[Article et dossier gaming à lire dans le magazine en kiosques] Dans l'univers du gaming, créer son avatar revêt une importance particulière. Et certains jeux l'ont bien compris, qui sont aujourd'hui considérés comme des espaces d'expérimentation pour les personnes queers.
Illustration Florian Salabert
“Moi, à Mario Kart, j’ai toujours choisi Peach.” Peach, c’est la princesse culte de «Mario», avec ses cheveux blonds, son diadème et sa robe rose bouffante. Et cette phrase n’est pas sortie de la bouche d’une petite fille de 8 ans qui porte un cartable Reine des neiges, mais d’un collègue gay plutôt “masc”. Réflexion faite, j’ai moi-même toujours préféré Chun-Li à Ryu, Claire Redfield à Leon Kennedy, Lara Croft à Nathan Drake. Mais comment expliquer qu’en tant qu’homme gay je me sois toujours systématiquement dirigé vers les personnages féminins ? Comment expliquer que mon collègue ait agi de même ? Est-ce qu’on est nombreux dans ce cas ?
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J’ai posé la question à mes meilleurs amis, à certains autres, et finalement à chaque mec m’ayant envoyé une “tape” sur Grindr. Presque tous ont répondu préférer incarner des personnages féminins depuis qu’ils ont commencé à s’amuser avec des joysticks. Alors, choisir d’incarner Peach provoquerait-il immédiatement un “oh, t’es gay toi !” de la part de Karine Le Marchand ? Céleste Millet, qui a rédigé un mémoire sur Animal Crossing, en doute : “Mario, Peach ou Daisy sont des personnages non intrusifs. Ils ne sont pas réellement investis par les joueurs, on peut donc facilement prendre de la distance avec eux et ne pas dévoiler la raison qui nous pousse à sélectionner l’un plutôt que l’autre.”
Entre expérimentation et émancipation
Comment expliquer malgré tout que nombre d’entre nous préfèrent les héroïnes aux plombiers à moustaches ? “J’ai grandi avec trois frères qui jouaient en ligne, tente d’expliquer Yassin, 30 ans. Quand une fille participait, tous les autres joueurs la prenaient systématiquement pour cible en premier.” Cette logique d’oppression, classique, pourrait selon lui expliquer qu’il ait préféré, par résistance, manier les karts à ombrelles de Peach ou les guns magiques de la féroce sorcière Bayonetta. “Ayant été nous-mêmes opprimés toute une partie de notre vie, on peut s’identifier à des personnages d’outsiders, soumet-il. C’est jouissif de défoncer les persos masculins avec une femme forte.”
"Créer et incarner des personnages féminins m'a permis d’explorer par le virtuel ce qui était bloqué dans la chair."
Sofia Versaveau, vidéaste et cofondatrice du média transféministe XY
Et lorsqu’il est possible de créer entièrement son avatar, l’implication des joueurs prend une tout autre ampleur. “Les personnages imaginés par les joueurs leur permettent de révéler une autre facette d’eux-mêmes”, précise Céleste Millet. Certains y trouvent alors l’opportunité d’être qui ils sont vraiment. Pour Sofia Versaveau, vidéaste et cofondatrice du média transféministe XY, pouvoir les personnaliser selon ses désirs a été une forme d’émancipation : “J’ai aimé créer et incarner des personnages féminins avant même de savoir que j’étais une femme, comme une façon de jouer avec les identités et d’explorer par le virtuel ce qui était bloqué dans la chair.”
Les Sims, un jeu identitaire incontournable
Une étude Nielsen réalisée en 2020 révèle que les joueurs LGBTQI+ sont plus attirés que les autres par les jeux de simulation de vie. Le plus connu, “Les Sims”, qui semble se décliner à l’infini, est particulièrement apprécié des joueurs, qui y trouvent une certaine liberté. Selon Céleste Millet : “Les personnes qui ont l’habitude de jouer avec les codes du genre ou de les subir en prenant beaucoup de risques dans la vie réelle peuvent y trouver un espace sécurisant d’expérimentation, où le danger est considérablement réduit. Ces jeux peuvent permettre d’expérimenter une forme d’euphorie de genre.” Soit une façon positive d’envisager sa transidentité. “Quand je jouais à Habbo Hotel [une espèce de forum en 3D], je m’habillais avec des vêtements typiquement féminins, raconte ainsi Fadi, 23 ans. Dans «Les Sims», je passais beaucoup plus de temps à habiller les femmes. Les hommes, ça me prenait deux secondes.”
"C'est dans 'Les Sims' que j'ai eu mes premières expériences sexuelles."
Nicolas, 26 ans.
Et c’est encore ce même jeu qui a permis à Nicolas, 26 ans, de découvrir son orientation sexuelle : “Quand je n’étais pas encore out, mon Sims était une version alternative de moi. C’est dans ce jeu que j’ai eu mes premières expériences sexuelles, si l’on peut dire.” Quant à Sofia Versaveau, elle a entretenu avec “Les Sims” un rapport pour le moins identitaire. “Ça a été l’un des premiers jeux sur lesquels je m’amusais à concevoir des personnages féminins qui, avec le recul, ressemblaient un peu à qui je suis aujourd’hui, alors que je n’avais pas du tout conscience d’être trans à l’époque”, confie-t-elle.
Combattre les LGBTphobies
L’expression de genre, qui passe principalement par les vêtements et l’apparence de son personnage, est également l’un des atouts principaux des MMORPG (jeux de rôles massivement multijoueurs), dont World of Warcraft (WOW) fait partie. “J’y ai rencontré beaucoup plus de joueurs LGBTQI+ qu’ailleurs. Les communautés y sont très visibles, et c’est à l’un des autres joueurs que j’ai fait mon coming out trans en premier”, raconte Jennifer, membre de Next Gaymer, première association de joueurs LGBTQI+ francophones. Son avatar, une trollesse chasseresse, était “une manière de vivre [sa] féminité”, celle qu’elle a mis “des années à laisser sortir du placard”.
Hélas, cet univers fantastique et virtuel n’est pas épargné par les LGBTphobies. Un joueur assidu de WOW, qui incarne un personnage jouant avec les codes du genre, en fait régulièrement l’expérience : “Si quelqu’un se met à dire «le dernier arrivé là-bas est PD», je prends mon temps et je fais remarquer que le mot est inapproprié au contexte ludique de la situation.” Pour contrer les LGBTphobies plus efficacement, il faudrait pouvoir incarner plus de personnages principaux LGBTQI+. Et la bonne nouvelle, c’est que certains studios proposent déjà d’incarner des personnages queers, à l’image d’Ellie, l’héroïne lesbienne de The Last of Us II – l'adaptation du jeu par HBO propose avec un épisode gay d'anthologie –, ou encore l’héroïne éponyme de Céleste.
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