Pour comprendre comment s'organise et se prépare la Journée internationale de lutte contre l'homophobie et la transphobie, qui a lieu tous les 17 mai, TÊTU a rencontré Joël Bedos, salarié du Comité IDAHOT (International Day Against Homophobia and Transphobia).
Pourquoi le thème de cette Journée internationale 2016 tourne-t-il autour de la notion de santé mentale et de bien-être ?
Tous les ans, nous nous concertons avec les activistes à travers le monde pour trouver un thème sur lequel nous cherchons à porter une attention particulière. Mais ce « coup de projecteur » n’exclut pas que de très nombreux autres thèmes soient traités. Sur la santé mentale et le bien-être, nous avons trois portes d’entrée, avec d’abord la pathologisation persistante de l’homosexualité : dans la plupart des pays, que ce soit de manière formelle ou informelle, les homos sont encore considéré(e)s comme ayant des « problèmes », et j’ai envie de dire y compris par une certaine catégorie - aujourd’hui très restreinte - de la société française. La pathologisation va de « C’est pas normal » à « Il faut les soigner ». Pour les personnes trans, cette idée est renforcée par le fait que dans de très nombreux pays, la transidentité est classée dans la catégorie des maladies mentales. La troisième porte d’entrée, c’est notre volonté de parler de l’impact de l’homophobie et de la transphobie sur le bien être mental des personnes LGBTI, du taux de suicide plus élevé, des addictions qui sont plus fortes...
Comment se déroule l’adhésion des pays à la Journée internationale ?
Il ne s’agit pas vraiment d’adhésion. Tout le monde peut agir le 17 mai, il n’y a pas de processus de labellisation ou d’adhésion. Que ce soit une association, un groupe Facebook, un individu ou un gouvernement. Certains gouvernements sont d’ailleurs relativement visibles pendant la journée. La plupart des gouvernements des pays occidentaux font quelque chose. Les plus actifs, notamment en terme de soutien via leurs ambassades à des actions locales, sont les Pays-Bas, les USA, le Royaume-Uni, et plusieurs pays d’Amérique latine. La présidence du Chili va par exemple éclairer le palais présidentiel aux couleurs de l’arc-en-ciel. Mariela Castro, la fille du président cubain, mène chaque année une semaine d’action autour de la Journée. Un certain nombre de pays la reconnaissent par ailleurs officiellement. Cette année le Venezuela a reconnu le 17 mai comme Journée nationale de lutte contre les LGBT-phobies via un vote parlementaire. Cette reconnaissance peut d’ailleurs être informelle : aux USA, on a une déclaration de Barack Obama chaque année, soutenant la Journée et rappelant l’engagement des USA dans ce domaine. Pareil pour les Nations Unies : il ne peut être question pour le moment de reconnaissance officielle, mais quasiment toutes les agences marquent le coup d’une manière ou d’une autre et même le Secrétaire Général, Ban Ki-moon, participe à une vidéo spécialement conçue pour la Journée. Elle s’intitule « Why we fight » et a été produite dans le cadre d’une campagne permanente qui s’appelle Free & Equal. Le gouvernement français, de son côté, organise une réception au ministère des Affaires étrangères. Il y a aussi de belles avancées auprès d’autres acteurs, notamment les entreprises. Google par exemple mentionne la Journée sur sa page d’accueil dans un certain nombre de pays !
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Dans la liste des événements, y aura-t-il cette année des pays où aucune initiative n’avait jamais eu lieu ?
Oui, vont participer cette année des pays pour lesquels je n’avais pas eu d’informations auparavant : le Vanuatu, Brunei, et le Bhoutan. Il y aura des actions dans des pays comme le Soudan, l’Égypte, le Zimbabwe, le Burundi, la Tanzanie, où les possibilités d’actions sont extrêmement réduites et où la Journée correspond véritablement au seul moment d’action possible car elle dispose d’un cadre formel suffisamment officiel pour que les ambassades et les institutions alliées puissent apporter un soutien aux associations locales. Par exemple, en Somalie, la BBC avait réalisé pour IDAHOT un programme sur l’homosexualité, ce qui n’aurait pas été envisageable sans « l’excuse » que représente l’existence d’une Journée mondiale.
Va-t-il se passer des choses en Russie cette année ?
La situation est difficile avec la loi contre la soi-disant « propagande » de l’homosexualité. Les années passées, il se passait toujours beaucoup de choses pour la Journée mais je ne suis pas sûr que les associations puissent de nouveau déjouer la censure. L’année dernière, la police avait fait fermer la plupart des événements. Au niveau international, il y a une forte volonté d’aider les militants russes mais le verrouillage au niveau de l’Etat est très musclé.
Comment s’organise votre travail en tant qu’employé du Comité IDAHOT ?
Mon rôle principal est d’écouter ce que font les militants, leur apporter des conseils directs, les orienter vers des ressources diverses, techniques et financières, et d’autres associations. Je mets les gens en relation les uns avec les autres, notamment quand des personnes ont envie de faire des choses similaires. Je documente ce que font les activistes et je crée une base de données d’actions possibles, de méthodes. On a aussi un groupe sur le net dans lequel il y a 1.300 membres : c’est une communauté de militants, d’activistes, qui échangent toute l’année pour avoir des tuyaux, des ressources. Par ailleurs, nous commençons à développer des formations pour aider les organisations locales à mener des campagnes publiques, même au-delà d’IDAHOT. Nous cherchons, avec d’autres réseaux internationaux LGBT, à établir un espace de dialogue permanent qui permettrait aux associations de se nourrir des expériences de chacun. La coalition irlandaise avait établi ce genre de consultation avant le référendum sur le mariage, ce qui a notamment contribué à leur éclatante victoire en mai dernier. Nous cherchons à pérenniser ce type de concertation.