La proposition de loi reconnaissant la "responsabilité" de la nation française dans la persécution des homosexuels jusqu'en 1982 a été votée ce 6 mars à l'Assemblée. L'idée aura fait du chemin, depuis deux ans et notre pétition pour que la France reconnaisse enfin les victimes de sa répression anti-gay.
Dans la course d'obstacles législative, la proposition de loi de reconnaissance des condamnés pour homosexualité a franchi une nouvelle haie. Tard dans la soirée, ce mercredi 6 mars, l'Assemblée nationale a voté en faveur du texte à l'unanimité des députés présents (331). Celui-ci a au passage retrouvé son ambition originelle, amputée par la droite sénatoriale, d'ouvrir aux victimes la possibilité de demander des réparations financières. Même si son parcours n'est pas encore fini, puisque les députés devront convaincre les sénateurs d'abandonner leur version, cette loi touche au but après avoir bien failli ne jamais voir le jour…
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"J'ai un plan", clamait dans un clin d'œil le sénateur Hussein Bourgi fin novembre, à l'issue du vote unanime au Sénat. Le socialiste à l'origine de la proposition de loi l'avait mauvaise que ses collègues de droite aient amendé son texte pour en réduire la portée concrète. Pour mener sa barque, il fallait d'abord que le texte soit inscrit au calendrier de l'Assemblée. Une étape pas si simple, car l'ordre du jour appartient essentiellement au gouvernement, et les partis d'opposition n'ont que quelques heures de débat à leur disposition pour pousser leurs combats.
Inscription à l'ordre du jour
"J'ai mobilisé un conseiller de la présidente de l'Assemblée pour soumettre l'idée que le texte soit examiné pendant les semaines de l'Assemblée", souffle à têtu·, en décembre, un ex-conseiller d'Élisabeth Borne, encore Première ministre. Ces semaines n'appartiennent pas au temps décompté des partis politiques et sont destinées à des textes de consensus. Ce que la pétition lancée par têtu· dès juin 2022 démontra, car elle fut signée par des responsables de l'essentiel des familles politiques, du Parti communiste (PCF) jusqu'à la droite Les Républicains (LR). Une série d'articles du Monde sur cette période a fini de sensibiliser les plus récalcitrants. Bingo : le texte a trouvé sa date, le 6 mars donc.
Encore fallait-il dégoter une majorité pour voter les indemnisations financières abandonnées au Sénat. Hussein Bourgi passe alors un appel décisif à un député respecté de la majorité présidentielle : David Valence, élu des Vosges. Son job ? Convaincre son groupe et le gouvernement de l'importance de réinscrire les réparations financières dans le texte. "On ne peut pas considérer qu'il y a eu une injustice et ne pas vouloir la réparer au-delà des mots. La mesure n'engage pas beaucoup de dépenses, il faut la mettre en œuvre", plaide-t-il au ministère de la Justice, qui s'était abstenu au Sénat de tout avis.
Pour appuyer ce point, l'interview donnée par la Première ministre à têtu· en août 2022 a pesé. "Nous devons avancer dans les prochains mois pour réparer ce qui peut l’être sur la base de dispositions qui restent à définir", a-t-elle promis, ouvrant la porte à des réparations financières. Le député utilise cet argument, qui fait mouche : les députés macronistes défendent à leur tour le principe. "La plupart des ministères y sont également favorables", rapporte une source au sein de l'exécutif présente au sein d'une réunion inter-ministérielle dédiée au texte.
Un vote solennel
Les élus de la France insoumise (LFI) ont également ont joué un rôle important, notamment Andy Kerbrat, député de Loire-Atlantique, qui propose de nombreux amendements pour améliorer le texte. "Nous n'avons pas la possibilité de créer de nouvelles dépenses, par exemple pour que la loi finance le tissu associatif, mais nous pouvons faire des 'amendements de rapport' où nous incitons fortement le gouvernement à le faire", détaille-t-il. Le député mobilise les militants pour l'aider à interpeller les élus, et se rend à Lyon avec l'historien Antoine Idier pour rencontrer Michel Chomarat, victime concernée par la loi.
À son initiative, Mathilde Panot, la présidente du groupe LFI, obtient un "vote solennel". Comme son nom l'indique, ce type de scrutin marque la solennité d'une loi, et inscrit les votes des députés dans l'histoire. "Comme ça, nous verrons où se situe la droite et l'extrême droite", fait valoir Andy Kerbrat. En l'occurence, le Rassemblement national (RN) louvoie. Dans un premier temps, le groupe dépose des amendements visant à supprimer les réparations financières, signés par Marine Le Pen et les autres députés du parti. Mais à quelques heures du vote, ces amendements sont retirés. Pourquoi ? "Je ne les avais pas validés", explique auprès de têtu· Sébastien Chenu, vice-président du RN. Sur le fond, ajoute-t-il, "nous sommes favorable au texte, qui est bienvenu, mais nous nous opposerons au principe de réparations qui ouvre la porte à tous types de revendications". La droite sénatoriale à des questions à se poser : la voilà à nouveau sur la même ligne que l'extrême droite.
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