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coming out"On ne devrait pas avoir à faire de coming out" : Guillaume Cizeron est dans TÊTU

Par Assia Hamdi le 18/06/2021
Guillaume Cizeron Têtu

Après son coming out public en 2020, le danseur sur glace Guillaume Cizeron revient dans notre magazine sur son enfance et sur la manière dont le patinage l’a aidé à s’affirmer.

En mai 2020, à l’occasion de la Journée internationale contre l’homophobie, le quadruple champion du monde de danse sur glace Guillaume Cizeron a posté sur son compte Instagram une photo de lui blotti dans les bras de son compagnon. Un coming out en deux clics, qui semblerait banal si le monde du sport ne comptait pas si peu de personnes LGBTQ+ out.

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Après une interview sur le site de TÊTU, il a publié une lettre ouverte dans L’Équipe afin de dénoncer l’homophobie. Aujourd’hui, Guillaume Cizeron sort Ma plus belle victoire, un livre témoignage bouleversant dans lequel il raconte son homosexualité, mais aussi ses souffrances d’enfant et d’ado, et comment il est arrivé, petit à petit, à être en paix avec son identité. Entretien entre Paris et Montréal, où le patineur a posé ses valises il y a sept ans pour sa carrière sportive.

Comment est venue l’idée de faire ce livre ?

Guillaume Cizeron : Après ma lettre ouverte dans L’Équipe, Renaud Leblond, le patron des éditions XO, m’a contacté pour me demander si j’étais intéressé par la possibilité de la développer dans un livre. J’ai été assez surpris, mais l’idée m’a tout de suite tenté ! D’autant que je n’avais pas grand-chose à faire durant la pandémie… Mais plus la sortie du livre approchait, plus j’avais des appréhensions. Il y a des moments où j’ai douté, où je me suis demandé si j’allais être capable d’assumer.

Quelle est cette "plus belle victoire" que désigne le titre ?

Avec mon éditeur, on y a bien réfléchi. L’idée était de faire un parallèle avec la raison pour laquelle je suis connu, le sport. Je ne sais pas si c’est la plus belle, mais être capable d’accepter, sans honte, mon orientation amoureuse et ma personnalité fait évidemment partie des plus belles victoires de ma vie. Ça me rappelle que certaines personnes se sont battues et ont pris des risques pour que les générations actuelles puissent vivre ouvertement leur homosexualité ou, de façon plus générale, leur identité.

Ton livre est un récit à la première personne, ponctué, de temps à autre, par des citations de tes parents. Comment ce joli rendu s’est-il construit en coulisses ?

Interroger mes parents était une idée de Lionel Duroy, avec qui j’ai coécrit le livre. Cette étape s’est faite sans moi, et je pense qu’ils ont ainsi pu exprimer des choses qu’ils auraient été gênés de dire en ma présence. Une tierce personne, qu’ils ne connaissaient pas, leur posait des questions qu’on ne leur avait jamais posées… Mes parents ont peut-être déjà parlé de mon homosexualité entre eux, mais personne ne s’est jamais demandé comment ils l’avaient vécue. Donc je pense que ça leur a fait du bien de vider leur sac. Il y a des choses que j’ai découvertes grâce à cet entretien, par exemple quels avaient été leurs ressentis à l’époque.

"Je trouve dommage que les enfants ne soient pas informés, au moins à l’école, sur l'homosexualité et la transidentité"

Ton questionnement identitaire a, en fait, commencé très jeune…

Aujourd’hui, je me pose moins de questions ! (Rires.) En réalité, je ne me questionnais pas de manière consciente, mais je ressentais une sorte de différence, de mal-être, d’incompréhension… Je ne comprenais pas ce que j’étais, car je n’avais pas de modèle sur lequel me baser. J’aime faire la différence entre le genre et l’orientation sexuelle. La plupart des enfants ne se posent pas de questions sur leur genre, mais, pour une partie d’entre eux, c’est moins précis, et moi j’avais l’impression d’être entre les deux. Parfois, je pensais que ça aurait été plus facile d’être une fille, que ça aurait annulé les moqueries.

