Derrière les fesses de Ryan Phillippe et la magnificence de Sarah Michelle Gellar, Sexe Intentions, film culte de la fin des années 1990, est plus queer qu'il n'y paraît, et pas uniquement pour le baiser lesbien de la décennie.
Dans les années 1990, la pop culture a oscillé entre des sous-textes queers et l’introduction de personnages ouvertement LGBTQI+. Sexe Intentions joue sur les deux tableaux : sorti en 1999, le teen movie de Roger Kumble (Cruel Intentions dans sa version originale), adaptation des Liaisons dangereuses, le roman épistolaire de Choderlos de Laclos de 1782, a provoqué de nombreux éveils lesbiens grâce à un baiser mémorable et dressé le canevas camp fait de haines recuites dans des écoles privées d'élite, sur fond de sexe et de drogue, sur lequel s'écrit tant de nos fictions préférées, de Gossip Girl à Elite.
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Cette satire mordante de la haute société new-yorkaise mais aussi peinture à peine exagérée de la cruauté des années lycée met en scène les manigances de deux adolescents de l’Upper East Side. Demi-frères et sœurs par alliance, Sebastian Valmont (Ryan Phillippe) et Kathryn Merteuil (Sarah Michelle Gellar) sont obsédés par le sexe, le pouvoir, et jamais à court de coups tordus pour manipuler leur prochain. Le film est porté par la performance jouissive de l’actrice de Buffy contre les vampires, autre œuvre queer marquante des années 1990, qui fascine dans ce rôle de méchante iconique. Kathryn Merteuil encadre l’ingénue Cécile Caldwell (savoureuse Selma Blair), qu’on peut lire comme un personnage de "bébé queer", comiquement paumé.
Face à son ignorance sexuelle, Kathryn décide de prendre les choses en main. "Je vais introduire ma langue dans ta bouche", prévient-elle. Ce baiser – filmé en si gros plan que l’on distingue nettement un filet de bave s’échapper entre les deux bouches – laisse Cécile au comble de l'excitation. Restée dans les annales de la pop culture, cette scène illustre la tendance du "baiser lesbien", qui prend racine à cette époque et consiste à mettre en scène un baiser entre deux personnages féminins – voire entre deux célébrités, comme Madonna et Britney Spears en 2003 lors des MTV Music Awards. À l'époque, des séries comme Friends ou Ally McBeal proposent des épisodes dans lesquels leurs héroïnes hétérosexuelles embrassent un autre personnage féminin, sans que cela ait un quelconque impact sur la suite de leurs aventures. Ces moments saphiques avaient pour but d’émoustiller le public masculin hétéro et de faire le buzz.
Kathryn explique d'ailleurs à Cecile qu’il s’agit d’une façon de "s’entraîner" entre filles avant d’embrasser un garçon, sous-entendu le partenaire sexuel légitime. Pour autant, et malgré sa vision masculine et hétéro des rapports lesbiens, la séquence a aussi constitué un éveil queer pour de nombreuses jeunes femmes. Ainsi, Demi Lovato se souvient de son émoi à son visionnage : “'Oh mais j’aime vraiment cette scène ! Attends… mais j’ai envie d'essayer !' Et quand j’ai eu 17 ans, j’ai effectivement embrassé une fille. Et là, j’ai su.” En 2020, Sarah Michelle Gellar et Selma Blair ont recréé leur fameux baiser lors des MTV Movie & TV Awards Greatest of All Time. Ces alliées de la cause LGBTQI+ sont par ailleurs très fières d’avoir fait bouger les lignes, comme le notait Selma Blair sur Instagram : “Ce fut un baiser doux et délicieux pour mon personnage, Cécile. Et elle en voulait plus. [...] Ce qui me semble si délicieux maintenant, c'est de réaliser que ce n'est plus choquant en 2020. Les mentalités ont heureusement changé.”
