L'extrême droite gouverne ou s'apprête à gouverner dans déjà quatre États membres de l'Union européenne, y menaçant les droits fondamentaux des personnes LGBTQI+.
"Siamo tutti antifascisti" ("nous sommes tous antifascistes"), tel est le refrain entendu ce lundi 26 septembre en Italie, au lendemain de l'écrasante victoire du parti post-fasciste Fratelli d'Italia aux élections législatives. Un slogan qu'il va falloir s'habituer à entonner, car l'extrême droite gagne du terrain en Europe. Déjà au pouvoir en Pologne et en Hongrie, elle a récemment gagné des positions fortes en Suède et, désormais, de l'autre côté des Alpes où Giorgia Meloni a la charge de former un gouvernement. Dans chacun de ces pays, l'extrême droite s'en prend aux mêmes cibles, dont les personnes LGBTQI+.
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Hongrie : lois homophobes et bras de fer européen
Le résultat des législatives italiennes a aussitôt été salué en Hongrie, où l'extrême droite est aux manettes depuis le retour en 2010 de Viktor Orbán, qui a installé un pouvoir de moins en moins démocratique. Le 14 septembre dernier, les députés européens à Strasbourg ont d'ailleurs voté à une large majorité un rapport qualifiant de "régime hybride d'autocratie électorale" l'État membre de l'Union européenne (UE) depuis 2004.
Progressivement, le Premier ministre nationaliste et ultra-conservateur a fragilisé tous les contre-pouvoirs, en commençant par la justice qu'il a mise au pas, nommant des magistrats qui lui sont favorables et mettant à la retraite ceux qui lui opposent une résistance. La plupart des médias se sont également transformés en agences de propagande. "Il est clair qu'en Hongrie on n'entend pas de contre-discours à la propagande assénée par l'exécutif, toute intervention critique étant placée à la marge", décrit auprès de têtu· Gwendoline Delbos-Corfield, eurodéputée écologiste.
Imitant la Russie de Vladimir Poutine, le gouvernement de Viktor Orbán a fait voter en juin 2021 une loi interdisant la "promotion de l'homosexualité" auprès des mineurs. Très vague, celle-ci interdit que des contenus mettant en scène des couples homosexuels ou des personnes trans soient accessibles aux mineurs. Le texte, qui a suscité des réactions vives en Europe, a ensuite fait l'objet d'un référendum consultatif, lequel a été invalidé faute de recueillir suffisamment de suffrages.
En décembre dernier, la Commission européenne a lancé contre la Hongrie une procédure d'infraction pouvant aboutir à des sanctions financières. L'institution, qui veut par ailleurs lutter contre la corruption dans le pays afin d'éviter que les subventions européennes soient mal employées, a également proposé aux États de suspendre 7,5 milliards d'euros de financements européens si Budapest ne démontrait pas sa volonté de lutter contre la corruption endémique, utilisant pour cela le mécanisme de conditionnalité de l'État de droit. Dernièrement, l'exécutif hongrois s'est engagé à mettre en place une autorité pour la transparence sur la vie publique, mais 5,8 milliards d'euros du plan de relance post-covid sont toujours suspendus.
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Pologne : la justice européenne tente de sauver l'État de droit
La Pologne a ouvert, au sein de l'Union européenne, le bal de la remise en cause frontale des droits des personnes LGBTQI+ après que le parti d'extrême droite Droit et justice (PiS) a obtenu la majorité absolue au Parlement en 2015. Pour commencer, le gouvernement a encouragé le développement de zones "sans idéologie LGBT", instaurées par des chartes qui, de fait, ont autorisé la libération d'une parole homophobe dans l'espace public. Ainsi, n'ayant pas peur du point Godwin, le ministre de l'Éducation a affirmé que "l'idéologie LGBT (...) a les mêmes racines néomarxistes que le national-socialisme hitlérien". Prenant exemple sur la Hongrie, la Pologne examine désormais une loi intitulée "Stop LGBT", visant à interdire la "propagande homosexuelle dans l'espace public".
