À quatre jours du second tour de l'élection présidentielle, et à quelques heures de son débat face à Marine Le Pen, le président-candidat Emmanuel Macron a fini par répondre aux sollicitations de têtu· pour enfin nous livrer les axes de son programme 2022 concernant les questions LGBTQI+.
Par Thomas Vampouille et Nicolas Scheffer
Est-ce parce qu'il sait que face à lui, l'extrême droite s'est déjà disqualifiée sur les questions LGBTQI+ ? Toujours est-il que dans cet entre-deux tours de l'élection présidentielle, le président candidat à sa réélection s'est montré insaisissable aux multiples sollicitations de têtu·. La campagne avait pourtant bien commencé puisque nous étions convenus, avec l'Élysée dès avant sa déclaration officielle de candidature, d'une rencontre fixée au 25 février. Las, le déclenchement la veille de l'invasion russe en Ukraine en a décidé autrement, dont acte.
Sauf que depuis lors, son équipe de campagne s'est montrée incapable, en deux mois, de trouver un nouveau créneau pour cette interview, invoquant son "agenda [évidemment] contraint", qui ne l'a pourtant pas empêché de multiplier les interviews à des médias plus généralistes, répétant une parole qui n'en avait pas nécessairement besoin sur des sujets déjà connus. Non pas que têtu· soit incontournable en soi : ce qui nous paraît l'être en revanche, ce sont les questions LGBTQI+. Le bilan d'Emmanuel Macron sur ces sujets est connu, nous l'avons décortiqué et mis sur la table (à lire dans notre numéro actuellement en kiosque) : il y a eu des avancées notables durant ce quinquennat (surtout à la fin), mais aussi des hésitations, voire des renoncements, ainsi que des prises de parole contradictoires (coucou Jean-Michel Blanquer…). Or, au-delà de son bilan, le contexte invitait à une prise de parole forte du président, qui n'en a pas produite depuis 2017 sur nos sujets et qui en avait ici l'occasion.
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Le contexte, il est celui du harcèlement scolaire qui continue de faire des ravages en particulier chez nos jeunes LGBTQI+, jusqu'au suicide, pas plus tard que cet hiver, de Dinah Gonthier, 14 ans, après deux ans de harcèlement lesbophobe. Il est celui aussi du regain de forme des réactionnaires de tous pays qui, de Vladimir Poutine aux trumpistes en passant par la Hongrie de Viktor Orbán et l'extrême droite en France, s'attaquent encore sans relâche aux LGBTQI+, transphobie en bandoulière, au cri spécieux de "touchez pas à nos enfants". Il est celui encore du quotidien toujours trop difficile des personnes trans dans un pays qui pourrait pourtant, sans trop de peine, leur faciliter la vie. Il est celui enfin de la sécurité des personnes LGBTQI+ qui subissent encore nombre de violences, des agressions de rue aux guet-apens sur internet…
Bref, Emmanuel Macron a raison sur un point : l'extrême droite, qui a toujours lutté sans relâche contre chaque avancée des droits pour les LGBTQI+, nourrissant amalgames et haines à leur encontre, a déjà fait ses preuves sur nos sujets. C'est d'ailleurs pourquoi nous n'avons sollicité ni Éric Zemmour ni Marine Le Pen en interview dans cette campagne : leur positionnement et leurs accointances sont sans ambiguïté. Mais le président-candidat a tort de considérer que la situation annule la nécessité d'une vraie prise de parole de sa part sur les questions LGBTQI+, au contraire : dans une campagne de valeurs face au RN, du progressisme contre la réaction et de la liberté contre les reculs de droits, elles sont un fer de lance.
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Prenant appui sur le questionnaire que têtu· avait envoyé avant le premier tour à chaque candidat·e (y compris ici de l'extrême droite) afin de pouvoir fournir à notre lectorat des réponses claires sur des sujets précis, Emmanuel Macron a choisi de nous envoyer ses réponses par écrit, ce mercredi 20 avril, en trois pages et cinq points. C'est un peu court, et c'est dommage : de nombreux points, y compris certains de ceux qu'il soulève dans ce document, méritent une contradiction et des réponses plus précises. Si têtu· ne peut servir de passe-plat des politiques selon leur bon-vouloir dans la forme comme dans le timing, nous avons néanmoins décidé de publier (en bas de l'article) sa réponse en intégralité et sans modification : si insuffisante soit-elle, la communauté LGBTQI+ a le droit de la connaître et surtout, elle engage son auteur pour les cinq ans à venir, le cas échéant.
