[Article à retrouver dans le têtu· du printemps] Si vous n'avez pas encore vu le film Saltburn, avec Jacob Elordi et Barry Keoghan (en streaming sur Prime Video), vous avez forcément entendu parler de la scène de la baignoire. Retour sur un phénomène pop.
Amalgame de beau et de sale, Saltburn semble pensé pour faire parler. Le film a cependant du corps, et pas seulement celui de Jacob Elordi – le beau gosse de la série Euphoria, pour ceux qui l’ignorent encore. Nouvelle pépite de Prime Video, la surprise est grande quand on y trouve ce qu’on n’attendait pas : du cinéma. C’est aussi grâce à lui que "Murder on the Dancefloor", de Sophie Ellis-Bextor, a connu un retour de hype vingt-deux ans après sa sortie. Un phénomène, on vous dit.
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Après Promising Young Woman, portrait cathartique d’une jeune mante vengeresse, Oscar 2021 du meilleur scénario original, la réalisatrice Emerald Fennell nous dépeint ici une autre force de la nature. Oliver, joué par Barry Keoghan, frôle les murs de l’université d’Oxford avec son look de matheux. Après un monologue initial à la manière d’Entretien avec un vampire, l’objet de son désir est introduit : Felix (Jacob Elordi, donc), beau comme un ange percé à l’arcade (on est en 2006), a l’assurance et la désinvolture des aristos qui ne craignent rien. Pour accéder à lui, Oliver doit slalomer entre les richards de son entourage. Mais c’est quand il confie au beau gosse son histoire tragique de classe laborieuse que Felix, dans sa grande bonté, lui propose de venir passer l’été dans le château familial, Saltburn.
Un film (baig)noir
Devant les vieilles pierres et les boiseries anglaises de la bâtisse gothique, nos yeux ne cessent de crier baguette ; mais pas vraiment celles de la saga Potter, même si les personnages imaginent Harry, Hermione et Ron dans un plan à trois – voilà pour la référence au roman d’apprentissage. Dans Saltburn, la campagne anglaise ne sent pas les pulls qui grattent. Elle sent le cul et le tabac froid. Elle est le terrain d’une lutte. Pas celle, éculée, entre les têtes d’ampoule et les cool kids. Non, c’est une conquête pour tout prendre, un stratagème pour tout avoir, avec pour seul vecteur la puissance du désir. Un désir fou. Entre bronzette et dîners, le jeu de Barry Keoghan devient rapidement aussi inquiétant que le monsieur Ripley de Matt Damon. L’étudiant guindé se métamorphose en Minotaure musculeux et membré, qui place ses pions dans un labyrinthe dont il est le centre… Un loup est entré à Downtown Abbey.
Du format 4/3 au grain de la pellicule, l’image rappelle nos vieilles VHS annotées au stylo bic. Cette fantaisie de forme frise quelquefois le maniérisme, mais n’est-ce pas aussi par la forme qu’un film devient celui d’une génération ? Quelques séquences sonnent comme une pub de parfum : match de tennis en smoking, raquette dans une main, Ruinart dans l’autre… Ces plans de modasse sont parfois contrebalancés par une composition de peintre romantique (quand la brume s’en mêle), parfois par des séquences dégueu-sexuelles, dont la fameuse scène de la baignoire, qui lancent les conversations sur internet et alimentent la page “pour vous” des réseaux sociaux. Saltburn singe une grammaire des années 1990 pour en faire un Sexe Intentions avec des qualités et expurgé du “male gaze”. Il s’adresse à nos désirs adolescents, carencés par tant de mises en scène de l’hétérosexualité dans les sexy-thrillers.
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>> Saltburn, d'Emerald Fennell. Disponible sur Prime Video.
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