À contre-courant de la rentrée politique du gouvernement orientée à droite par Gérald Darmanin, le ministre de l'Intérieur, son collègue des Transports Clément Beaune crée la surprise en prenant, dans une interview à L'Obs, position pour la GPA. Tout en sachant que ce sujet, contrairement aux retraites, l'immigration ou l'uniforme à l'école, est clos pour Emmanuel Macron.
Attention, franchissement de "ligne rouge". C'est ainsi que L'Obs présente la prise de position, dans ses colonnes, du ministre des Transports, Clément Beaune, qui se dit favorable à la légalisation en France de la gestation pour autrui (GPA). "C’est un sujet sur lequel j’ai personnellement évolué, explique-t-il. Pour deux raisons. D’abord, l’amour. Il y a d’un côté tellement d’enfants en souffrance et de familles dysfonctionnelles, et de l’autre, tellement de couples qui portent dans leur cœur un projet d’enfants. Ensuite, la justice. Aujourd’hui, les Français peuvent en fait déjà avoir recours à la GPA. Mais pas tous les Français ! Seulement ceux qui ont les moyens de se rendre à l’étranger : au Canada, aux Etats-Unis… La sélection se fait par l’argent et les contacts. Avoir notre propre cadre et nos propres règles serait plus juste et plus protecteur, notamment pour les femmes."
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Les deux arguments sont valables, et ce n'est pas têtu· qui reprochera à Clément Beaune de rouvrir ce débat, nous qui avons réclamé en vain qu'il le soit durant la campagne présidentielle de 2022. Mais justement, la discussion est-elle vraiment ouverte ? Que nenni, prend soin de préciser le ministre, qui sait fort bien qu'il s'aventure ici sur un terrain clos par le président de la République. Au cours de la campagne pour sa réélection, Emmanuel Macron a en effet clairement pris position contre la GPA. "Mon souci de protection m’amène à ne pas souhaiter ouvrir la possibilité de la GPA en France. Sa légalisation poserait en effet la question de l’exploitation du corps des femmes", faisait-il savoir à têtu·, après avoir affirmé dès la présentation de son programme : "Je considère que la pratique de la GPA n'a pas à avoir cours en France".
GPA en macronie : non, non et non
"La GPA est une ligne rouge que nous ne souhaitons absolument pas franchir", avait déjà martelé fin 2021 le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, dans une interview à Femme Actuelle. Et non seulement l'exécutif ne compte pas légaliser la pratique en France, mais il a entrepris de mettre des bâtons dans les roues des familles homoparentales qui y ont recours dans les pays où elle est légale (États-Unis, Canada, etc.). En effet depuis la loi bioéthique votée en août 2021, l’état civil ne reconnaît plus automatiquement la filiation des enfants nés d’une GPA à l’étranger, obligeant le père non biologique à adopter son propre enfant. "On ne veut pas d’automaticité dans la reconnaissance de la filiation pour ne pas encourager le recours à la gestation pour autrui", justifiait Éric Dupond-Moretti dans l'entretien sus-cité. Au cours de son interview à têtu· en août 2022, la Première ministre, Élisabeth Borne, nous avait également fait savoir qu'elle y était défavorable, arguant de la "marchandisation du corps humain".
