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coming outGuillaume Cizeron : "Il y a des homos dans le patinage, mais pas autant qu’on croit"

Par Tom Umbdenstock le 26/05/2020
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Le patineur artistique Guillaume Cizeron revient avec TÊTU sur son coming out homosexuel, et sur sa passion pour la danse sur glace qui lui a été essentielle pour s'accepter.

Tu as récemment posté sur Instagram une photo de toi et en compagnie d’un autre homme. Est-ce qu’on peut parler d’un coming out ?

Guillaume Cizeron : C’était assez drôle la réaction des gens suite à cette photo. Je ne me considérerais pas comme dans le placard avant de poster cette publication. Donc je ne considère pas vraiment ça comme un coming out. Même si je ne me suis jamais prononcé de manière publique sur mon orientation sexuelle, je fais partie de ceux qui pensent que c’est pas quelque chose que les membres de la communauté devraient avoir à faire. Les hétéros ne font pas de coming out. Mais il y a surement beaucoup de personnes qui ne se posaient pas la question et qui ont découvert l’information. J’ai quand même hésité un peu avant de publier. Parce que je n’ai pas pour habitude de dévoiler des choses vraiment intimes. Je ne sais pas ce qui m’a pris, je me suis dit “qu’est-ce que j’ai à perdre ?

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Ce n’est pas tout à fait un hasard si tu as posté cette photo le 17 mai ? 

C’est vrai. J’ai eu envie de partager ça de manière publique parce que c’était la journée mondiale de lutte contre l'homophobie et la transphobie. Je me suis dit qu’en vivant à Montréal, une des villes où on se sent le plus libre en tant que personne de la communauté LGBT, on a tendance à oublier à quel point ce n’est pas le cas partout au Canada et dans d’autres pays, même en France. Donc s’exposer sert la cause. Les derniers mois, j’en ai parlé avec beaucoup de personnes qui m’entourent et font partie de la communauté, dont certaines sont militants, et qui m’ont dit plusieurs fois à quel point ça pouvait avoir une portée que je m’implique dans cette cause. 

Ce qui m’a retenu un moment c’est justement le fait que j’ai toujours considéré qu’on ne devrait pas avoir à faire un coming out. J’ai l’impression que les sportifs gay sont encore connus pour être des sportifs gay. J’ai pas envie d’être le patineur gay, mais le patineur médaillé. Mais je pense qu’il y a encore besoin de se battre pour que les moeurs évoluent dans ce sens. J’envisage de m’investir plus dans cette cause là dans le futur. Peut-être tout simplement en proposant mes services et être porte-parole d’une association. Rien de très précis pour l’instant. 

Quelles ont été les réactions après cette publication ? 

J’ai été assez surpris que les gens fassent autant de commentaires positifs, ça m’a fait plaisir. Il y a malgré tout 200 ou 300 personnes qui ont arrêté de me suivre à ce moment là, sur 84.000. 

Ton entourage était déjà au courant ? 

Evidemment j’avais déjà fait mon coming out avec mes proches. Ca fait des années maintenant. Ma famille est extrêmement tolérante, ils l'acceptent sans aucun problème et l’ont toujours accepté. Tous les gens qui me connaissent le savent. Ne restait que le grand public à informer. Mon coming out avec mes proches c’était pas non plus un truc énorme. J’ai pas réuni tout le monde dans la maison pour faire une révélation incroyable. Pour mes parents, je leur ai dit à 18 ans lors d'une fête de Noël. Ils étaient heureux que je leur dise, et que je leur fasse assez confiance pour leur dire. Mais ils étaient aussi tristes de ne pas avoir pu me soutenir plus tôt. Mes deux grandes soeurs et mes proches amis l’ont su plus tôt, au compte-gouttes. De manière générale, je n’ai jamais vraiment annoncé ça comme un coming out. La plupart du temps c’était pour présenter un copain. 

"Il y a des homos dans le patinage, mais pas autant que les clichés veulent bien le montrer."

De la même façon que tu l’as fait le 17 mai finalement. C’est donc une relation sérieuse ? 

C’est ma plus sérieuse relation jusqu’ici. Je n’aurais pas étalé ma vie privée sinon. On habite ensemble, il est français... Je ne vais pas donner trop d’informations et trop en dire pour respecter son intimité. Ce que je peux dire c’est qu’il a 33 ans, qu’on est ensemble depuis plus de 3 ans.

Le milieu du patinage artistique t’a-t-il aidé à t’assumer ?

C’était probablement plus facile pour moi que pour un hockeyeur ou un footballeur, parce que c’est quand même un milieu artistique, qui est de manière générale extrêmement ouvert. Il y a des homos dans le patinage, mais pas autant que les clichés veulent bien le montrer. Il y a une sorte de cliché du patineur gay. Bien sûr qu’il y en a, mais il y a aussi énormément de patineurs hétéros. N’empêche que dans mon environnement sportif, je me suis toujours senti plutôt libre et accepté. J’ai jamais ressenti de haine là-bas. Les problèmes venaient plutôt de l’école.

Tu patines depuis que tu es enfant. Ton entourage sur la glace connaissait-il cette aussi cette part de toi ?

