelsen, tous des acteurs hétérosexuels), peine à sortir du placard dans cette nouvelle aventure pour le moins chaste. Les fans doivent se contenter de regards intenses et de mains qui se joignent pour imaginer l’intensité de cette relation. Ce n’est pas la première fois que la magie sert de métaphore à l’homosexualité : la série Buffy contre les vampires en a usé pour développer le couple de sorcières lesbiennes formé par Willow et Tara, au début des années 2000. À la différence près que Les secrets de Dumbledore est un film sorti en… 2022. 

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Seuls deux dialogues, dans tout le film, sont explicites sur la nature de leur relation. Dumbledore dit à Grindelwald : “Parce que j’étais amoureux de toi”. Puis, à la suite de leur dernier affrontement, Grindelwald lance à son ancien amant : “Qui va t’aimer maintenant, Dumbledore ?” Aucun baiser (en comparaison, Tara embrasse Willow en 2001 dans Buffy), aucune étreinte ne témoignent de cet amour impossible. Aussi peu d’avancées en vingt ans… On ne peut que regretter la timidité de la mise en scène de cette relation gay, qui aurait pu constituer une représentation LGBTQI+ révolutionnaire dans une œuvre de pop culture de cet acabit : on cherche toujours des personnages de premier plan explicitement queerS dans les blockbusters estampillés Stars Wars ou Marvel. 

Harry et Drago

À la liste des actes manqués s’ajoute la pièce de théâtre Harry Potter et l’Enfant maudit, centrée sur Albus et Scorpius, les enfants de Harry et de Drago Malefoy (tiens tiens, les revoilà !). La relation complexe qu’entretiennent les deux garçons, au cœur du récit, est chargée de sous-texte homoérotique. Scorpius est possessif, il a le cœur “brisé” après une dispute avec Albus. Au moment de créer son Patronus – un sort de protection ultra-puissant qui convoque le souvenir le plus heureux de la vie d’une personne – Scorpius pense à Albus. "Va le retrouver Scorpius. Vous êtes faits l'un pour l'autre", lance le personnage de Delphi dans la pièce… Mais comme à chaque fois qu’un personnage de l’univers de Harry Potter est codifié queer, la fin décevante voit Scorpius reporter son intérêt amoureux sur un personnage féminin. Autant écrire "NO HOMO". 

À la suite de cette fiction parue en 2016, des suspicions de queerbaiting (technique marketing qui consiste à faire croire à l’audience qu’une relation queer peut se former entre deux personnages afin d'attirer l’audience concernée, avant de faire marche arrière) ont été soulevées. Le monde des sorciers a beau être un manifeste pour la tolérance, J.K. Rowling a constamment refusé à ses fans une représentation LGBTQI+ digne de ce nom. Pouvait-on attendre autre chose de la part d’une personne qui affiche sa transphobie dans les médias ces dernières années ? Pourtant, les fans savent que cette riche mythologie peut accueillir des personnages queers. L’incroyable production de fan fictions LGBTQI+ autour de la mythologie Harry Potter est là pour en témoigner. Renae McBrian, autrice et contributrice du site Mugglenet, résume : "J.K. Rowling nous a donné Harry Potter; elle nous a donné ce monde. Mais nous avons créé le fandom, et nous avons créé la magie et l’esprit de communauté dans ce fandom. C’est à nous de les conserver." 

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Crédit photo : Warner Bros