Après, je ne comprenais pas que j’étais homo, car ça ne faisait pas partie de mon vocabulaire. Je savais juste qu’il se passait quelque chose. Bien plus tard, je me suis dit : "Ah, ok, alors je peux être un homme et aimer les hommes, et ça ne veut pas dire que je ne suis pas un homme." Je trouve dommage que les enfants ne soient pas informés, au moins à l’école, sur l’éventail de possibilités qui existent, sur le fait qu’il y ait des femmes qui aiment les femmes, des hommes qui aiment les hommes, et même des personnes trans…

Tu étais choyé par ta famille mais, à l’école, tu étais solitaire, et tu as même été harcelé au collège. Le patinage a un peu été ton échappatoire…

Dès le début, j’ai été passionné par le patinage. Et, oui, la patinoire est devenue un endroit où je me sentais en sécurité, car j’étais entouré de filles et parce que je ne ressentais pas d’homophobie. Et puis, sur la glace, personne ne va t’embêter : si tu ne veux pas qu’on te parle, tu patines. (Rires.) Ça m’a donné un moyen d’expression artistique et, même si je n’avais pas été brimé, ç’aurait été une libération de découvrir un sport où m’épanouir. Il y avait un tel contraste avec l’école… L’adolescence, ce n’est "fun" pour personne. Et à l’école, en primaire, l’environnement était mauvais. Mes sœurs me disaient : "Tu verras, c’est mieux au collège." Mais ce fut pire ! (Rires.) Donc je me suis dit que j’allais attendre que ça passe.

Je comptais les années, et, au bout d’un moment, tu finis par raser les murs. Beaucoup d’élèves vivent ça, et il faudrait réfléchir sur l’isolement et le harcèlement scolaire. Les écoles ne sont pas accueillantes. Pendant les récréations, je me cachais dans les toilettes et je dessinais. J’ai toujours eu l’impression d’être en cours avec des gens avec qui je n’avais rien en commun. Alors qu’à la patinoire il y avait des gens qui me ressemblaient.

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Tu dis que ces années ont "laissé des traces". Encore aujourd’hui ?

Quand on est victime d’intimidations, on apprend à se haïr, à se détester à travers le regard des autres et celui de la société. Au départ, je ne me détestais pas, mais j’ai appris à le faire à force d’être insulté… Dans le milieu familial, j’étais bien, mais je me suis senti de plus en plus réservé. Voilà l’impact que les insultes à répétition peuvent avoir sur une personne, d’autant que j’étais très sensible : quand on me disait quelque chose, ça s’ancrait en moi, et je n’étais pas capable de répliquer.

"Arriver à s’aimer, à s’accepter et à avoir de la compassion envers soi-même prend du temps"

Le chemin inverse prend du temps : arriver à s’aimer, à s’accepter, à avoir de la compassion envers soi-même… J’en suis encore là, à essayer de soigner ces petites choses. Je m’étais habitué à être seul, à me taire, à longer les murs, à être discret… J’étais maladivement timide à cette époque-là, car mal dans ma peau. Je n’arrivais pas à interagir avec moi-même, donc avec les autres. Je voulais juste ne plus être dans ce corps. Il y a un moment, à l’adolescence, où les mots ne sortaient même plus de mon corps, où je souffrais d’une sorte de mutisme. Ça a affecté ma personnalité, et je l’accepte, mais aujourd’hui j’essaie d’évoluer.

Pendant longtemps tes parents ne savaient rien de la souffrance que tu vivais. Tu avais peur de leur en parler ?

J’ai toujours été convaincu d’être aimé de mes parents. Ils s’occupaient beaucoup de moi et, même s’ils ont pu avoir des remarques un peu stupides, commettre des erreurs de langage, je ne me suis jamais dit : "Ils vont me renier." Pour moi, ce n’était pas eux qui, à l’époque, étaient homophobes, c’était la société, et tout le monde était comme ça. Donc, en réalité, c’était plutôt moi qui ne m’acceptais pas et avais du mal à en parler. Et, pour aborder le sujet, j’ai vraiment attendu d’être totalement serein avec mon orientation.

Quand tu évoques des "remarques", tu fais plusieurs fois référence au fait que ton père ait, un jour, exprimé son dégoût en voyant deux hommes s’embrasser à la télévision ?

C’est le souvenir que j’ai, et c’était vraiment une erreur de sa part, car, globalement, il a été un père vraiment exemplaire. Ça le gêne qu’on reparle de ce moment ; il ne veut pas être vu comme un mauvais père, et ce n’est vraiment pas quelque chose dont il est fier. Il a honte d’avoir dit ça.

