Comme la musique, la lecture adoucit les mœurs, et les pavés plus ou moins épais se glissent sans difficulté sous le sapin de Noël. Une façon d'offrir un voyage sans passer par la case billet d'avion…
- Le Bastion des larmes, d'Abdellah Taïa. Éditions Julliard.
Retour à Salé pour Abdellah Taïa, qui avait fait de sa ville natale bordant l’océan Atlantique le cadre de L’Armée du salut (2006), son roman partiellement autobiographique sur l’éveil d’un adolescent gay au Maroc. Ici le narrateur, Youssef, exilé à Paris depuis vingt-cinq ans, doit revenir sur les lieux de son enfance pour liquider l’héritage de sa mère décédée. Un moment forcément bouleversant dans la vie d’un homme, qui l’amène à replonger dans sa terrible jeunesse de petit pédé dans une société qui ne fait pas de place aux «folasses» si ce n’est plus bas que terre, jusqu’au sein de leurs propres familles : «Où le mettre ? Où le cacher ? Ah ça, oui oui, il faut le cacher.»
Connu pour être l’un des premiers écrivains arabes à avoir publiquement revendiqué son homosexualité, Abdellah Taïa pousse un cran plus loin sa dénonciation d’une culture hypocrite qui rejette violemment ses homos – «Toute ta vie est un crime, Youssef. Tu es gay, non ?» – tout en fermant les yeux quand ceux-ci sont puissants, et dont le virilisme homophobe s’accommode fort bien du viol des jeunes garçons efféminés – «Nous sommes au Maroc. Ici, les enfants appartiennent à tout le monde.» Peut-on pardonner cela ? Le faut-il d’ailleurs ? Le temps punira-t-il tout seul les assassins de notre enfance ? Le Bastion des larmes est lauréat du prix Décembre 2024.
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- Pour les siècles des siècles, d'Alain Guiraudie. Éditions P.O.L.
Si vous avez aimé les protagonistes de son précédent roman, Rabalaïre (2021), le cinéaste-écrivain Alain Guiraudie vous donne l’occasion de les retrouver dans Pour les siècles des siècles. Souvenez-vous, Jacques Bangor et Jean-Marie Berthomieu, le curé très singulier de Gogueluz, sont liés par un secret terrible : Jacques est l’assassin du fils de Rosine, dont ils sont tous deux amoureux. Cette fois, il est question d’un voyage au royaume des morts, par transe, grâce à une préparation de champignons hallucinogènes…
- Blackouts, de Justin Torres. Éditions de l'Olivier.
Juan et le narrateur se sont connus à l’hôpital psychiatrique. Juan est plus âgé, charismatique et fascinant. Il vit dans un lieu appelé le Palais, complexe résidentiel situé en plein désert qui abrite une grande communauté queer. Atteint par la maladie, Juan confie à son jeune complice une mission : poursuivre ses recherches sur Jan Gay, une militante lesbienne du début du XXe siècle qui a vu son travail pionnier bafoué, détourné. De ce dialogue entre deux générations, Justin Torres tire Blackouts, un roman inclassable dans sa forme qui tente, par le geste fictionnel, de dire, de comprendre et de réparer la réalité douloureuse de l’histoire.
- Les Sentiers de neige, Kev Lambert. Éditions Attila.
Prix Médicis 2023 pour son roman Que notre joie demeure, Kev Lambert revient avec Les Sentiers de neige, un récit directement inspiré de ses lectures d’adolescence. Il met en scène Zoey, 8 ans, qui à l'approche de Noël partage avec sa cousine, Emie-Anne, une aventure épique, tandis que le spectre de l'adolescence brille au loin, et avec lui son lot de renoncements et de changements inéluctables. L'auteur réussit à retranscrire la richesse imaginative de ses deux personnages, un exercice littéraire en soi, et pointe le réel, quelquefois traumatique, qui, revisité, affleure dans les jeux d'enfants.
- Espèces dangereuses, de Sergueï Shikalov. Éditions du Seuil.
Dans Espèces dangereuses, l’auteur décrit une Russie peu connue des Occidentaux, une Russie progressiste qui, le temps d’une décennie démocratique, a cru aux droits humains et à l’amour libre. Il évoque l’espoir frémissant des jeunes Russes queers de ne plus faire semblant, d’être enfin acceptés par leur famille et leur “patrie”. Pouvoir se tenir la main dans les rues de Moscou, oser embrasser son amoureux lors du premier concert de Mylène Farmer à Saint-Pétersbourg, s’éblouir de l’Europe et des États-Unis, ouvrir grand les yeux sur les opportunités d’un monde nouveau… Avant que tout ne bascule encore.
- Bruno et Jean, de Pauline Valade. Éditions Actes Sud.
Paris, 6 juillet 1750. Bruno Lenoir et Jean Diot périssent étranglés puis brûlés en place de Grève. Ils seront les derniers condamnés à mort pour homosexualité en France. Mêlant réalité et fiction, l'historienne Pauline Valade nous plonge dans leur destin tragique avec Bruno et Jean.
- L'Éden à l'aube, de Karim Kattan. Éditions elyzad.
Dans un roman pédé, politique et militant, l'auteur palestinien Karim Kattan met en scène à Jérusalem une histoire d'amour entre deux garçons. "Le plus clair de leur temps, ils toussaient du sable, il y avait du sable dans leurs bouches et leurs narines quand ils s'embrassaient, du sable dans les fesses quand ils se les rinçaient, du sable sable au fond du lit, sous les alèses, du sable dans les tasses et au fond des assiettes." Un roman de désir et de tempête, à qui nous consacrons une double page dans le têtu· de l'hivers en kiosques.
- Midi, minuit, sauna, de Lucien Fradin. Éditions La Musardine.
Dans Midi, minuit, sauna, le narrateur passe une journée dans un sauna, d'abord seul avant d'être rejoint par des amis. Il connaît bien l'établissement, où il a travaillé plus jeune, en boxer bleu, débardeur blanc et tongs aux pieds. Au centre du lieu, un jacuzzi hexagonal, puis des cabines et autres espaces de sexe s'étendent sur deux étages et abritent une galerie de personnages avec qui baiser, discuter, ou sur qui simplement fantasmer.
- La Couronne de serpent, de Guillaume Perilhou. Éditions de l'Observatoire.
La beauté n'est pas une malédiction ; l'enfer, c'est le regard des autres. Et l'auteur le prouve en suivant la trajectoire de Björn Andrésen, apollon révélé, pour son malheur, par le réalisateur italien Luchino Visconti dans Mort à Venise.
- L'Effondrement, d'Édouard Louis. Éditions du Seuil.
"Ses rêves se sont heurtés à son monde et il n'a pu en réaliser aucun." Dix ans tout juste après la publication de son premier roman, En finir avec Eddy Bellegueule, Édouard Louis conclut son cycle familial par un récit sur son frère, retrouvé mort à 38 ans sur le sol de son studio, au terme d'une vie d'échec et de déceptions.
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