Une représentation gay cynique mais mémorable
Mais la queerness de Sexe Intentions ne se résume pas à ce baiser mémorable. Le film contient aussi une sous-intrigue avec Blaine, un personnage gay à la fois bitchy et attachant, incarné par le péroxydé Joshua Jackson – dont toute une génération se souvient comme Pacey de la série Dawson. Blaine fait chanter Greg, un de ses amants au placard, à la bouche “d’un aspirateur Hoover”, et menace de le outer s’il ne redore pas le blason de Sebastian auprès de sa nouvelle cible amoureuse, Annette Hargrove (Reese Witherspoon). Mais on n’a pas vraiment le temps de s'épancher sur ce pauvre Greg, puisque la scène suivante le montre entouré de ses copains athlètes et très hétéros en train de raconter une scène de sexe où il humilie une jeune femme.
Greg représente l’archétype du sportif harceleur qui cache son homosexualité refoulée derrière un comportement sexiste, qui respire l’homophobie intériorisée. Blaine, lui, ne peut pas cacher son homosexualité, alors comme toute personne un peu futée dans le monde ultra-cynique de Sexe Intentions, il en tire profit. Porté par la performance très camp de Joshua Jackson, Blaine est une parodie de méchant gay efféminé, mais qui n’a pas honte de son orientation sexuelle. D'ailleurs on sent une alchimie plus intense entre Blaine et Sebastian (dont la paire de fesses est encore dans toutes les mémoires, et qui caresse de manière ouvertement suggestive un jouet phallique sur le bureau de Blaine tout en lui parlant), ou entre Kathryn et Cecile, que dans les couples hétérosexuels, pourtant beaucoup plus développés dans le film !
La reine Kathryn
Comment s’en sortir dans une société aussi bigote et hétéronormative ? En embrassant son rôle de méchant ! Le duo formé par Sebastian et Kathryn l’a bien compris. Les problématiques de cette dernière résonnent en particulier avec l’expérience queer. Elle finit par exploser dans un monologue puissant : "Il n’y a aucun problème à ce que des mecs comme toi et Court baisent tout le monde, mais quand je le fais, je me fais larguer pour des petites crétines innocentes comme Cecile. Que Dieu me protège de respirer la confiance et d’aimer le sexe. Tu penses que je prends plaisir à devoir me comporter comme Sœur Soleil 24h/24 et 7j/7 pour pouvoir être considérée comme une vraie femme ? Je suis la Marcia putain de Brady de l'Upper East Side et parfois, j'ai juste envie de me suicider."
Addict aux drogues et dépressive, Kathryn doit porter un masque pour être acceptée par ses pairs. Les personnes queers en particulier peuvent comprendre cette frustration de ne pas pouvoir être soi-même, et les conséquences que cela peut avoir en termes d'addiction. À la fin du film, son comportement de façade est exposé par ses pairs, et dans une église qui plus est. On est censés être du côté des jeunes gens bien sous tous rapports qui la jugent, mais cette scène sans dialogues, sur le morceau “Bitter Sweet Symphony” de The Verve, a un côté glaçant. Après avoir été diabolisée pendant tout le film, alors que le bad boy Sebastian connaît l’amour et la rédemption, Kathryn doit subir le jugement de la totalité du lycée. Elle incarne un archétype de teen movies particulièrement apprécié de la communauté gay – car injustement traité malgré sa flamboyance ! –, celui de la mean girl incomprise. Si le succès de Sexe Intentions a donné lieu à des tentatives de suites et de reboots ratés, l’excellent film Do Revenge (2022, Netflix) réalisé par Jennifer Kaytin Robinson, est à ce jour son héritier le plus étincelant. Dans cette histoire de vengeance entre ados blasés et sournois d’un lycée privé, les pestes et les persos queers ont enfin le droit d’être dépeints dans toute leur complexité.
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Crédit photo : Sexe Intentions, Original Film
