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histoireNos archives : les deux interviews à "Gai Pied" de William Burroughs, icône Beat

Par têtu· le 13/01/2023
William Burroughs - gai pied - écrivain

Comptant parmi les principales figures de la Beat Generation, William Burroughs, romancier homosexuel américain, a donné sa première interview à Gai Pied en février 1980. Une seconde lui fera suite cinq ans plus tard. Nous reproduisons ici intégralement ces deux morceaux majeurs de l'histoire de la presse gay au XXe siècle.

Premier hebdomadaire gay a avoir été distribué en kiosques, Gai Pied, fondé en France en avril 1979 sous le patronage de Michel Foucault, a participé comme aucune autre publication de l'époque à donner une légitimité à une communauté LGBT encore balbutiante, et qui va se créer autour d'un sentiment commun d'appartenance culturelle. C'est pourquoi, dès les premiers numéros, le magazine a accordé une grande importance aux arts – parmi lesquels la photographie, le dessin, la peinture, la musique et la littérature – et publié plusieurs entretiens prestigieux, parmi lesquels deux interviews de William Burroughs, écrivain américain proche de la Beat Génération, auteur notamment des Garçons sauvages, auquel les articles "Burroughs, l'éternel garçon sauvage" et "L'Écrivain sauvage" font référence.

Publiée en février 1980 dans le numéro 11, la première interview, signée Gérard-Georges Lemaire – par ailleurs traducteur de Burroughs chez Christian Bourgeois éditeur –, est précédée d'un texte de Jean le Bitoux, alors directeur de la publication de Gai Pied. L'auteur américain y témoigne de son admiration pour Jean Genet, écrivain homosexuel français dont certains romans – Notre-Dame-des-Fleurs (1944) ou encore Querelle de Brest (1947) – sont considérés comme des chefs-d'oeuvre de la littérature française, et homosexuelle de surcroît. William Burroughs évoque également Rimbaud, ainsi que les mouvements de libération homosexuelle. [têtu·]

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► Burroughs, l'éternel garçon sauvage

"Je travaillais le trou avec le matelot et nous n'avons pas mal fait." La première phrase de The Soft Machine me réveilla d'un long sommeil. Hormis le grand regard de Le Clézio que je croisais dans Nice et qui faisait des plonges non loin de cette terrasse du port, hormis la lecture de Genet qui m'avait ébloui et dissuadé de retourner de sitôt à la besogneuse Littérature, mon rapport au livre restait handicapé, en mal d'hallucinations. La défenestration verbale de Burroughs m'a alors englouti, et je finissais mon 10/18 en me crevant les yeux dans le crépuscule rose de cette Baie des Auges où s'engouffrent tous les égouts, ce qui oblige les photographies d'avion à être retouchées en bleu marine.

Un jour le public de Beaubourg insulta un garçon sauvage qui venait de voler le chapeau du Maître, en pleine incompréhensible conférence. Ce garçon sauvage, a alors fait un fabuleux strip tease. Burroughs le lendemain me confiait son ravissement pour ce happening improvisé. Un jour on me parlait de Burroughs. Mon transistor a alors rejoint le carrelage de la cuisine. fracassé. [Jean le Bitoux]

[Interview exclusive]

Pour réaliser cet enregistrement et répondre encore une fois à des questions qui l'obligent à sortir d'un mutisme toujours plus difficile à rompre, William Burroughs m'a reçu chez lui, dans son grand loft du Bowery, dans une grande salle peinte en blanc et quasiment dépourvue de mobilier. Mais le plus étonnant dans ce lieu n'est certainement pas ce parti-pris d'ascétisme : c'est l'absence de lumière naturelle et le fait que toutes les fenêtres sont condamnées qui rendent cet endroit aussi singulier et qui lui ont valu le surnom désormais légendaire de Bunker. Ce dialogue est destiné à figurer dans la première d'une série d'émissions que j'ai produite pour l'Albatros, programme dominical de France Culture créé par Alain Veinstein. Je le remercie vivement de m'autoriser à en offrir la primeur aux lecteurs de Gai Pied. ...