Les eurodéputés ont voté la création d'un Certificat européen de filiation, censé harmoniser la reconnaissance des familles homoparentales d'un pays à l'autre de l'Union européenne (UE). Mais si celui-ci reconnaît les familles ayant pratiqué une PMA, il exclut celles ayant eu recours à une GPA hors UE.
"Si vous êtes parent dans un pays, vous êtes évidemment parent dans tous les pays." C'est par ces mots qu'en 2020 la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait annoncé qu'afin de "renforcer les droits des personnes LGBTQI", elle plaiderait "en faveur de la reconnaissance mutuelle des relations familiales dans l'Union européenne". Ce faisant, elle lançait l'idée d'un Certificat européen de filiation, un nouveau document permettant de faciliter les démarches administratives des familles homoparentales d'un pays à l'autre de l'Union européenne (UE). Trois ans plus tard, la proposition a été débattue au Parlement européen, et votée ce jeudi 14 décembre par 366 voix pour et 145 contre. Mais celle-ci, qui doit encore être validée par le Conseil de l'UE, ne remplit qu'à moitié l'objectif annoncé…
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Le problème, sur le plan de la reconnaissance des familles homoparentales au sein de l'UE, c'est que tous les États membres n'autorisent pas la PMA (procréation médicalement assistée) ou la GPA (gestation pour autrui). Conséquence : les parents reconnus par un pays ne le sont plus forcément quand ils passent la frontière d'un des nombreux autres (Hongrie, Pologne, Italie...) où seule la parenté biologique est reconnue. Les familles font alors face à des difficultés quotidiennes inutiles : des cas où l'un des parents ne peut pas prendre de décision en matière scolaire ou de santé, n'a pas l'obligation de verser une pension alimentaire en cas de séparation, où les enfants ne peuvent pas hériter, etc. Or, comme l'a déjà jugé plusieurs fois la Cour européenne des droits humains (CEDH) depuis 2019, l'intérêt supérieur des enfants prime, et c'est leur intérêt que leurs deux parents soient reconnus administrativement quelle que soit la manière dont ils ont été conçus. C'est cette boussole qui a guidé la Commission européenne dans la présentation de son projet de Certificat européen de filiation.
La GPA visée par la droite
"Il est inconcevable qu’un parent dans un État membre ne soit pas reconnu en tant que tel dans un autre État membre", martelait ainsi la commissaire en charge de la transparence, la Tchèque Věra Jourová, en décembre 2022. Inconcevable, vraiment ? Soumis à d'intenses pressions politiques, le texte proposant l'instauration d'un Certificat européen de filiation a en réalité été vidé d'une partie de sa substance. Objet de la reculade : les familles ayant eu recours à une GPA.
En avril dernier, François-Xavier Bellamy, chef de file du parti Les Républicains (LR) au Parlement européen, lance un assaut contre la proposition, rappelant son opposition passée au mariage pour tous : "Je constate que l'agenda se déroule puisque (...) la GPA est en discussion au Parlement européen", prétend-il sur France Inter. Une intox : le projet n'a aucunement pour but d'obliger les États membres à autoriser la GPA, il porte uniquement sur la reconnaissance des familles. Mais le mal est fait. En amont des élections européennes prévues en 2024, explique à têtu· une source au Parlement européen, la Commission, dont le mandat sera également mis en jeu l'an prochain, "ne veut surtout pas qu'on croie qu'elle légifère sur la GPA, quitte à limiter fortement son texte". Résultat, elle propose aujourd'hui que le Certificat européen de filiation ne s'applique qu'aux naissances qui ont eu lieu au sein de l'Union européenne, "excluant de fait l'essentiel des GPA, notamment de couples homoparentaux".
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La réforme s'appliquera ainsi, par exemple, pour des lesbiennes hongroises qui ont eu recours à une PMA en Espagne avant de retourner à Budapest, mais pas pour un couple gay français installé à Budapest ayant eu recours à une GPA au Canada. Dénonçant cette situation, l'eurodéputée de la France insoumise Manon Aubry, présidente du groupe La Gauche au Parlement européen, explique à têtu· : "Dans la bataille pour le certificat européen de filiation, deux camps s'opposent. D'une part, ceux qui reconnaissent pleinement l'existence et les droits des familles homoparentales. De l'autre, les réactionnaires prêts à tout pour nier et écraser la diversité des amours et des familles". Alors que dans tous les pays européens où elle est au pouvoir, comme la Hongrie ou l'Italie, l'extrême droite s'en prend aux familles homoparentales, "nous devons tout faire pour sanctuariser les droits des personnes LGBT dans les États membres, sans faux-semblants", défend Manon Aubry.
Homoparentalité à deux vitesses
Alors, fallait-il accepter le texte dans cette version amputée d'une partie de l'objectif initial ? C'est la position du groupe Renaissance au Parlement européen, qui signale qu'une fois voté au Parlement, le texte doit encore être approuvé à l'unanimité au Conseil de l'UE, l'institution composé des chefs d'État ou de gouvernement de tous les pays membres. "Sur ce texte, nous devons avoir une large majorité au Parlement pour envoyer un message fort au Conseil européen", soutient auprès de têtu· Pierre Karleskind, eurodéputé macroniste, qui plaide : "Sur les sujets d'homoparentalité, l'unanimité est évidemment très difficile à obtenir tant les pays ont des approches diverses des questions de famille. En l'état, le nouveau certificat faciliterait grandement la vie de nombreuses familles homoparentales, notamment des mères lesbiennes, dans les pays de l'Union qui leur sont hostiles. Nous devons faire en sorte qu'il devienne une réalité".
Co-président de l'association des parents gays et lesbiens (APGL) et vice-président du réseau européen d'associations homoparentales (NELFA), Dominique Boren reconnaît "une victoire en demi-teinte", développant : "C'est une réforme incomplète qui ne règlera pas définitivement la question de l'homoparentalité au sein de l'Union européenne. Giorgia Meloni, à la tête de l'Italie, pourra continuer à refuser de reconnaître les familles des enfants nés d'une GPA". Pragmatique, il espère néanmoins que le texte puisse entrer rapidement en application. Une nouvelle fois, pour les parents gays qui ont eu recours à une GPA, le combat va devoir continuer.
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Crédit photo : Mathieu Cugnot