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coming outEXCLU TÊTU - Benjamin Lancar : "On ne devrait pas être contraint de faire son coming-out"

Par Youen Tanguy le 12/02/2019
benjamin lancar

[PREMIUM] Après nos révélations ce lundi 11 février sur les tweets homophobes dont Benjamin Lancar a été la cible en 2010, l'ancien président des Jeunes UMP s'est longuement confié à TÊTU. Il revient notamment sur le harcèlement dont il a été victime et sur la difficulté à faire son coming-out en politique.

Il se fait discret depuis son départ de la vie politique. En 2012, Benjamin Lancar quittait son poste de président des Jeunes Populaires (UMP) pour intégrer l'Ecole nationale d'administration (ENA), dont il est sorti 13e de sa promotion. Personne n'a pu oublier que cet ex-soutien de François Fillon avait fait danser et chanter plusieurs ministres - dont Rachida Dati et Christine Lagarde - en 2009 dans un lip-dub endiablé. Une vidéo qui avait lui avait attiré les railleries de nombreux internautes.

Il s'était fait à nouveau remarquer quelques années plus tard, en septembre 2011, dans une interview à TÊTU. Cette fois-ci pour ses positions pro-LGBT. Il y affirmait être favorable au mariage pour tous et à l'adoption des couples homosexuels, à l'ouverture de la PMA aux couples de femmes et à l'encadrement de la GPA, notamment pour les couples d'hommes. Un discours qui détonnait dans un groupe où le courant conservateur a toujours prévalu.

Le jeune homme de 33 ans est depuis passé par la Cour des comptes et a intégré il y a quelques mois un grand groupe privé. Pas de quoi faire reparler de lui a priori. Sauf que ce lundi 11 février, nous vous révélions qu'il avait été la cible pendant plusieurs mois, en 2009 et 2010, d'un petit groupe de journalistes, dont certains appartenaient à la "Ligue du LOL". Ils avaient notamment réalisé une tapette [à mouches, NDLR) sur laquelle avait été apposé le visage de Benjamin Lancar.

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Nous avons pu nous entretenir pendant une vingtaine de minutes, par téléphone, avec l'ancien patron des jeunes UMP. Après en avoir discuté avec son compagnon, il a tenu à répondre à une interview pour la première fois depuis son départ de la vie politique.

S'il dit se souvenir de cette fameuse 'tapette', il confie que les images se sont perdues dans le "flot d'insultes homophobes et antisémites" qu'il recevait chaque jour à cette époque. Il nous a annoncé avoir consulté son avocat dans l'éventualité d'une action en justice. "Pas pour moi, mais parce qu'il faut que ça cesse", nous assure-t-il. Il est également revenu sur la difficulté de faire son coming-out et les raisons qui l'ont poussé à se retirer de la vie politique.

"C’est triste, mais on finit par s’habituer à ce déchaînement de violence."

TÊTU : Saviez-vous que plusieurs journalistes avaient réalisé une « tapette » à votre effigie en 2010 ?

Benjamin Lancar : Je l’avais vu. Mais je recevais un tel flot d’insultes à cette époque-là que je n’avais pas particulièrement fait attention. C’est triste, mais on finit par s’habituer à ce déchaînement de violence et on ne se rend même plus compte de la gravité des propos. Honnêtement, je recevais sans arrêt des attaques homophobes et antisémites sur Twitter. Je n’étais pas conscient de tout ce qui se passait. C’était non-stop. J’avais le sentiment de vivre avec un truc dans la poche qui m’insultait en permanence.

Envisagez-vous des actions en justice ?

Je prends ça très au sérieux. C’est quelque chose de choquant et odieux. J’ai pris contact avec un avocat pour voir les actions juridiques possibles. Je ferai tout ce qui est en mon possible pour me battre et faire en sorte que les auteurs assument leurs responsabilités. Pas tant pour moi, mais parce qu’il faut lutter contre l’homophobie. Car si ça concerne des gens censés être éclairés, éduqués, avec des capitaux culturels et sociaux, normalement loin de ces sujets, ça montre bien que toute la société est touchée par l’homophobie.

