Au cœur d'une loi transposant la législation européenne qui s'impose à tous les États membres de l'UE, le Parlement hongrois a incorporé une disposition incitant, au nom de la protection de la famille traditionnelle inscrite par Viktor Orbán dans la Constitution du pays, à la délation anonyme des familles homoparentales et des mariages gays.
En façade, la Hongrie prétend protéger les lanceurs d'alerte. Avec 118 voix pour et 23 contre, le Parlement de Budapest a adopté ce 11 avril une nouvelle loi proposée par le parti du Premier ministre, Viktor Orbán, portant notamment sur "les signalements d'intérêt public et les règles relatives au signalement d'abus". Mais dans cette démocratie de plus en plus illibérale, le rétrograde Fidesz a trouvé le moyen d'incorporer au texte… une nouvelle disposition LGBTphobe.
À lire aussi : LGBTphobie d'État en Hongrie : la bataille européenne face au lobby réac
La clef de cet écart, proprement kafkaïen, entre l'objet apparemment démocratique de la loi et son résultat inquiétant, nous est explicitée par l'association LGBTQI+ européenne Forbidden Colours : à l'origine, cette loi est censée transposer la directive européenne sur la protection des lanceurs d’alerte. Mais au passage, donc, les députés orbanistes en ont tordu l'objet afin de protéger aussi les délateurs LGBTphobes. Comment ? En y incorporant d'autres dispositions made in Hongrie pour faire respecter sa Constitution réactionnaire. Car en 2020, cette dernière a été modifiée par le clan d'Orbán pour définir le mariage comme une union entre "un homme et une femme", ajoutant au sujet des familles que "la mère est une femme et le père est un homme".
Résultat, ce ne sont pas seulement les dénonciations anonymes par des lanceurs d'alerte qui sont encouragées, mais celles de tout·e citoyen·ne désirant porter à la connaissance de l'État l'existence de couples homos mariés (à l'étranger) et surtout de familles homoparentales. Et puis qui sait, demain, tout militant LGBTQI+ prônant par exemple le mariage pour tous ou défendant les familles queers…
Réponse d'Orbán à l'Europe
La manoeuvre est donc bel et bien un pied de nez aux démocraties européennes. "En transposant la législation européenne de cette manière, Orbán se moque de Bruxelles, relève Vincent Reillon, responsable de plaidoyer à Forbidden Colours. C'est un nouveau signe que le régime de Viktor Orbán ne prend plus l'Union européenne au sérieux. Orban a choisi Moscou plutôt que Bruxelles (et) c'est sa réponse à la majorité des États membres de l'UE qui veulent mettre fin à ses politiques autocratiques anti-LGBTIQ+."
Quelles conséquences aura cette nouvelle loi dans la vie des personnes LGBTQI+ ? "Nous ne savons pas vraiment ce que cela produira en pratique, cela n'a pas beaucoup de sens. Mais pour sûr, cela va conduire à davantage d'auto-censure", analyse Remy Bonny, directeur de Forbidden Colours. Autre risque possible, la création de fichiers de police concernant les personnes LGBTQI+, puisqu'avec le nouveau texte, la police doit systématiquement enquêter sur les dénonciations qui lui sont faites. Un rapport annuel doit par ailleurs compiler ces dénonciations. Bref, autant de possibilité pour la Hongrie de durcir encore un peu plus son homophobie d'État…
À lire aussi : Hongrie : au finish, la France et l'Allemagne s'engagent contre Orbàn pour les LGBT+
À lire aussi : Un an de guerre en Ukraine : la communauté LGBTQI+ célèbre sa survie
Crédit photo : Ferenc Isza / AFP