Avec 20.000 espèces d’abeilles, son premier long-métrage sorti en salles ce mercredi 14 février, Estibaliz Urresola Solaguren s'appuie sur la transidentité d’une jeune fille pour établir une métaphore entre la biodiversité et la pluralité du genre.
“Sofía Otero, l'actrice principale, a très vite compris ce qu’elle devait jouer, assure Estibaliz Urresola Solaguren, réalisatrice du film 20.000 espèces d’abeilles. Je lui ai simplement dit : « Tu es une fille, pas vrai ? Alors imagine que tout le monde te voit comme un garçon et t’empêche d’être une fille. Comment te sentirais-tu ? »” À 9 ans seulement, Sofía Otero devient la plus jeune personne à remporter l’Ours d’argent de la meilleure performance (qui a remplacé en 2021 ceux du meilleur acteur et de la meilleure actrice) au Festival international du film de Berlin. La récompense est méritée, tant l'actrice rayonne sous les traits d’une fillette discrète qui, assignée garçon à la naissance, préfère être appelée Lucía. Autour d’elle, des adultes qui ne la comprennent pas : son père, instinctivement récalcitrant, sa grand-mère, bien plus catégorique, ou encore sa mère, plus confuse qu’autre chose. La gamine, elle, reste inébranlable face à ces doutes.
Estibaliz Urresola Solaguren a souhaité écrire cette histoire après avoir appris le suicide d’Ekai, un ado trans de 16 ans, dans la ville d’Ondarroa en 2018. “Deux semaines après sa mort, son père a publié une lettre ouverte dans un journal local, se remémore la cinéaste basque. C’est là qu’on a réalisé que sa famille l’acceptait et le soutenait. Le problème, c’était la société.” Intriguée, elle s'était rendue dans une association de parents d’enfants trans : “Je m’attendais à y trouver des ados mais j’ai été surprise d’y rencontrer des très, très jeunes.”
La valeur de la diversité
En s’emparant d’un tel sujet, la réalisatrice – qui peut se targuer de signer ici un premier long-métrage impressionnant – a conscience que certaines œuvres ont déjà ouvert la voie. Comme Girl de Lukas Dhont. “Mais dans mon cas, je voulais éviter d’associer appareil génital et identité car ce sont deux choses distinctes”, précise-t-elle. Ou comme Tomboy de Céline Sciamma. “C’est un film courageux, mais qui a été fait il y a un petit moment, poursuit-elle. Son dénouement est aux antipodes du mien : je pense qu’aujourd'hui il n'est pas possible d'écrire systématiquement des récits trans avec une fin tragique.”
Nous, on aurait plutôt envie de faire le parallèle avec Petite Fille, l’excellent documentaire de Sébastien Lifshitz. Entre plans rapprochés et instants contemplatifs, 20.000 espèces d’abeilles tend vers un naturalisme qui humanise son héroïne, épousant ainsi son titre et le message qu’il induit. “C'était mon titre de travail dès le départ, mais la métaphore entre la biodiversité et la transidentité n’était pas aussi poussée au début. Pour tout le monde, les abeilles sont un symbole de la biodiversité. Mais plus je me renseignais sur elles, plus je trouvais de sens à cette approche, explique Estibaliz Urresola Solaguren. Dans une ruche, les abeilles sont organisées et chacune d’entre elles a un rôle crucial à jouer pour que leur globalité puisse survivre. Elles sont toutes différentes et toutes nécessaires : il n’y a pas meilleur moyen pour comprendre la valeur de la diversité. Et cette dernière est aussi importante dans la nature que dans les sociétés humaines.”
>> [Vidéo] La bande-annonce de 20.000 espèces d’abeilles :
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Crédit photo : Jour2fête