Le directeur artistique de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024, Thomas Jolly, a offert à la France non seulement un moment de joie collective et un spectacle mémorable salué dans le monde entier, mais aussi un cadeau qu'on n'osait plus espérer au vu de notre situation politique récente : l'incarnation d'un universalisme queer.
Chez têtu·, nous n'avions aucun doute. Confiée à Thomas Jolly, dont nous suivons depuis longtemps le travail, la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024 s'annonçait comme une pièce de théâtre surdimensionnée célébrant l'ouverture et la diversité. Et quiconque a vu son Starmania, récompensé en 2023 du Molière de la meilleure création visuelle et sonore, ne pouvait qu'avoir confiance dans ce que le metteur en scène saurait faire d'une Tour Eiffel mise à sa disposition.
Reines de la pop mondiale, drag queens, voguing et waacking sur le catwalk… Le bingo que nous avions échafaudé en amont de ce vendredi 26 juillet a été plus que respecté – et nous avons passé la soirée à saluer des visages connus de la rédaction, dont plusieurs ont fait la couverture de têtu· : Daphné Bürki en maîtresse des costumes, les queens Nicky Doll, Paloma et Piche, les étoiles Guillaume Diop et Germain Louvet, la mannequin Raya Martigny, la DJ Barbara Butch, Juliette Armanet, les danseuses Giselle Palmer et Josépha Madoki… Seule Mylène Farmer a brillé par son absence, mais a été incluse dans la bande-son (aux côtés de Johnny et Polnareff). Bref, surpassant l'Eurovision, l'ouverture de Paris 2024 est la plus grande fête queer de l'histoire de la télévision mondiale.
Une incarnation plutôt qu'une proclamation
Question sens, les choses avaient été placées entre de bonnes mains. Pour écrire le fil de cette cérémonie se déroulant sur plus de 6 km de Seine, Thomas Jolly s'était entouré, outre de la scénariste reconnue Fanny Herrero (Dix pour cent) et de l'auteur de théâtre Damien Gabriac, de l'historien au Collège de France Patrick Boucheron et de la romancière et prix Goncourt Leïla Slimani. Alors certes, les inconditionnels de la démonstration de force à la limite du défilé militaire en auront été pour leurs frais. Patrick Boucheron avait d'ailleurs prévenu dans une interview au Monde : "La cérémonie d’ouverture de Pékin, en 2008, c’est exactement tout ce que nous ne voulions pas faire : une leçon d’histoire adressée au monde depuis le pays d’accueil, une ode à la grandeur et une manifestation de force." En lieu et place de quoi nos Frenchies ont imaginé un spectacle réellement vivant, de rue qui plus est, qui montre plutôt qu'il ne dicte, une incarnation de ses valeurs universelles.
Au cours du week-end qui a suivi la cérémonie, Thomas Jolly et Daphné Bürki ont fait montre d'une insondable patience pour aller expliquer de plateau en plateau que du théâtre, c’est du théâtre. Qu'on ne propose de couper la tête à personne quand on entonne "Ah ! ça ira" dans un déguisement burlesque de Marie-Antoinette, entre une représentation de la Liberté guidant le peuple et un concert de métal sur la façade gothique et multiséculaire de la Conciergerie. Pas plus qu'on ne vise à choquer les croyants avec une représentation d'un banquet dionysiaque, quand bien même on y verrait la Cène – n'en déplaise à Jean-Luc Mélenchon, même La Croix l'a compris.
Universelle parce que queer
"C'était une honte", a réagi Donald Trump. On se prend à imaginer la tête d'un Bardella Premier ministre devant le spectacle vomi par son allié hongrois Viktor Orbán, qui y a vu l'incarnation du "vide" occidental auquel il oppose "Dieu, la patrie et la famille". Au Rassemblement national qui nous a donné chaud cet été s'opposa heureusement, malgré les trombes d'eau, l'image d'une nation rassemblée (86% des Français estiment que cette cérémonie était réussie) qui se tourne, unie, vers celles et ceux qui dans le monde n’ont pas la chance de vivre libres.
La beauté ultime de l'ensemble, c'est que Thomas Jolly et son équipe n'ont pas choisi entre culture française et culture queer : nous avons eu le french cancan et le voguing, Notre-Dame et nos drag queens, la Révolution et la haute couture. Dans la Bibliothèque de France, une jeunesse libre et fluide a célébré la fine fleur de notre littérature : Maupassant, Musset, Marivaux, Choderlos de Laclos, Annie Ernaux, Verlaine, Radiguet, Molière. Tout comme la pluie n'a fait que rehausser la dramaturgie de cet incroyable spectacle, sa patte queer a parachevé son universalisme : c'est bien grâce à cette inclusion assumée devant le monde que la France redevient un phare. Alors merci Thomas Jolly, et de rien le monde !
>> À voir : le replay de la cérémonie
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Crédit illustrations : France.tv