"J’avais intégré le fait que l’insulte homophobe était aussi classique que l’insulte sur l’intelligence."

Il faut dire que vous étiez une cible facile…

Quand on est président des jeunes de droite dans ce pays, on se dit que s’en prendre plein la gueule fait partie du jeu. Personnellement, j’avais intégré le fait que l’insulte homophobe était aussi classique que l’insulte sur l’intelligence ou la pertinence des arguments. Le propos homophobe est un propos classique pour discréditer en politique, ce qui est grave. Lorsque j’ai rendu publique ma candidature à la présidence des Jeunes Populaires sur Facebook, en août 2008, quelqu’un a écrit : "Benjamin, s’il te plaît, assume ton homosexualité". Je n’avais que 22 ans et heureusement que j’avais fait mon coming-out à mes parents quelques mois auparavant. Mais j’avais des amis qui n’étaient pas encore au courant. C’était très violent.

EXCLU TÊTU - Benjamin Lancar : "On ne devrait pas être contraint de faire son coming-out"
Crédit photo : DR.

Avec du recul, est-ce que vous regrettez de ne pas avoir parlé plus tôt de votre homosexualité ?

Bien sûr que j’aurais pu, mais j’étais très jeune et ce sont des sujets intimes, qui touchent à une construction personnelle. On ne devrait pas être contraint de faire son coming-out. On ne demande pas aux hétérosexuels d’étaler leur inimité en public pour avoir le droit de participer à la vie de leur pays. C’est une exigence supplémentaire que j’aurais aujourd’hui si c’était à refaire. J’ai maintenant conscience que mon parcours, comme celui de tous ceux qui sont visibles, peut avoir valeur d’exemple ou servir de référence à des jeunes qui n’ont pas le même capital social, culturel, économique ou professionnel que moi. Mais je n’avais pas le recul ou la maturité pour le comprendre à l’époque.

Vous savez, c’est déjà suffisamment violent d’être sur le devant de la scène en permanence de 22 à 26 ans, alors si vous rajoutez ça… Je voulais poursuivre un peu mon parcours académique à l’ENA. Je me disais : "Bon, déjà que je vais devoir gérer avec le fait d’avoir été l’ancien président des jeunes UMP, si en plus je dois gérer le fait d’avoir fait un coming-out très visible…" (il marque une pause). Le simple fait que je pense ça démontre une forme d’homophobie intériorisée. Aujourd’hui, je suis plus inscrit dans la vie, plus âgé, moins fragile. Mais c’est une question qui continue à me faire réfléchir.

"Que vous soyez de droite ou de gauche, il y a des gens qui vous haïssent déjà avant même de vous connaître."

Est-ce que vous avez le sentiment qu'il était et qu'il est encore difficile d’être un homme de droite ouvertement homosexuel ?

Bien sûr qu'à droite ces questions sont difficiles. J'ai aussi été victime d'attaques venant de mon propre camp. Mais plus généralement, de droite comme gauche, vous n’avez pas envie de prêter le flanc à toutes les atypicités. Car toute atypicité peut être utilisée contre vous. Mais je suis fier d’avoir pris des positions qui, à l’époque, étaient clairement orthogonales à ma famille politique, notamment sur le mariage pour tous, la PMA et la GPA. Là-dessus, je peux me regarder dans un miroir.

Est-ce que le harcèlement dont vous avez été victime a joué sur votre décision de quitter la vie politique ?

On ne va pas se mentir, c’est une des raisons principales. Je ne voulais pas vivre avec ça en permanence. En politique, que vous soyez de droite ou de gauche, il y a des gens qui vous haïssent déjà avant même de vous connaître et de savoir ce que vous pensez. C’est très compliqué à vivre. Il est clair que le fait d’être gay est une difficulté supplémentaire comme pour beaucoup d’autres gens dans la vie en général.

Mon choix a aussi été dicté par la volonté d’entreprendre de nouvelles choses et de découvrir de nouveaux horizons professionnels et personnels. Je suis heureux aujourd’hui. J’ai fait beaucoup de choses et j’aime bien l’idée d’avoir changé de vie.

Crédit photo : DR.