"Au départ, je n’aimais pas voir deux hommes s’embrasser, parce que je ne voulais pas être gay"

D’ailleurs, tu racontes dans le livre qu’il s’en est beaucoup voulu d’avoir fait cette réflexion, et qu’il répétait probablement des choses qu’il avait entendues dans sa famille…

Ce que je trouve intéressant dans cette anecdote, c’est la question esthétique. Et, a priori, ce qu’on trouve beau va de pair avec nos croyances. Aujourd’hui, je ne trouve plus du tout ça choquant, mais, au départ, comme mon père, je n’aimais pas voir deux hommes s’embrasser, parce que je ne voulais pas être gay. Donc je ne peux pas lui en vouloir. Un homophobe ne va jamais trouver ça beau, deux hommes qui s’embrassent.

L’œil évolue avec nos croyances et notre acceptation, et mon père, à ce moment-là, avait encore du chemin à faire. Pour lui, ce n’était pas encore beau, car il ne voyait pas d’amour dedans; il voyait ce que son père avait vu avant lui. Ce qui est beau est modulable, et évolue. Ça me fait penser à ces personnes qui se disent non homophobes, mais qui sont plus choquées de voir deux hommes s’embrasser plutôt que deux femmes. 

Pendant longtemps, tu n’arrivais pas à mettre des mots sur ton orientation. C’était un "secret", un "trouble". Ça a été difficile de réussir à te dire "homosexuel" ?

J’ai mis du temps à me rendre compte que j’étais gay ; ça a été un long cheminement. Entre "okay, je crois que je suis gay" et affirmer "je suis gay", il y a plusieurs étapes psychologiques. Donc, oui, je l’ai caché pendant longtemps. Mais, même au moment où tu es prêt à le dire, tu as tenu le secret pendant tellement d’années que… En fait, plus le temps passe, plus ça devient gros, plus c’est pesant. J’avais tellement pris l’habitude de cacher ce secret que, ce qui a été le plus long, ça a été de casser cette habitude de tout dissimuler.

"La vraie force c’est d’arriver à dire 'ça m’a blessé' ou 'ce n’est pas normal'"

À 14-15 ans, tu comprends que tu es homo, tu te fais du mal, tu t’informes sur des "thérapies de conversion"… Tu t’es dit qu’en parler dans ton livre pouvait aider d’autres adolescents ?

Avant d’écrire ce livre, je n’avais parlé de ce que je subissais qu’à une ou deux personnes. Ce n’est pas quelque chose dont on parle. Comme on ne veut pas s’en souvenir, on laisse cela derrière nous. Et puis l’on m’a convaincu que c’était nécessaire parce qu’il y a encore des jeunes qui vivent tout ça. Depuis la publication, j’ai déjà reçu de nombreux messages de personnes qui disent se sentir apaisées ou moins seules après avoir lu mon livre, et notamment mon vécu en détail, car il s’agit de choses dont on ne parle pas.

Les homos, on se met une sorte de carapace, mais la vraie force c’est d’arriver à dire "ça m’a blessé" ou "je ne suis pas à l’aise avec les insultes" ou encore "ce n’est pas normal", au lieu de simplement dire "ça m’a rendu fort". Je pense que c’est important pour moi de faire de mon mieux pour que moins de personnes ne souffrent.

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À 16 ans, tu as ta première relation, avec une fille, Déborah. Et elle devient la première personne à qui tu confies ton homosexualité…

Elle est d’ailleurs restée ma meilleure amie. Je me suis confié à elle et à mes sœurs à peu près au même moment. Déborah l’a compris en premier, et ça n’a rien changé pour elle. Ça me paraissait tellement délicat : je ne voulais pas perdre ma seule amie. Mais elle ne m’a jamais traité comme quelqu’un de faible ou comme un loser, et ça a contribué à ce que je puisse me sentir comme quelqu’un d’important, comme quelqu’un qui méritait d’avoir des amis.

L’autre personne importante de ta vie est Gabriella Papadakis, ta partenaire de glace depuis tes 8 ans. Entre vous, tu parles de "cordon ombilical". C’est rare une telle alchimie dans un couple de patineurs !

En tout cas, mon homosexualité n’a jamais été un sujet entre nous, et elle l’a probablement su tôt. On est partenaires de beaucoup de choses. Ça s’apparente à de l’amitié, à de la fraternité, à de l’engagement aussi.