Les droits des personnes LGBTQI+ ne sont d'ailleurs pas les seuls visés par le PiS. Ainsi, le pouvoir en place a rendu, depuis octobre 2020, quasi inexistant l'accès à l'avortement par un arrêt du Tribunal constitutionnel. Depuis sa mise en application en janvier 2021, il n'est désormais possible d'avorter en Pologne qu'en cas de menace pour la vie de la mère, ou si la grossesse a été provoquée par un viol ou un inceste.
Ce même tribunal est, depuis l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir, un maillon de la politique de Jaroslaw Kaczynski, l'homme fort du PiS. Depuis 2016, les juges qui y sont nommés sont des affidés de l'exécutif : la présidente du tribunal est d'ailleurs qualifiée par Le Monde de "fidèle parmi les fidèles" de Kaczynski. Le pays a également tenté de mettre en place une Cour suprême chargée de surveiller les magistrats hostiles, mais le projet a été lourdement condamné par la justice européenne.
En parallèle, le gouvernement exerce son influence sur la quasi-totalité des médias. Reporters sans frontières note que "les médias publics sont devenus des instruments de propagande gouvernementale". Pas mois de 20 des 24 journaux régionaux ont ainsi été acquis par une entreprise d'État.
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Suède : des néonazis comme deuxième force du pays
Avec 20,5% des voix, la formation nationaliste fondée par "d'anciens" fascistes, les Démocrates de Suède (SD), est devenu mi-septembre la deuxième force du pays derrière les sociaux-démocrates, qui ont obtenu 30,3% des voix selon le décompte du Monde. C'est toutefois à la droite conservatrice, troisième force du pays (19,1%) qu'incombe la tâche de former un gouvernement réunissant l'ensemble du spectre de la droite, lequel comprend les Démocrates de Suède, parti créé par d'anciens fascistes en 1988. Si ces derniers ont d'ores et déjà accepté de ne pas être physiquement présents dans le gouvernement – la ligne rouge pour les autres partis de droite –, c'est pour mieux peser dans les débats et sur les nominations d'autres instances.
Ainsi, la présidence du Parlement suédois pourrait être dévolue à Björn Söder, politicien qui, dans un billet de blog datant de 2007, comparait l'homosexualité à la pédophilie et à la zoophilie, et appelait à "une refonte morale" de la société afin qu'elle redevienne "une société saine et sensée", contre le "lobby gay" (sic), accusé de "tenter de sexualiser les jeunes enfants". En 2014, il a ulcéré une partie de ses compatriotes en affirmant que "la plupart des juifs qui sont devenus suédois doivent abandonner leur identité juive" afin de pouvoir distinguer "les simples citoyens des patriotes", rapporte le Jerusalem Post. Le président du Conseil officiel des communautés juives en Suède voit en cette remarque "la réplique exacte de l'Allemagne des années 1930"…
Italie : croisade contre un hypothétique "lobby LGBT"
Reste le cas de l'Italie, qui, ce 25 septembre 2022, a donc donné une majorité à Giorgia Meloni, nostalgique de Mussolini, aux élections législatives. Avec son slogan "Dieu, patrie, famille", elle a fait de son combat contre le "lobby LGBT" l'un des marqueurs de sa politique société. Elle est ainsi opposée au mariage et à l'adoption pour les couples homosexuels, mais promet qu'elle ne reviendra pas sur l'union civile, qu'elle avait refusé de voter en 2016 lorsqu'elle était parlementaire.
Malgré son refus de l'adoption pour les couples de même sexe, Giorgia Meloni veut soutenir "la natalité et la famille" –entendre, un papa, une maman et deux enfants. Dans un pays où l'accès à l'IVG est particulièrement difficile, elle compte encore renforcer la lutte contre l'avortement, qu'elle présente comme une "défaite" face à d'autres "options", et promet de mettre en place une aide dédiée aux femmes pauvres si celles-ci renoncent à un avortement.
Au cours de la campagne électorale italienne, face au succès de la coalition d'extrême droite, la présidente allemande de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a indiqué disposer "d'instruments" si "les choses [allaient] dans une direction difficile" à Rome, provoquant un tollé au sein de l'extrême droite italienne. Accusant la gardienne des traités d'outrepasser ses fonctions, Matteo Salvini, président de la Ligue du Nord ('extrême droite) et ancien eurodéputé, a exigé "des excuses ou la démission" de la présidente de la Commission. Prélude à un nouveau bras-de-fer européen ?
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