La ville de Montréal, où plus de 100.000 Français·e·s sont installé·e·s, est revenue sur un épisode de son histoire récente. Qu'en est-il de notre propre travail de mémoire ?
Vendredi 18 août, le maire de Montréal Denis Coderre s'est exprimé en direct, encadré d'un rainbow flag côtoyant un drapeau de la ville, devant un parterre de journalistes, sous l'approbation muette du chef de la police locale.
Je veux qu'on envoie aujourd'hui ce message très clair : nous reconnaissons que les gestes qui ont été posés dans les années 60 à 90 par les forces policières et de l'administration municipales ont porté atteinte aux droits des personnes LGBTQ et à leur dignité.
Deux jours avant la plus longue Pride du Québec, l'homme politique a publiquement offert les "plus sincères excuses" de la ville à toute la communauté LGBT au sujet des violences policières qui ont sévi jusque dans les années 1990. Rafles à l'improviste, arrestations brutales dans les lieux de rencontre... En octobre 1977, plus de 150 personnes sont ainsi envoyées en cellule parce qu'elles dansaient au bar gay TruXX. Selon le parti d'opposition Projet Montréal qui formulait cette demande d'excuse au début du mois, ils sont plus de 800 a avoir été victimes de telles arrestations.
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"Nous voulons reconnaître le passé, tourner la page et nous assurer que l'on puisse consolider nos acquis", a assuré le maire de la capitale culturelle du Québec en annonçant son objectif "métropole de la réconciliation" fondé sur un comité de travail chargé de réfléchir à une politique de diversité sexuelle et de pluralité de genre. Plusieurs éléments concrets ont déjà été annoncés, comme la mise en place de toilettes neutres ou celle d'un code de conduite "pour s'assurer (...) d'un vocabulaire adéquat", rapporte TVA Nouvelles. "Je ne parlerai jamais de tolérance parce qu'on ne tolère pas les gens, on les accepte tels qu'ils sont", a conclu le maire de la ville.
Et en France ?
"Dans tous les pays occidentaux, la police a joué un rôle central dans le harcèlement des homosexuels et dans la construction de l'image négative qui a été la leur pendant des siècles", assène Pierre Albertini à l'intérieur du Dictionnaire de l'homophobie dirigé par Louis-George Tin.
En France, un véritable fichage des homosexuels présumés est même organisé par les plus hautes strates du pouvoir dès le XVIIIème siècle. Les archives du cabinet du Préfet de police, conservées au Prés-Saint-Gervais (au service de la Mémoire et des affaires culturelles), gardent les traces des "sodomites", "pédérastes", "tante", "jésus" et autres termes fleuris consignés par la police des mœurs dans ses registres parisiens.
Les officiers sont rencardés par des "mouches", anciens prostitués devenus indic', et les raids se succèdent autours des vespasiennes, aux Tuileries, dans les bals publics... L'homosexualité n'est plus un délit depuis 1791 mais les termes vagues d'outrage aux bonnes mœurs et d'attentat à la pudeur permettent sa condamnation.
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Ce fichage policier des homosexuels de France ne cessera qu'en 1981. Le Dictionnaire de l'homophobie rappelle à ce titre que Pierre Seel, premier et seul déporté pour motif d'homosexualité a avoir témoigné à visage découvert en 1982, fut arrêté par la Gestapo parce qu'auparavant fiché en ces termes par la police alsacienne.
Les années 1960 ne mettent pas de frein à cette répression : l'homosexualité est classée comme fléau social par amendement. La police poursuit ses rondes et ses rafles dans les lieux gays, ce qui lui vaut le qualificatif d'hétéro-flic par le Front homosexuel d'action révolutionnaire (FHAR).
"Et il est sûr que l'épidémie du sida lui a donné l'occasion d'intervenir encore quelquefois dans les boîtes homosexuelles les plus hard, renchérit Pierre Albertini. Notamment lorsque fut décidée la fermeture des backrooms, en 1984-1985". Le seuil des excuses publiques ne s'est pourtant pas encore présenté dans le pays qui entretient une relation difficile avec la reconnaissance de ses erreurs passées.
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La ligne de front militante
Or la ligne politique et l'attitude des forces de l'ordre vis-à-vis des minorités sexuelles et de genre est déterminante dans la direction et l'énergie déployée par les militant·e·s.
Ce week-end, à 10.000 km de Montréal, aurait aussi dû avoir lieu la sixième Pride ougandaise, mais les organisateurs ont finalement plié devant les menaces d'arrestations lancées par un révérend. Craignant pour la sécurité et la liberté des participants, ils ont annulé les festivités. L'année dernière, une vingtaine de personnes avaient effectivement été détenues suite à une descente policière en plein concours "Mr. and Miss Pride". Buzzfeed se faisait même l'écho de faits de chantage, d'intimidation et d'attouchements sexuels de la part de policiers sur place.
En Turquie, l'accueil bienveillant d'Istanbul devant la Pride laisse depuis trois ans la place aux jets d'eau et balles en caoutchouc tirées contre les marcheuses et les marcheurs par les forces de l'ordre pour réprimer un événement désormais férocement interdit. Ce bras de fer avec les autorités rend chaque année le déroulé de la marche stambouliote plus incertaine.
À l'inverse, la 4e Pride de Kiev en Ukraine s'est déroulée sous haute protection il y a deux mois : un bouclier humain de 5.000 policiers armés et protégés de gilets par-balles encerclait parfaitement les 2.500 participants pour éviter toute rencontre avec les militants d'extrême-droite.
À l'été 1969, c'est suite à une énième descente de police dans le bar gay Stonewall Inn, et aux trois jours d'émeutes qui ont suivi, que le premier mouvement de libération homosexuel a éclos dans les rues de New York, gonflé par la toute première Marche des fiertés l'année suivante.
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Couverture : Marche des fiertés 2017 de Montréal. De la gauche vers le centre : Denis Coderre, maire de Montréal, Leo Varadkar, Premier ministre irlandais et ouvertement homosexuel, et Justin Trudeau, Premier ministre canadien. ©cultmtl/Instagram