Responsable LGBTI d'Amnesty International France, Sébastien Tüller appelle à revoir la formulation de l'inscription de l'IVG dans la Constitution afin de s'assurer que le droit à l'avortement est garanti non seulement aux femmes, mais aussi aux hommes trans et aux personnes non-binaires.
Le 24 janvier 2024, l’Assemblée nationale a adopté, à une large majorité, le projet de réforme constitutionnelle du gouvernement visant à inscrire dans la Constitution "la liberté garantie à la femme" d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG).
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Ce vote est une étape éminemment nécessaire dans un monde où de nombreux pays continuent de restreindre ou criminaliser le droit à l’avortement. Si le texte est adopté, la France pourrait notamment devenir le premier pays au monde à inscrire l'avortement dans sa loi fondamentale ! Alors que le Sénat débat ce mercredi 28 février du texte en commission puis en séance plénière, il est nécessaire de modifier la formulation actuelle, décevante et archaïque.
"La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse", prévoit d'insérer la réforme constitutionnelle après le dix‑septième alinéa de l’article 34 de la loi fondamentale. En inscrivant "la liberté garantie à la femme" d’avoir recours à une IVG, la formulation adoptée exclut les hommes trans et les personnes non-binaires. Il est pourtant urgent de parler des "personnes enceintes" afin de lutter contre toutes les entraves et discriminations croisées dans l’accès à un avortement sécurisé.
"Personne enceinte"
Pourquoi Amnesty International utilise-t-elle le terme "personne enceinte" ? Les femmes et les filles cisgenres ne sont pas les seules personnes à avoir besoin d’un avortement sécurisé. Les personnes intersexes, les hommes et les garçons transgenres et les personnes non-binaires peuvent également avoir une grossesse. Souvent, ces personnes sont confrontées à des formes de discrimination multiples et croisées quand elles essaient d’avoir accès à des services de santé en France.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État (CE) considère toutefois que la notion de "femme" au sens du projet de loi constitutionnelle "doit être entendue comme bénéficiant à toutes personnes ayant débuté une grossesse sans considération tenant à l’état civil". Le mot "femme" dans cette rédaction doit donc s’entendre au sens de la capacité à être enceinte selon le CE, même s’il s’agit d’un homme (trans) à l'état civil.
Pourtant les mots ont un sens. Encore plus lorsqu’ils sont gravés dans la loi fondamentale de notre pays. Nous devons absolument veiller à ce que la formulation retenue dessine toutes nos réalités sans invisibiliser les personnes les plus marginalisées. Adopter une formulation incomplète donnerait le sentiment aux personnes trans et non-binaires, que ce soit délibérément ou par inadvertance, que leur présence n’est toujours pas entièrement acceptée dans notre pays. Au passage, faut-il adopter la même analyse alambiquée du mot "femme", sans considération tenant à l’état civil, pour enfin inclure les hommes trans aux techniques de PMA dans notre pays ?
50 IVG par an
Ce n’est pas une question d’idéologie mais une question de droit humain. Une question fondamentale d’égalité, de justice et de protection de groupes minoritaires déjà particulièrement stigmatisés. Un nombre significatif d’IVG sont déjà pratiquées par des hommes et des garçons trans en France. Il paraît inconcevable que la formulation retenue ne prenne pas en compte cette incontestable réalité. La caisse nationale de l’Assurance maladie estime jusqu’à 600 le nombre d'hommes trans ayant eu recours à une IVG remboursée en France entre 2010 et 2022, soit 50 IVG par année civile.
Au contraire, adopter une formulation inclusive aiderait à créer une culture juridique fondée sur l'égalité, la dignité et la non-discrimination. Conformément à l'universalité et à l'indivisibilité de tous les droits humains, nous devons nous opposer à toute suggestion selon laquelle certaines catégories de droits seraient plus importantes que d'autres.
Le droit mieux que la liberté
En outre, la formulation n’inscrit pas le droit fondamental d’avoir accès à l’avortement mais seulement la liberté garantie. La "liberté" ne renvoie qu’aux conditions d’exercice de ce droit. Inscrire le "droit" fondamental d’avorter permettrait notamment de contraindre l’État à se donner les moyens suffisants pour garantir l’accès à ce droit.
Il est urgent de réfléchir de manière plus critique aux termes employés pour parler de genre dans la loi. Il est de la responsabilité des parlementaires d’adopter un texte historique inclusif visant à garantir le droit fondamental à l’avortement dans notre constitution pour toutes les femmes, les filles et personnes susceptibles d’être enceintes.
Crédit photo : Hans Lucas via AFP