"Dans le patinage, j’ai un peu souffert qu’on me demande d’être plus masculin, plus macho"

Tu racontes qu’avec elle tu as pu échapper au rôle de "macho" que t’ont imposé, un temps, les entraîneurs. As-tu ressenti une plus grande "facilité" à exprimer ton homosexualité parce que tu étais dans ce sport et pas un autre ?

Je ressentais pas mal de liberté, au départ, dans ce moyen d’expression qu’est le patinage. Mais, au bout d’un moment, j’ai compris qu’il fallait que je joue le rôle d’un homme dans un mariage hétéronormé. Là, tu ne peux pas être efféminé. J’ai un peu souffert qu’on me demande d’être plus masculin, plus macho. Tu peux avoir un rôle viril et un rôle plus "vulnérable", et je peux, moi, jouer les deux avec joie. Mais, au début, j’ai eu l’impression qu’on me demandait d’être moins féminin dans la vie. J’ai tellement été insulté pour cette raison que ça venait me piquer, remuer le couteau. Avec le temps, j’ai appris à séparer ma personne et mon sport, et à me dire : "C’est un rôle, ok ? Tu peux le faire."

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As-tu le sentiment qu’être en marge a pu être un moteur, a pu t’aider à te dépasser dans le sport ?

Comme je n’avais pas d’amis, je n’avais rien à faire. Donc je passais tout mon temps libre à la patinoire. J’avais tout le temps envie de patiner. Je ne me posais pas de questions. Mais ma souffrance m’a amené à me questionner assez jeune sur la vie d’une manière générale, et sur la mort, envers laquelle j’ai toujours eu un rapport particulier. Et ça fait sens : j’avais besoin d’avoir un endroit où je me sentais vivre. À l’école, par exemple, je me réfugiais dans ma tête, là où je me sentais en sécurité, pour me protéger. Quand on souffre de quelque chose, on a besoin d’un défouloir ; et ça m’a peut-être, effectivement, rendu meilleur dans le sport.

"Si j'ai évoqué ma sexualité, c'est pour aider d'autres personnes"

Au départ, faire ton coming out public te rebutait, car tu ne voyais pas de raison de parler de ton homosexualité…

Un coming out, c’est quelque chose de personnel. Tu révèles ton orientation sexuelle au monde. C’est une très belle chose quand on peut l’accepter, quand on peut le dire. C’est une célébration. Mais je suis un peu fâché de vivre dans un monde où c’est encore nécessaire. Dans un monde parfait, on ne devrait pas avoir à faire de coming out. Moi, je n’étais pas dans le placard, donc ce n’en était pas vraiment un, je parlais juste de sexualité. Si je l’ai fait, c’est pour une seule raison : je suis un peu connu, ça pouvait aider d’autres personnes.

En partant avec Gabriella faire carrière à Montréal, ça a été pour toi une libération de pouvoir tenir la main de ton compagnon dans la rue. Ç’aurait été plus difficile en France ?

C’est quelque chose que je n’ai jamais fait en France, et que j’évite de faire encore aujourd’hui, comme beaucoup de gens que je connais. Ça fait sept ans que je suis à Montréal et, ici, c’est très ouvert. Si une personne se promène avec les cheveux bleus, personne ne va la regarder. (Rires.) Ça a peut-être changé en France, mais j’aurais davantage l’impression de prendre un risque.

Tu souhaites être père un jour : que voudrais-tu absolument transmettre à tes enfants ?

Je les mettrai au courant des options qui se présentent à eux concernant leur identité, leur expression de genre, leur sexualité. C’est important qu’ils aient les infos avant de se poser des questions, qu’ils aient des exemples de toutes les possibilités qui existent.

Aujourd’hui, tu as 26 ans et tu parais plus apaisé…

J’étais déjà en paix avec moi-même, mais ce livre m’a permis de faire une introspection et de faire évoluer ma relation avec mes parents. J’ai été ému d’échanger avec eux, de voir leur émotion, de lire ce qu’ils ont ressenti à l’époque. Je suis, aussi, vraiment content des retours. Des gens s’ouvrent à moi, des gens qui ont souffert d’intimidations pour d’autres raisons… C’est une belle chose d’en parler.

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Crédit photo : Jessy Deroche