Avec Gabriella Papadakis [sa partenaire de patinage avec qui il s’illustre], on patine ensemble depuis qu’on a 9 ans, elle le savait avant tout le monde. Un de mes coach Romain Haguenauer, qui m’entraine depuis que j’ai 17 ans, je pense qu’il le savait. Il est homosexuel aussi. Ça a toujours été une figure pour moi. C’est le premier homo adulte que j’ai eu dans mon entourage. Il a été une figure importante pour moi, comme un sorte de point de repère, une figure importante que j'admire et que je respecte énormément. J’ai une grande part de féminité que j’ai appris à assumer et à aimer. C’est sûr que ça se voyait, mais je ne me suis jamais fait persécuter dans le milieu du patinage.

"On ne s’est pas beaucoup battu pour moi, ça c’est sûr."

Ce n’était visiblement pas la même chose à l’école ?

J’ai beaucoup été persécuté à l’école. Pour moi l’école, comme pour beaucoup d’autres, c’est vraiment l’endroit qui m’a fait le plus de mal, malheureusement. Toute ma scolarité jusqu’au lycée, je me faisais bousculer insulter, cracher dessus. Il y avait des gens tolérants, et d’autres moins. On ne s’est pas beaucoup battu pour moi, ça c’est sûr. Et moi non plus je ne me battais pas pour moi-même. 

Tu commençais à cumuler les médailles dès le collège. Ca t’a aidé à t’affirmer malgré tout ? 

C’est toujours seulement une poignée de personne qui pose problème. Au fur et à mesure, ça m’a aidé parce qu’à un certain moment, j'étais aussi champion de France, puis champion d’Europe et champion du monde. Au collège chez certaines personnes il y avait quand même un certaine marque de respect qui contrebalance les moqueries. J'étais un gamin très timide, pas sûr de lui, donc ça m’a aidé de savoir que j’étais bon à quelque chose. Grâce au patinage j’étais même mis en valeur parce qu’on réussissait avec ma partenaire.

Vos programmes de couple avec Gabriella Papadakis ont souvent une touche sensuelle. C’est plus compliqué quand on aime les hommes ?

C’est un challenge, dans le sens où il y a un jeu d’acteur, un rôle à jouer dans les programmes. Longtemps le problème était que je ne pouvais pas assumer ma féminité sur la glace et être moi-même. C’est quand même un sport très genré où il y a un homme et une femme. Les juges sont vieux pour la plupart, pas très modernes. Il faut l’accepter, c’est le jeu. Malgré tout au fur et à mesure, j’ai pris la liberté de danser sur des programme où le thème me donnait d’autres personnages que celui du macho. Parce que souvent le rôle masculin est de servir de socle pour mettre la fille en valeur. Et pour la mettre en valeur il faut créer le contraste, c’est à dire que l’homme soit plus macho. 

Il faut batailler contre ça et Gabriella m’a toujours soutenu là-dedans. On a une soif de liberté, tous les deux. Ca l’énervait autant que moi. Il y a toujours des programmes où on joue des rôles féminin et masculin, ça ne nous dérange pas parce que c’est aussi un jeu d’acteur. Mais j’ai aussi eu l’envie de jouer d’autres rôles que celui de l’homme. Par exemple des rôles plus fraternels, contemporains où on est juste deux âmes, avec des rôles d’amour, d'humain à humain. Ce déblocage s’est fait quand j’ai compris que ce n'était qu'un rôle : j’ai pris la liberté d’être moi-même et d'assumer ma part de féminité.

"Vous voyez Billy Elliot ? J’avais ce même besoin de m’exprimer."

Des personnalités ont inspiré cette part chez toi, celle qu’on retrouve dans ta façon de danser ? 

Je n’ai pas vraiment eu de modèle LGBT, j’ai l’impression que les générations d’aujourd’hui - même si je n’ai que 25 ans - en ont beaucoup plus. Plus jeune c’était encore tabou. Il y avait quand même quelques artistes qui m'inspiraient et que j’admirais, comme Yves Saint Laurent ou Robert Mapplethorpe. Mais jusqu’à mes 15 ans j’en connaissais peu, je n’avais pas d’ordinateur portable, ni de smartphone. Et puis, les personnes LGBT n'étaient pas aussi visibles qu’aujourd’hui. Même si c’est peut être juste mon expérience à moi. Bien sûr il y avait Madonna, Lady Gaga : vers mes 15 ans ça me faisait du bien d’entendre ce genre de personnes. 

Ma mère et mes deux soeurs faisaient de la danse. Donc ça n’a jamais été un questionnement de savoir si je devais danser ou non. Pour moi c’était vital. Vous voyez Billy Elliot ? J’avais ce même besoin de m’exprimer. C’était mon film favori, il me faisait me sentir normal. Mais voir des garçons danser ne m’a jamais semblé interdit. Dans le club de patinage on était 3 garçons pour 50 filles ! C'est tellement peu que les hommes sont très mis en valeur : la danse, ça se fait à deux et il faut des garçons. Dès qu’il y en a un, les entraîneurs se les arrachent.

Tu as participé aux JO 2018 où tu as gagné la médaille d’argent. Est-ce que l’ambiance dans le village des sportifs est aussi sensuelle qu’on le dit ? 

Moi j’étais déjà en couple avec mon chum [NDLR : prononcer “tcheum” : mon mec en québécois]. Donc non je l’ai pas expérimenté personnellement, mais je l’ai vu. C’est pas autant le cas que ce qu’on dit. Peut être que les jeux d’été c’est plus chaud que les jeux d’hiver. J’ai pas assisté à beaucoup de débauche disons, mais les rumeurs vont bon train dans l’équipe de France. C’est des centaines d'athlètes entre 23 et 22 ans qui se retrouvent au même endroit ! Mais je ne donnerai pas de nom…

Crédit photo : Naskademini