La Justice française refuse toujours de créer un "sexe neutre" à l'état civil afin de préserver la dualité des sexes, fauchant ainsi les espoirs des personnes intersexes...
La Cour de cassation, plus haute juridiction de l'ordre judiciaire français, a refusé de rendre une décision qui aurait enfin permis de reconnaître la réalité biologique des personnes intersexes. D., d'une soixantaine d'années, mène un bras de fer avec la Justice depuis deux ans pour voir inscrire la mention "sexe neutre" sur son état civil, et non plus le "sexe masculin" qui lui a été attribué à la naissance. Pourvu des deux appareils génitaux (un micro-pénis et un vagin rudimentaire), D. ne fabrique aucune hormone sexuelle. Il est intersexe. Jusqu'à l'âge de 35 ans, il se définissait par une allure androgyne, rendue masculine par un traitement hormonal de testostérone suivi pour prévenir les risques d'ostéoporose.
Une requête aux larges conséquences
En août 2015, le Tribunal de grande instance de Tours accède à sa requête. "J'ai enfin l'impression d'être reconnu par la société tel que je suis", s'exclame alors le requérant. La France devient le tout premier pays d'Europe à faire figurer la mention "sexe neutre" à l'état civil. Mais la victoire est de courte durée. En mars 2016, la Justice revient sur sa décision. La Cour d'appel d'Orléans plaide les étapes de vie du requérant, qui s'est marié avec une femme et a adopté un enfant, pour lui réattribuer le sexe masculin. La juridiction explique alors qu'elle refuse de reconnaître "l'existence d'une autre catégorie sexuelle."
Un refus d'ébrécher la dualité femme-homme qui résonnait encore dans l'arrêt rendu public hier : la Cour de cassation a rejeté son pourvoi en évoquant une crainte des "répercussions profondes dans les règles du droit français" et de "nombreuses modifications législatives de coordination" qui découleraient de la création d'un "sexe neutre". Selon la Cour, "la dualité des énonciations relatives au sexe (...) poursuit un but légitime en ce qu'elle est nécessaire à l'organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément fondateur." Et de conclure que "l'atteinte au droit au respect de [la] vie privée [du requérant] n'est pas disproportionnée au regard du but légitime poursuivi."
Contre un avenir non-binaire
Me Mila Petkva, avocate de D. citée par L'Express, regrette ce verdict "rétrograde" et à "contre-temps" de l'avancée des droits LGBTQI :
Que ce soit en Europe ou ailleurs, l'évolution globale des législations va dans le sens de la fin de la binarité des sexes.
Plusieurs pays du monde reconnaissent effectivement une troisième catégorie à l'état civil. C'est le cas de l'Australie, de la Nouvelle Zélande, de l'Inde, de la Malaisie, du Népal et de la Thaïlande. Le Conseil de l'Europe urge également ses États membres à s'engager dans cette voie, et à dépasser la dichotomie de sexe et de genre.
Environ 200 enfants intersexes naissent chaque années en France. Les parents, peu informés, acceptent alors de lourdes opérations chirurgicales d'assignation sexuée, non nécessaires à la survie des nouveau-nés et dénoncées comme mutilantes par les intéressées et les associations qui les défendent, notamment en raison des complications qui en découlent. La France a été condamnée à de multiple reprises par les Nations Unies pour ces faits.
La France refuse, mais l'Europe ?
Suite à cette nouvelle décision, D. va maintenant de porter un recours à la Cour européenne des droits de l'Homme, comme l'a annoncé hier l'associé de Me Petkva; selon Libération, il sera la première personne intersexe à saisir la juridiction internationale.
Couverture : Marche Existrans 2016 - crédit photo Collectif Existrans/Facebook
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