LGBT & école : alors que revoilà le "en même temps"…
Le président ouvre ses réponses par sa thématique favorite : l'Europe. Alors que se développe une homophobie d'État en Pologne et en Hongrie, "la présidence française de l’Union européenne a permis de relancer les procédures enclenchées contre ces pays, bloquées depuis des mois au niveau européen", assure le président, sans qu'il nous soit permis de lui demander quand on peut en espérer l'aboutissement. Rien non plus sur l'initiative française promise l'été dernier par son secrétaire d'État aux Affaires européennes, Clément Beaune, dans têtu· pour élargir et renforcer le mécanisme d'État de droit au sein de l'UE : le président évoque simplement "une initiative pour que l’ensemble de l’Union européenne nous suive" dans l'interdiction des "thérapies de conversion", et se montre ouvert à une suggestion de notre questionnaire : "Je souscris à la proposition de nommer un ambassadeur référent LGBT+ au Quai d’Orsay."
"L'école a un rôle clé à jouer dans la lutte contre les préjugés et les discriminations envers les personnes lesbiennes, gay, bi, trans."
Au plan de la lutte contre les LGBTphobies, "l’école a un rôle clé à jouer dans la lutte contre les préjugés et les discriminations envers les personnes lesbiennes, gay, bi, trans", écrit le président, qui revendique d'avoir agi contre le harcèlement scolaire : "Le Parlement a récemment adopté une loi pour créer un délit d’harcèlement scolaire qui pourra être puni jusqu'à 10 ans de prison en cas de suicide ou tentative de suicide de la victime. Elle met également en place une obligation de moyens pour les établissements scolaires. Cette loi vient d’être votée." Et de saluer, comme "essentiel", "le travail des associations LGBT+ et leur intervention en milieu scolaire, mais aussi péri-scolaire". Ici, têtu· ne peut que souscrire mais aussi constater une contradiction majeure : dans une interview donnée à Brut pas plus tard qu'il y a deux semaines, le même Emmanuel Macron se prononçait… en défaveur de l'intervention de ces mêmes associations en primaire, et "sceptique" pour le collège ! Deux courants contradictoires, nous avons déjà eu l'occasion de le souligner, traversent la macronie sur ce sujet comme sur d'autres, l'un progressiste, l'autre conservateur… alors qui, en cas de réélection, présidera à cette question : Emmanuel Blanquer ou Marlène Macron ?
Macron contre la GPA mais…
Concernant la sécurité des personnes LGBTQI+, "nous y avons travaillé en créant le délit d’outrage sexiste ou sexuel (dit 'harcèlement de rue'), en y incluant tous les outrages liés à l’orientation sexuelle", fait valoir Emmanuel Macron, promettant par ailleurs de "poursuivre" ce qui a été "fait dans la formation de nos forces de l’ordre et magistrats pour mieux accueillir les victimes et sanctionner systématiquement les propos et actes anti-LGBT", notamment "en développant un réseau de référents spécialisés au sein des commissariats et brigades de gendarmerie". Au sujet des paroles LGBTphobes prononcées dans des médias, il propose "d’inviter l’ARCOM [ex-CSA, ndlr] à se saisir pleinement et expressément des sujets de discrimination et de représentation des personnes LGBT+ (…) et à considérer avec une attention particulière les défauts de maîtrise d’antenne que l’on constate encore bien trop souvent".
"Beaucoup d’hommes et de femmes trouveront une solution plus simple, plus sûre, accessible et plus respectueuse des droits des femmes qu’effectuer une GPA à l’étranger."
