justiceCyberharcèlement de Thomas Jolly aux JO 2024 : le procès de la bêtise haineuse

Par Maëlle Le Corre le 06/03/2025
Cérémonie d'ouverture des JO de Paris 2024

Sept personnes ont comparu ce mercredi devant le tribunal judiciaire de Paris pour répondre du cyberharcèlement homophobe subi par Thomas Jolly lors de la Cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris. Le parquet a requis à leur encontre de 3 à 8 mois de prison avec sursis.

"J'aurais dû réfléchir", "j'ai écrit bêtement"... Sept mois après la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024, sept personnes, âgées de 22 à 79 ans, étaient jugées ce mercredi 5 mars au tribunal judiciaire de Paris pour le cyberharcèlement qu'a subi dans la foulée son directeur artistique, Thomas Jolly. Écumant l'océan à la petite cuillère, au vu du déferlement massif de messages haineux, la justice poursuit ces sept prévenus pour menaces de mort réitérées, cyberharcèlement et injures aggravées en raison de l'orientation sexuelle. Le parquet a requis à leur encontre des peines de trois à huit mois de prison avec sursis, assorties de stages de citoyenneté. Le délibéré est attendu pour le 5 mai.

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On vous épargne la lecture des quelque 200 messages examinés au procès, compilés dans deux classeurs massifs posés devant la présidente de la cour. Un léger malaise traverse la salle lorsqu'elle en lit un échantillon où se croisent homophobie, antisémitisme, menaces de mort… Sur le banc des accusés, seuls cinq des sept prévenus se sont déplacés. À la barre, ils expliquent avoir été choqués par le tableau "Festivité" où des drag queens, accompagnées d'autres artistes queers et de Philippe Katerine tout nu en bleu, représentaient une fête dionysiaque.

Harcèlement alimenté par l'extrême droite

Encouragés dans leur lecture par les hauts cris de l'eurodéputée Marion Maréchal-Le Pen, de l'ancienne ministre Christine Boutin mais aussi de la Conférence des évêques de France, de nombreux détracteurs de Thomas Jolly ont vu dans ce tableau un détournement de la Cène, le dernier repas de Jésus, et une atteinte à la religion catholique. "Tu vas payer pour avoir manqué de respect à notre seigneur Jésus Christ", a ainsi envoyé Pierre H. au metteur en scène dans un message privé. "Vous l'avez tout de suite pris comme une représentation qui portait atteinte à votre conviction ?" demande la présidente. "Oui. Enfin… je ne trouve pas ça très en cohérence avec le sport, je ne comprenais pas pourquoi il y avait ça", bredouille le prévenu.

"Quand j'ai vu des hommes et des femmes nus à côté d'enfants de 8-9 ans, ça m'a révolté", soutient Antoine C., ex-candidat du parti d'Éric Zemmour dans l'Hérault, pour se justifier d'avoir traité Thomas Jolly de "sac à foutre". "Corde + cou = réparation de ton acte immonde", s'est amusé à écrire Léo J. en réponse à une story : non pas une menace de mort mais un appel au suicide, nuance-t-il à la barre. Pour expliquer d'avoir qualifié Thomas Jolly de "tantouze", Patrick D., absent lors de l'audience, avait évoqué devant les policiers un "spectacle pédocriminel", une "injure à la religion catholique" et une "mise en scène satanique".

Lucien T. a quant à lui déjà vu plusieurs de ses profils sur les réseaux sociaux suspendus pour des messages racistes, antisémites ou homophobes. Cette fois, il a qualifié publiquement Thomas Jolly de "juif dégénéré qui attaque le milliard de chrétiens dans le monde". Une réponse à l'ennui, avait-il expliqué aux policiers qui l'ont entendu en garde à vue. Au tribunal, il présente mollement des excuses à l'artiste et affirme l'avoir déjà fait par message avant l'audience. Seule femme parmi les prévenus, Cécile B. assure, des trémolos dans la voix, qu'elle n'était pas dans son état normal au moment d'écrire sur Instagram : "T'as pensé à Charlie Hebdo ? J'espère que tu auras au moins la décence de reverser ton salaire à des associations."

Un procès pour l'exemple

La défense de Léo J. oppose une sensibilité provinciale particulière à un prétendu pédantisme culturel parisien : "Vous avez voulu les heurter, vous vous êtes pris une vague !" tente son avocat. "Mon client ne cherchait même pas à être lu par Thomas Jolly", assure l'avocate de Lucien T., un retraité isolé qui s'abreuve de discours complotistes en passant ses journées sur les réseaux sociaux. "Il a reconnu les faits, il sait qu'il va être condamné", acte-t-elle.

Ces prévenus avaient-ils conscience de prendre part à une vague massive de cyberharcèlement ? Eux s'en défendent, avançant leur droit à juger la cérémonie et à réagir sur les réseaux sociaux. Invoquant la colère, l'impulsivité, le manque de recul et l'absence de réflexion, chacun dit à sa manière regretter de s’être emporté. Certains présentent des excuses, tout en pointant que des regrets de la part de Thomas Jolly aurait été bienvenus.

"Ces gens ont surfé sur une vague provoquée dès le soir-même de la cérémonie, relayée par les médias, estime Me Patricia Moyersoen, avocate du metteur en scène. Ces personnes disent 'je ne savais pas'… Mais factuellement, ils ont réagi à des propos haineux, à des tweets, à des messages Instagram." Et de poursuivre auprès de têtu· à la sortie de l'audience : "On s’imagine qu’en envoyant un seul message, on ne fait pas du harcèlement. Mais une pierre qui s’accumule avec d’autres pierres, ça s’appelle du cyberharcèlement et c’est un délit." Pour Thomas Jolly, insiste-t-elle, l'important est "que ces personnes comprennent qu’on ne peut pas s'abriter derrière l'anonymat, ni derrière le fait qu'on n'a envoyé qu'un seul message". En septembre prochain, trois personnes doivent être jugées devant la même chambre pour le cyberharcèlement de Barbara Butch, la DJ qui avait participé au même tableau.

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Crédit illustrations : France Télévisions

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