cinéma"Actrice pop-corn" aux Oscars : Demi Moore, la substance d'une reine

Par Thomas Desroches le 27/02/2025
Demi Moore dans "The Substance".

En bonne place pour les Oscars 2025, dont la cérémonie se tient ce dimanche 2 mars à Los Angeles et où elle est nommée dans la catégorie Meilleure actrice pour son rôle dans The Substance, Demi Moore tient à 62 ans sa revanche. Enfin reconnue pour son talent, la voilà même devenue une icône de la culture drag queen.

"Il y a trente ans, un producteur m’a dit que j’étais une actrice pop-corn. J’en ai déduit que je ne méritais pas de recevoir de telles récompenses." Incroyable mais vrai : ce soir du 5 janvier 2025, sur la scène des Golden Globes à Los Angeles, Demi Moore remporte son tout premier prix important… ce qui dit autant que son anecdote des préjugés qui ont pesé sur l’actrice tout au long de sa carrière débutée il y a quarante ans. Mais alors que l’époque revalorise certaines icônes mésestimées des années 1990, comme Pamela Anderson (pour The Last Showgirl, dont la sortie en France est prévue pour le 12 mars), Demi Moore tient enfin sa revanche.

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Jusqu’alors, la mémoire populaire avait abandonné Demi Moore au siècle dernier, ne retenant guère que ses histoires d’amour en une des magazines people et son rôle dans Ghost, classique romantique sorti en 1990 et qui continue de faire un carton d’audience à chaque diffusion télé. C'est une Française qui a tout changé : Coralie Fargeat, avec son film d'horreur The Substance. Dans une de ces mises en abyme dont la pop culture a le secret, la star sur le retour y joue une actrice sur le déclin remerciée de son programme de fitness le jour de son cinquantième anniversaire. Terrifiée à l’idée de disparaître, elle s’injecte un élixir qui engendre une "meilleure version" d’elle-même : plus jeune, plus belle. Sorti cet automne, le film avait remporté, dès sa première projection au Festival de Cannes, le Prix du scénario.

Demi Moore, icône drag

Devenu immédiatement un phénomène de société, The Substance offre à Demi Moore une nouvelle popularité auprès du jeune public, notamment queer. Son look dans le rôle dElizabeth Sparkle, l’héroïne déchue – trench jaune jonquille, longs cheveux noirs et larges lunettes de soleil – a été parodié des milliers de fois pour Halloween, sur TikTok et même lors de performances drag. Version hyper-pop du Portrait de Dorian Gray, le body horror s’est en effet vite imposé, par son extravagance et ses transformations poussées à l’extrême, comme une œuvre fétiche dans la communauté queer.

Pour la drag queen Babouchka Babouche, organisatrice en janvier d’une soirée The Substance à Paris, le personnage dElizabeth Sparkl est une évidente inspiration drag, et même une allégorie de l’art de la transformation : "Demi Moore prend la substance pour être belle, jeune et adulée, puis met une semaine pour s'en remettre loin du glam et des caméras, développe l’artiste française. Nous, on se donne à fond pour un show et, le temps d'une soirée, les gens nous applaudissent… mais il faut voir la gueule d'une drag queen démaquillée quand elle rentre chez elle à 5 heures du matin !" Star de RuPaul’s Drag Race, Katya Zamolodchikova fait même sa campagne pour les Oscars : "Je ne connais pas cette femme, je ne l’ai jamais rencontrée, mais je suis encore plus excitée par sa victoire que si c’était celle d’un être cher ou la mienne. Je veux qu’elle ait l’Oscar et si ce n’est pas le cas, je vais me tuer !"

À armes égales avec les hommes

Si Demi Moore revient de loin, elle fut il y a trente ans l’une des stars les plus puissantes d’Hollywood. En 1995, épaulée par son mari d’alors, Bruce Willis, elle se bat pour l’égalité salariale et devient l’actrice la mieux payée de l’histoire. L’actrice défie le système patriarcal derrière mais aussi devant la caméra : dans plusieurs de ses films, elle est ainsi la seule femme entourée de stars masculines. C’est le cas dans Des hommes d’honneur et Margin Call. Elle prête également son nom à des thrillers érotiques aux sujets parfois transgressifs, comme Proposition indécente, où un riche homme d’affaires (Robert Redford) propose un million de dollars à un jeune couple marié pour passer la nuit avec l’épouse. Dans Harcèlement, elle incarne une prédatrice sexuelle face à un Michael Douglas terrifié. En 1997, l’actrice n’hésite pas à déchirer son image de fantasme masculin pour se transformer en soldat dans À Armes égales, de Ridley Scott. Demi Moore s’y rase le crâne, suit un entraînement musclé et tient tête aux machos des Navy Seals prêts à lui en faire baver. Face à un haut gradé, l’héroïne lance un sublime “Suce ma bite”, réplique qui fait son petit effet à l'époque.

Certains de ces films sont de gros succès commerciaux, mais la star est égratignée par la critique. Dans une récente interview, elle affirme soupçonner que ses exigences salariales ont longtemps contribué à cette mauvaise presse. Son cachet de 12,5 millions de dollars pour son rôle dans Striptease hérisse ainsi certains magnats de l’industrie qui la surnomment "Gimme More" ("donne-moi plus"). Après À Armes égales, Demi Moore s’éloigne des plateaux de tournage pour s’occuper de sa famille. Elle revient en 2003 avec la suite de Charlie’s Angels, classique pour toute une génération de gays. Son personnage de méchante sur talons armée de pistolets en or massif a beau perpétuer son statut d’icône badass, elle disparaît à nouveau dans un long passage à vide. Le public la retrouve alors principalement dans les pages des tabloïds qui se passionnent pour son mariage avec Ashton Kutcher, acteur de quinze ans son cadet.

Comme pour nombre de "sex symbol" féminins d’Hollywood, le parcours de Demi Moore est marqué par des violences semblables à celles que subit son personnage dans The Substance. Au premier rang desquelles l’impossibilité de vieillir devant les caméras. Le triomphe qu’elle rencontre grâce à ce film est d’autant plus remarquable qu’il lui permet de se réapproprier les injonctions qui ont parsemé sa carrière d’actrice. Mais Demi Moore n’est pas Elizabeth Sparkle. Contrairement au sort de son personnage, son histoire est celle d’une renaissance. Début 2024, déjà, Ryan Murphy lui offre une courte mais remarquable apparition dans la série Feud: Capote vs. The Swans. Elle y incarne une mondaine soupçonnée d’avoir fusillé son mari et ciblée par les ragots destructeurs du mesquin Truman Capote. Ses scènes sont rares mais suffisent à rappeler son talent indéniable. Un simple avant-goût avant The Substance, où elle démontre une bonne fois pour toutes qu’il n’est jamais trop tard pour se réinventer, et balayer les préjugés.

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Crédit photo : Working Title Films

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