Sur les sujets de famille et d'homoparentalité, Emmanuel Macron maintient évidemment son opposition à la gestation pour autrui (GPA) : "Même dans une GPA altruiste, les femmes qui portent l’enfant à venir traversent les effets physiques et psychiques d’une grossesse. Ces femmes doivent arrêter leur activité professionnelle au moins un temps, ce qui implique nécessairement une compensation et une prise en charge financière. Je reste très rétif à cet aspect financier." Il se montre toutefois ouvert à l'une de nos interpellations, formulée dans le questionnaire initial, à propos de la transcription à l'état civil des enfants nés d'une GPA à l'étranger, rendue plus complexe par la procédure d'adoption imposée dans la loi de bioéthique votée l'an dernier : "J’entends le caractère complexe et long de la procédure. Évaluons-la de façon partagée au cours du quinquennat qui viendra." Mais n'avait-il pas justement écrit, en 2017 déjà dans une lettre aux Français : "Je m’engage à ce que les enfants issus de la GPA nés à l’étranger voient leur filiation reconnue à l’état civil français" ? Il annonce néanmoins une avancée inédite sur la coparentalité, qu'il présente comme une alternative à la GPA : "En apportant aux projets de co-parentalité, par la simplification du partage de l’autorité parentale (…), la sécurité juridique qui leur manque aujourd’hui, beaucoup d’hommes et de femmes trouveront une solution plus simple, plus sûre, accessible et plus respectueuse des droits des femmes qu’effectuer une GPA à l’étranger." Un pas vers la possibilité d'une GPA amicale en France ? Nous n'en saurons pas plus, à suivre…
Personnes trans et intersexes
Enfin sur les transidentités, "j’assume que ce sont des sujets sur lesquels j’étais moins sensibilisé au début de mon mandat que maintenant", concède le président (les progrès revendiqués ne l'empêchant pas d'évoquer dans le titre de son paragraphe "les personnes transexuelles", sic). Pour combattre la transphobie, le candidat promet : "Je proposerai l’extension du délit d’outrage sexiste ou sexuel aux outrages envers les personnes trans." Il ajoute, sur la facilitation des parcours de transition : "Les personnes qui s’engagent dans un processus de transition doivent être respectées dans leur choix et leur vie ne doit pas être rendue plus complexe par des procédures administratives si elles sont inutiles." En autorisant l'élémentaire changement de genre sur simple déclaration à l'état civil, par exemple ? Vous l'aurez compris, impossible de relancer un document…
La profession de foi se termine par une réponse à notre question sur l'interdiction de la mutilation des enfants intersexes. Ne s'y engageant pas nettement, il indique toutefois : "La loi bioéthique du 2 août 2021 a encadré plus strictement les chirurgies pratiquées sur l’enfant pour lui assigner un sexe à la naissance. C’est un vrai progrès. Ce cadre devra être évalué, pour garantir qu’il apporte toutes les assurances qu’attendent et méritent les personnes concernées." Pas un mot en revanche sur nos questions concernant la santé, notamment la prévention du VIH et des dangers liés au chemsex.
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Que les choses soient claires pour conclure : en tant que média LGBTQI+, têtu· ne peut qu'alerter quant à la menace représentée par l'extrême droite sur nos droits, et quant aux reculs que représenterait inévitablement l'accession de Marine Le Pen au pouvoir. On peut partager sans être macroniste ce constat de Bertrand Delanoë pour têtu· : "Il n’y a pas d’exemple dans le monde d’une extrême droite qui arrive au pouvoir et qui ne restreigne pas les libertés. Il n’y a pas d’exemple dans le monde d’une extrême droite qui ne s’attaque pas aux étrangers, bien sûr, mais également aux femmes et aux personnes LGBT." Mais nous nous devons également de prendre rendez-vous avec son adversaire : ces quelques réponses l'engagent, et les personnes LGBTQI+ attendent encore beaucoup d'un mandat qui se revendiquerait du côté du progrès et des libertés.
>> Lire les réponses d'Emmanuel Macron :
Réponses d'Emmanuel Macron au questionnaire de têtu· by Nicolas Scheffer on Scribd
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Crédit photo : dessin de Cécile Alvarez pour têtu·