De fait, la réforme "ne se fera pas dans cette législature", prévient Clément Beaune. "Aujourd’hui, la donne est claire : la GPA ne figure pas dans le contrat présidentiel et législatif que nous avons passé avec les Français au printemps 2022, développe-t-il. Cette mesure n’est pas au programme, le président l’a dit aux Français. Est-ce que, néanmoins, à l’avenir, il faudrait aller plus loin et légaliser la GPA ? Je le pense, oui." Une position personnelle, donc, et pas la première puisque le ministre Olivier Dussopt avait déjà exprimé la même auprès de têtu·. Elle permet néanmoins à Clément Beaune de donner, en cette rentrée gouvernementale dominée par Gérald Darmanin, une voix à l'aile gauche de la macronie, s'offrant même le luxe de contredire François Ruffin. Le député de la France insoumise avait confirmé en juin être contre la légalisation de la GPA, tout comme Jean-Luc Mélenchon, allant jusqu'à opposer les réformes sociales nécessaires et les réformes sociétales superflues. "Opposer ainsi, comme le fait François Ruffin, le combat pour les droits à l’égalité et celui pour une meilleure feuille de paie à la fin du mois me paraît dangereux, objecte dans L'Obs le ministre des Transports. La gauche de François Mitterrand en 1981 n’a-t-elle pas instauré la cinquième semaine de congés payés et, dans le même temps, aboli la peine de mort et dépénalisé l’homosexualité ?"
Il faut ouvrir ce débat
Alors donc, tous les sujets seraient sur la table de ce quinquennat qui s'ouvre, sauf celui de la GPA ? Sur les retraites, l'immigration, l'uniforme à l'école, l'exécutif se montre prêt à toutes les discussions, à monter des comités de consultation ou à autoriser des expérimentations, mais rien pour les familles homoparentales ? Et voici à nouveau touchées du doigt les limites de l'extrême-centre du macronisme, autrement appelé le "en même temps" : les sujets chers au cœur de son aile droite donnent lieu à des lois, quand l'aile progressiste en est souvent réduite à des vœux, pour plus tard… Mais la communauté LGBTQI+ n'a que trop bien connu les atermoiements des gouvernements successifs pour faire avancer ses droits. François Hollande avait promis le mariage et la PMA, il n'a fait que le premier et reporté le second. Emmanuel Macron avait à son tour promis l'ouverture de la PMA, il a mis quatre ans à la réaliser, tuant le rêve de nombreuses lesbiennes qui n'ont pas pu mettre en œuvre à temps leur projet de parentalité.
Finalement, c'est bien simple : depuis l'ouverture de la PMA aux couples de femmes, en toute fin du premier mandat d'Emmanuel Macron, il n'a plus été question des familles LGBTQI+ en macronie. Ni de corriger les manquements à la loi pour une PMA vraiment pour toustes, ni d'autoriser la technique de la Ropa dans la procréation médicalement assistée… Seule une réforme de l'autorité parentale, censée faciliter la vie des beaux-parents, a été promise par le Président au cours de sa campagne, et elle est désormais confiée à Aurore Bergé, ministre des Solidarités et des Familles venue de la droite et qui se déclarait en 2013 "dubitative" sur l'adoption par les couples homos.
La légalisation de la GPA n'est certes pas un sujet simple, et il divise d'ailleurs au sein même de la communauté LGBTQI+. Il n'est donc pas question de la revendiquer comme un simple droit, mais bien de réfléchir à la possibilité d'une GPA éthique, respectueuse avant tout des personnes concernées, les femmes volontaires. "Il faut réfléchir aux conditions d’une GPA éthique", résumait Yannick Jadot l'an dernier. Or les Français·es se montrent, sondage après sondage, de plus en plus mûr·es pour que cette conversation ait lieu : 40% de nos compatriotes se disent disposées à porter l'enfant d'une autre personne dans le cadre d'une GPA encadrée, et trois Français sur quatre (75 %) se déclarent favorables à la légalisation de la GPA pour les couples hétérosexuels (59% pour les couples homos). Il existe en France des structures pour encadrer un tel débat : le Parlement, bien sûr, les comités citoyens chers à Emmanuel Macron et même, c'est nouveau, le "préférendum" ! Quelle que soit la forme qu'on choisisse, le dossier de la GPA doit être ouvert. Ce serait le signe d'un meilleur équilibre gouvernemental, ainsi que de la maturité de notre démocratie. Les familles concernées méritent mieux que des positions personnelles, et des vœux pour plus tard.
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Crédit photo : Christophe Archambault / AFP