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télévisionTransidentité : la parole essentielle de trois personnes concernées sur M6

Par Nicolas Scheffer le 07/10/2022
"Trans, uniques en leur genre", sur M6

Dans un documentaire diffusé sur M6 et présenté par Karine Lemarchand, intitulé Trans, uniques en leur genre, trois témoins ont accepté de livrer leurs parcours pour sensibiliser le grand public aux questions de transidentité.

Karine Lemarchand qui vulgarise la transidentité : ça peut faire peur. Avant même la diffusion du documentaire Trans, uniques en leur genre, ce jeudi 6 octobre en première partie de soirée sur M6, la quasi-totalité des associations LGBTQI+ a publié un communiqué dénonçant la volonté de la chaîne de s'emparer de la transidentité, sujet nécessitant un traitement journalistique minutieux. Or la présentatrice de l'Amour est dans le pré, qui est capable d'interviewer Marine Le Pen pour parler de ses chatons et de sa colocataire, est plus connue pour ses gros sabots que pour sa finesse.

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Le documentaire d'une heure trente, déconseillé aux moins de 10 ans et retraçant la vie quotidienne de personnes trans et de leur entourage, a été vu par 1,52 million de téléspectateurs. La chaîne a diffusé à sa suite un débat de vingt minutes où deux femmes transphobes ont échangé avec Zach, l'un des témoins du documentaire, et le psychiatre Serge Hefez. Au-delà de la nécessité ou non d'inviter des personnes qui se sont ridiculisées dans leur obstination à remettre en cause l'existence même de la transidentité, les trois personnes concernées ont pu livrer dans cette soirée un témoignage pédagogique et poignant qu'il faut entendre. Un discours d'empouvoirement bienvenu, à une heure de grande écoute, sur une chaîne grand public.

Emma, Aëla et Zach

Ainsi, Emma, 63 ans, Aëla, 33 ans, et Zach, âgé de 18 ans lors du tournage, ont fait le récit de leur transition, du moment où ces témoins ont compris qu'iels ne correspondaient pas au genre leur ayant été assigné à la naissance, jusqu'à leur épanouissement dans la vie. Emma se souvient de l'époque où elle utilisait son bureau de PDG comme un espace où elle pouvait enfin vivre en accord avec son genre, à l'abri des regards, le samedi quand l'usine était vide. "J'avais besoin d'exprimer cette partie en moi (...) j'ai vécu dans le secret pendant 40 ans. Je m'étais construit une petite prison", dit-elle, exprimant l'impossibilité de vivre pleinement son genre à cause du regard des autres : "Il y avait cette peur de perdre sa femme, sa vie de famille, son boulot", retrace-t-elle aujourd'hui face caméra.

C'est devant la télévision, alors qu'elle a sept ans, qu'Aëla met des mots sur les émotions qui la parcourent. "En voyant la publicité d'un reportage qui allait passer le soir sur une danseuse de ballet qui est transgenre, j'ai eu la révélation", confie-t-elle, n'éludant pas la violence à laquelle elle fut confrontée, expérience commune aux personnes LGBTQI+. "J'allais à l'école la boule au ventre : j'ai été insultée de pédé, de tapette, de tafiole. Toute ma vie, j'ai été exposée à la violence", souffle-t-elle.

Après ces récits de vie, le documentaire s'appuie sur les personnes concernées pour effectuer un travail de pédagogie. Zach raconte la nécessité de ne pas mégenrer ni deadnamer (c'est-à-dire appeler une personne trans par le nom que ses parents lui avaient donné à la naissance, et qui ne correspond pas à son identité de genre) les personnes trans. "Mon prénom de naissance, je ne préfère pas le dire pour ne pas que les gens imaginent ma personne avec un prénom féminin. On n'a pas envie de se remémorer le mal-être dans lequel on était dans le passé", explique Zach avant d'ajouter, avec limpidité : "Pour moi, j'étais comme tous les autres garçons."

Transidentité et pédagogie

Parfois avec maladresse, le documentaire ne fait pas non plus l'impasse sur les questions que se posent les téléspectateurs, très éloignés des discours militants. Au-delà de l'utilisation des hormones, le grand public apprend donc comment fonctionnent les chirurgies de féminisation et de réassignation sexuelle, cette dernière n'étant pas, contrairement aux idées reçues, un passage obligé pour les transitions de la grande majorité des personnes concernées. Le coût des opérations, la nécessité du soutien familial, la difficulté pour obtenir à un rendez-vous à l'hôpital public, etc., tout y est.

Parmi ces sujets, et non des moindres, celui de la violence et des discriminations. Giovanna Rincon, flamboyante directrice d'Acceptess-T, montre des vidéos bouleversantes de femmes trans se faisant agresser en pleine rue par des groupes de jeunes hommes. Une caméra cachée suit également Aëla, criblée de dettes, lors d'entretiens d'embauche, alors que la jeune femme, disposant pourtant d'un master, peine à intégrer une entreprise. Ainsi, nos familles, nos amis, nos voisins, souvent non sensibilisés aux sujets LGBTQI+, découvrent les difficultés éprouvées par les personnes trans, que ce soit dans la société ou dans leur entourage, où la tendresse familiale prime cette fois dans un "je t'aime", échangé entre Zach et sa mère, lorsque ce dernier parvient à faire changer son état civil.

Qu'à cela ne tienne, Aëla explique que ces difficultés lui ont appris à être fière. Et qu'elle a également appris à en demander autant à ses conquêtes : "J'ai survécu à des violences, je me suis remise de mes opérations, il est hors de questions qu'en plus, je doive faire des sacrifices pour quelqu'un qui n'assumerait pas d'être en couple avec moi", déclare-t-elle dans les bras de son conjoint, très amoureux.

Enfin, pour clore un débat où deux femmes transphobes et sans arguments se sont fait atomiser par le témoignage de Zach et l'expertise du psychanalyste et psychiatre Serge Hefez, Karine Lemarchand demande à Zach : "Aujourd'hui, tu es heureux ?" Et le garçon de répondre simplement : "Oui". C'est l'essentiel.

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Crédit photo : M6, collections personnelles