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interviewCinéma : de "Beau Travail" à "La Mer au loin", rencontre avec l'acteur Grégoire Colin

Par Franck Finance-Madureira le 05/02/2025
"Grégoire Colin dans le film "Beau travail" de Claire Denis.

On se souvient comme si c'était hier de lui dans Beau Travail, de Claire Denis, sorti en 1999. Aujourd'hui, Grégoire Colin incarne un flic marseillais bisexuel dans La Mer au loin, le nouveau film de Saïd Hamich, aux côtés d'Anna Mouglalis et Ayoub Gretaa.

Dans La Mer au loin de Saïd Hamich, dont l’action se situe à Marseille dans les années 1990, l'acteur Grégoire Colin prête ses traits à Serge, un flic borderline et bisexuel qui accueille Nour (Ayoub Gretaa), un jeune sans-papiers, au sein du couple qu’il forme avec Noémie (Anna Mouglalis). Fils de comédiens, Grégoire Colin tourne depuis ses 14 ans et a toujours chéri une certaine discrétion, même si ses nombreux films avec Claire Denis, parmi lesquels le cultissime Beau Travail, lui ont ouvert les portes d’un cinéma d’auteur international. On l’a rencontré, pour évoquer sa carrière et ce nouveau rôle de flic marseillais tout droit sorti d’un film de Fassbinder.

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  • Qu’est-ce qui vous a motivé à incarner, dans La Mer au Loin, ce flic marseillais bisexuel, un peu toxico et pas franchement aimable ?

Grégoire Colin : Saïd Hamiche ne m’a pas demandé de faire des essais, donc j’étais honoré de sa confiance ! J’avais adoré son court-métrage Le Départ (2020), absolument déchirant, dont La Mer au loin peut être considéré comme une sorte de suite. Le personnage est complexe, mais c’était déjà très présent au scénario, et ça m'a beaucoup motivé. Serge est censé faire appliquer les lois, mais lui-même ne les respecte pas : il consomme de la drogue, il conduit en état d'ivresse… il doit aussi expulser des immigrés illégaux alors qu'il en recueille un chez lui. Et puis, il aime les femmes et les hommes, sans préférence. Il va d'ailleurs tenter sa chance avec Nour, et l'aidera quand même malgré son refus.

  • Comment avez-vous travaillé pour vous mettre dans la peau de ce personnage bisexuel ?

Ça a été beaucoup par le texte, et ensuite c'est le corps qui, d'une certaine manière, a suivi. Une scène, pour moi, c'est comme un petit flamenco ; il faut qu'à l'intérieur il y ait différentes étapes, différentes émotions, beaucoup de choses qui ne sont pas dans les mots, qui ne sont pas dites. C’est ça qui crée du mystère et qui nous permet de nous interroger sur nous-mêmes. Le chemin mental qu'on fait en préparant son personnage, c’est comme trouver le chas d’une aiguille, on imagine 10.000 chemins et finalement, il n'y en a qu'un où ça passe vraiment, et c'est là où c'est juste.

  • Ce trio raconte beaucoup de choses de l'histoire de l'immigration en France…

Et même sur la colonisation. Il y a aussi quelque chose de très moderne, très 1990 dans le couple qu'il forme avec Noémie, mais c’est terrible parce que tout est dans le non-dit. Il y a quelque chose de très pernicieux chez eux : Serge est extrêmement violent, notamment dans les rapports de pouvoir qu'il a avec les autres. Et Noémie peut aussi faire des trucs affreux. Il y a aussi une question de rédemption, mais elle n'est pas appuyée. Ce ne sont pas des monstres, mais la partie monstrueuse d'eux-mêmes émerge quand même suffisamment pour qu'on puisse se questionner.

  • Peut-on revenir sur une œuvre culte de votre filmographie, le sublime Beau Travail de Claire Denis, avec laquelle vous avez tourné pas moins de neuf fois ?

Bien sûr. C’est vrai que Beau Travail ou même Nenette et Boni, que j’ai tournés avec Claire Denis, sont des films qui sont pas mal étudiés depuis quelques années. Au moment où on les faisait, j’avais l’impression qu’ils n’intéresseraient pas grand-monde. Je me rends compte aujourd'hui que ce sont de grands films. Beau Travail est touché par la grâce. C’est quelque chose de très très rare, et c’est tellement beau. Je l’ai revu il n'y a pas très longtemps et c'est un pur chef-d’œuvre !

  • On vous en parle encore aujourd'hui ?

De plus en plus, d'ailleurs les nouvelles générations de cinéastes s’en inspirent. C'est là où j'ai pu sentir un impact, en décalé, en recevant notamment des propositions de réalisateurs autrichiens, néerlandais, sud-américains ayant découvert le film durant leurs études de cinéma. Cela a donc mis près de quinze ans ! Claire Denis est une cinéaste qui se bat de tout son être pour faire ses films. Celui-ci a trouvé son public avec les années…

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Crédit photo : Barney Production - Tarantula - Mont Fleuri Production