intersexuationSur Twitter, les personnes intersexes racontent leurs souffrances

Par Elodie Hervé le 27/05/2020
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Depuis cinq jours, les témoignages de violences fleurissent sous le hashtag #JeSuisIntersexe. 

Une colère sourde. Une série de tweets. Et plusieurs heures plus tard, des témoignages de toute part pour raconter la violence médicale. Depuis cinq jours, derrière le hashtag #JesuisIntersexe, les mots racontent des choix médicaux sans accord ni consentement, des erreurs médicales et la sensation de ne pas être vu comme un être humain. 

Actes non consentis

Beaucoup parlent d’actes médicaux non obligatoire, et surtout, non consentis. Il fallait juste rentrer dans la norme. “On m'a fait comprendre que j'avais l'obligation d'être opérée car une femme sans vagin n'est pas une femme et que la pénétration vaginale est obligatoire. On m’a sciemment caché les risques opératoires, les soins post-opératoires à base de dilatations vaginales à faire durant de nombreux mois que j'avais refusé précédemment car je les trouvais intrusifs, douloureux et traumatisants”, raconte ce premier thread.

Dans une succession de messages, cette personne décrit une opération filmée et diffusée en direct au corps médical, l’erreur qui a suivi et les conséquences sur sa santé aujourd’hui. “L'intervention consistait à créer un vagin avec un morceau d'intestin, au moment de refermer, ils ont connecté l'intestin au vagin nouvellement créé. Au premier jour de ma sortie, des excréments sortent par le vagin, je me rends aux urgences. Personne ne me croit et on me nargue en me disant que je me trompe de trou. On m'annonce qu'ils ont commis une erreur en regardant la vidéo de l'intervention et ils me laissent une semaine entière avec des excréments sortant du vagin et des couches pour adultes. Sans anti-douleurs, sans aide psychologique.”

"Mon corps n'est plus mon corps" 

Depuis, les médecins ont essayé de réparer cette erreur médicale mais des problèmes digestifs sont apparus et cette personne vit aujourd'hui en fauteuil roulant. “Cela fait plus de 10 ans que j'ai porté plainte contre l'hôpital, une première décision en 2018 a été donnée, l'hôpital a fait appel, et ça passera en cours d'appel en 2024.”  

Une autre personne, sous le pseudo de Gabrielle, raconte que les médecins sont passés outre l’accord de ses parents. “La pression est omniprésente, mes parents acceptent l’opération. On leur promet "deux chirurgies" : "castration bilatérale" pour cause de risque de "dégénérescence gonadique" (pour ôter les testicules qui allaient en fait très bien) et une "vaginoplastie". Ils s’opposent à la troisième opération, une réduction du clitoris. La chirurgie dure longtemps. En chambre de réveil, mes parents questionnent ce qu’elle [la médecin] a fait, elle annonce qu’elle finalement effectué une récession clitoridienne, et qu’elle fait ça "au passage". C’est cadeau.” Vont suivre plusieurs années pendant lesquelles son anatomie va être étudiée, mesurée, réopérée. “Mon corps n’est plus mon corps, une scission entre lui et ma tête s'établit, je tremble dès que je le ressens, j’ai le ventre noué et la nausée”.

https://twitter.com/Gabrielle_Inter/status/1265226650112921601

"Schéma type"

Après avoir lu une partie de ces témoignages, Bruno, 21 ans a décidé lui aussi de parler. “Je ne peux pas rattraper ce que j’ai perdu, mais aujourd’hui je vais essayer de rattraper mon adolescence”. A Têtu, il raconte ce rendez-vous avec une endocrinologue qui veut le placer sous pilule à 12 ans parce que son taux de testostérone est trop élevé. “Ma mère n’y est pas favorable et les médecins proposent alors à ce moment-là un bloqueur de testostérone. Il décrit une période où son avis n’a pas été pris en compte, où il n’y avait aucune raison médicale à ce traitement, si ce n’est “parce que je ne rentrais pas dans les normes, c’était juste des facteurs esthétiques”. S'ensuivent plusieurs années de souffrance. “Je vis par l'intermédiaire de ce corps que je ne vois plus comme le mien.” Pour tenter de réparer une partie de ce qui lui a été enlevé, Bruno entame une transition et a arrêté son bloqueur de testostérone. 

“On m’avait dit que je serai une fille normale, mais à ce jour, je ne suis toujours pas une fille”. Quant à ses parents, “ma mère s’est sentie coupable au début, mais je l’ai rassurée. Ils étaient juste inquiets pour moi et ils ont fait confiance aux médecins. Les médecins eux n’ont pas été là pour moi. Ils ont appliqué un schéma type qu’ils n’ont pas remis en cause”. Pour autant, pas question pour lui d’envisager de porter plainte. “J’ai une vie à reconstruire, je n’ai pas l’énergie pour me battre pour ça. Je veux avancer et laisser ça derrière moi”. 

Condamnations à l'ONU

En France, il y aurait entre 1,7 et 4% de personnes intersexes, c’est à dire “née avec des caractéristiques sexuelles primaires et/ou secondaires ne correspondant pas aux définitions sociales et médicales typiques du féminin et du masculin”, explique le Collectif Intersexes et Allié.e.s. Dès l’enfance ou à l’adolescence, ces personnes peuvent subir des interventions chirurgicales lourdes, non essentielles. Comme l'ablation de gonades ou d'un utérus que le corps médical voit comme “en trop”, la réduction de clitoris jugés trop longs ou le redressement de pénis jugés trop tordus. A cela s’ajoute des traitements hormonaux lourds et une absence de prise en compte de la volonté de la ou du patient.e. 

Pourtant, si au niveau international, ces opérations sont considérées comme des mutilations génitales, elles continuent d’être pratiquées. Ce qui a valu à la France trois condamnations par l’ONU. Ces mutilations ont également été dénoncées par le Conseil d’Etat, en juin 2018. Depuis plusieurs rapports ont été rendus, mais rien n’a changé dans les textes de loi.

Pas de modification légale

“Le texte de la loi bioéthique n’avait pas intégré les personnes intersexes, explique Marie-Xavière Catto, maîtresse de conférence en droit public à la Sorbonne et spécialiste de droit de la bioéthique et de la question du genre en droit. De fait, c’est un amendement qui a défini les grandes lignes pour encadrer les pratiques dans les centres de références, et le Sénat l’a modifié ensuite”. Pour l’heure avec la loi de bioéthique à l’arrêt, cet encadrement n’a pas été remis à l’ordre du jour. “En résumé aucune loi, à ce jour en France ne met un terme à ses pratiques alors que le Conseil d’Etat l’a demandé”.

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En attendant, c’est sur Twitter ou au sein du collectif Intersexes et Allié.e.s, fondé en 2016 que les personnes Intersexes tentent de se faire entendre et de mettre des mots sur ces années de souffrance. Une pétition a aussi été lancée, en 2018 pour demander l’arrêt de ces mutilations.