modeRomain Thévenin : “Le Covid-19 pourrait tuer mon entreprise queer”

Par Anthony Vincent le 20/04/2020
Covid-19

L'épidémie de COVID-19 a de nombreuses conséquences sur tous les secteurs, et notamment celui de la mode. Romain Thévenin, jeune créateur gay, est au bord de la faillite. Il raconte à TÊTU. 

Nombreux sont les secteurs qui souffrent terriblement de l'épidémie de Covid-19, et des mesures de confinement qui ont été annoncées dans de nombreux pays du monde. Si l’industrie de la mode paraît loin d’être prioritaire, elle reste un pôle vital de l’économie française. Elle génère 154 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit plus que l’aéronautique et la construction automobile, en plus d’être une manne d’emplois (près d’un million, d’après Le Monde en novembre 2019) sur le territoire. Notamment pour de nombreuses personnes LGBT+ qui y trouvent une forme de refuge où exister plus librement qu’ailleurs. C’est notamment le cas du jeune créateur gay français Romain Thévenin.

Après sa formation à l’école de mode Atelier Chardon Savard et un stage pour la maison de haute couture On Aura Tout Vu (qui a déjà habillé Madonna, Lady Gaga, Conchita Wurst, ou même Florence Foresti), il a créé sa propre marque en 2014. Son univers fantasque, mâtiné de codes fétichistes et de science fiction, s’incarne dans des harnais à piques, des masques à clous, et autres corsets tout en chaînes. “La culture gay fait pleinement partie de l’identité de ma marque. J’habille beaucoup de drag queens comme Violet Chachki, de chanteurs queers comme Bilal Hassani, et travaille énormément avec des stylistes, photographes et modèles de la communauté”, explique le designer de 27 ans à TÊTU.

“Je ne peux pas payer mon loyer en visibilité”

Ses pièces exubérantes plaisent aux célébrités qui aiment les porter pour leurs apparitions médiatiques, comme Chris Marques régulièrement habillé en Romain Thevenin Paris dans “Danse avec les Stars” ou Aya Nakamura dans son clip “40 %”. Mais cela peut donner la fausse impression qu’il roule sur l’or, alors qu’il n’en est rien : “Les jeunes créateurs ne sont pas payés dans ces cas là : ce sont des vêtements qu’on prête gratuitement, on paye même les frais d’envoi généralement. C’est de la visibilité importante pour la marque, une forme de publicité gratuite, mais ça ne paie pas mon loyer.”

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Ses sources de revenus résident plutôt dans la vente directement depuis son e-shop et auprès de boutiques communautaires comme la boutique Addicted du Marais - actuellement fermée. Or ses commandes et contrats ont presque tous été annulés : “J’ai une clientèle essentiellement gay qui trouvent chez moi des vêtements et accessoires pour sortir faire la fête, en boîte, en festival, et en circuit. Malheureusement, depuis le confinement, je ne reçois plus de commandes, et ça ne risque pas de s’arranger vu que les rassemblements continueront d’être interdits jusqu’à mi-juillet au moins et que les prochaines Fashion Weeks sont annulées. C’est toute une partie de la culture queer qui est sur pause actuellement : les Prides, les soirées gays, le spectacle vivant

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Une campagne Ulule pour continuer à créer

Comme beaucoup d’autres entreprises de la communauté gay, Romain Thévenin voit donc son chiffre d’affaires s'effondrer. Trop petit pour prétendre aux aides proposées par l’État aux sociétés (comme le report, voire l’annulation des charges sociales et fiscales), ce jeune créateur espérait au moins bénéficier du fonds de solidarité pour les auto-entrepreneurs : “Mais elles sont calculées par rapport aux recettes de mars 2019. Ce qui n’est pas en faveur d’une activité saisonnière comme la mienne, rythmée par les Fashion Weeks. En janvier-février 2019, j’étais très actif au niveau des ventes, mais en mars, j’étais en train d’imaginer et concevoir ma prochaine collection. Résultat, sur les 1500 € d’aides que j’espérais aujourd’hui, j’en obtiendrai 1/10e. Alors comme beaucoup d’indépendants qui luttent pour payer leurs courses et leurs loyers actuellement, je cherche des aides et à diversifier mes revenus. Mais beaucoup d’arnaques circulent justement parce qu’on est tous sur les dents.”

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À deux doigts de mettre la clé sous la porte, il vient donc de lancer une campagne de financement participatif sur Ulule. “Parmi les contreparties, en plus de mes créations habituelles, je propose aussi des masques 4 épaisseurs réutilisables et lavables que je confectionne actuellement chez moi, dans mon appartement-atelier. Ils ne sont pas à la norme FFP2, mais préviennent la projection de gouttelettes et empêchent les contacts main-bouche.” Une première barrière utile (et stylée) face à la pénurie de masques homologués. Romain Thevenin a prévu de reverser 10% de sa collecte aux Hôpitaux de Paris : “Parce que le seul moyen de s’en sortir aujourd’hui, c’est en se montrant solidaire. Et la solidarité, c’est bien l’une des valeurs clés de la communauté LGBT+.”