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interview[Exclusif] La première interview du nouvel ambassadeur aux droits LGBT+

Par Nicolas Scheffer le 15/12/2022
Jean-Marc Berthon a été nommé ambassadeur aux droits LGBT+

Premier nommé au poste d'ambassadeur en charge des droits des personnes LGBT+, promis par Emmanuel Macron auprès de têtu· durant sa dernière campagne présidentielle, Jean-Marc Berthon revient sur les sources de son engagement et nous explique comment il aborde ce mandat.

Interview par Thomas Vampouille et Nicolas Scheffer

C'est une première en France. Durant sa campagne pour la présidentielle 2022, Emmanuel Macron avait promis à têtu· la création d'un poste d'ambassadeur aux droits LGBT+. Une promesse renouvelée par sa Première ministre, Elisabeth Borne, en août dernier à l'occasion de la commémoration des 40 ans de la dépénalisation de l'homosexualité. Annoncée fin octobre, la nomination à ce poste de Jean-Marc Berthon a été officialisée dans sa lettre de mission un mois plus tard, alors que l'attention du monde entier se portait sur le Qatar, pays pénalisant l'homosexualité mais où se joue tout de même la Coupe du monde.

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Jean-Marc Berthon, lecteur alerte de Stefan Zweig et de Virginia Woolf, est un proche d'Emmanuel Macron qui lui a donc confié la lourde tâche d'avancer vers la dépénalisation universelle de l'homosexualité. Il nous rencontre, dans un restaurant du septième arrondissement de Paris, entre le Quai d'Orsay et l'Assemblée nationale, pour définir les premiers jalons de son action. Entretien.

Qu’est-ce qui, dans votre parcours, fait de vous le candidat le mieux qualifié aux yeux de l'exécutif pour devenir ambassadeur aux droits LGBT+ ?

Jean-Marc Berthon : Si Catherine Colonna [la ministre des Affaires étrangères] a proposé ma nomination, c’est notamment parce que j’ai été en charge des questions de droits de l’Homme auprès du président de la République mais aussi auprès de la ministre de la Citoyenneté [Marlène Schiappa]. Par ailleurs, j’ai une expérience de plus de 25 ans de la diplomatie et de ses rouages. J’ai travaillé au Quai d’Orsay, à Paris, ainsi que dans plusieurs ambassades à l’étranger : au Maroc, en République Tchèque, en Croatie…

D’où vient votre engagement pour les droits LGBTQI+ ?

Il arrive que le réel vous prenne à la gorge. Conseiller pour les droits de l’Homme du président, lors du précédent quinquennat, j’ai pu mesurer le drame que vivent les personnes LGBT+ dans de très nombreux pays : emprisonnements, lynchages, intimidations, chantages, "thérapies de conversion", châtiments corporels, travaux forcés et même, vous le savez, peine de mort…

"La violation des droits des personnes LGBT+ est aujourd’hui l’une des plus générales et des plus graves négations des droits humains dans le monde."

C’est à ce moment-là que s’est forgée ma conviction : la violation des droits des personnes LGBT+ est aujourd’hui l’une des plus générales et des plus graves négations des droits humains dans le monde. Je m’étonne de la relative indifférence des opinions publiques sur cette question. On ne doit plus détourner les yeux de la condition LGBT+ dans le monde ! Cela doit devenir l’une des "nouvelles frontières" du combat pour les droits humains. 

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On pourrait penser que le premier critère pour accéder à ce poste, c’est d’être soi-même LGBTQI+. Or, vous ne l’êtes pas. La question s’est-elle posée en amont de votre nomination ?

Tout le monde doit être concerné et mobilisé par la défense des droits des personnes LGBT+. C’est un combat qui doit être universel, sans quoi nous ne le gagnerons pas. Denis Mukwege, lors de la réception de son prix Nobel de la paix en 2018, avait déclaré que le combat féministe ne l’emporterait que s’il mobilise aussi les hommes. On peut faire le même raisonnement à propos de la lutte contre l’antisémitisme, qui doit associer au-delà de la seule communauté juive, ou de la lutte contre le racisme. Pour porter le combat en faveur des droits des personnes LGBT+, il faut être engagé, avoir des convictions sincères, quelle que soit son orientation ou son identité de genre. Je me retrouve totalement dans le concept d'"allié", avec une vision universaliste de mon engagement.

Vous avez commencé par rencontrer les associations LGBTQI+, que retenez-vous de ces consultations ?

J’ai rencontré une vingtaine d’associations pour alimenter ma réflexion en vue d’un plan d’action que je dois présenter à la ministre des Affaires étrangères début 2023. Il a été question de financements, d’asile, de la mobilisation de nos ambassades aux côtés des associations à l’étranger, de la nécessité de contextualiser nos actions selon les régions du monde pour ne pas prendre des initiatives qui, par effet boomerang, seraient finalement défavorables aux personnes que l’on souhaite aider. Il a été question aussi de la bonne prise en compte de toutes les problématiques LGBT+.

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Que répondez-vous à ceux qui assimilent l'universalisme à une ingérence étrangère, voire un néo-colonialisme ?

C’est une tendance qui n’est pas nouvelle. J’ai pour ma part été frappé par la lecture d’Amartya Sen, La Démocratie des autres, qui démontre que dans chaque civilisation ou tradition culturelle, il existe des éléments pour penser les droits de la personne humaine et une organisation démocratique de la société, et qu’il y a au fond un terrain favorable à l’éclosion des idées de liberté.

"Nous ne devons pas opposer droits universels et traditions locales."

En Afrique, par exemple, certains milieux conservateurs reprochent aux personnes LGBT+ d’importer des pratiques de l’Occident et de ne pas respecter leur culture nationale. À quoi les militants africains répondent, travaux de recherche à l’appui, que la liberté, la diversité sexuelle et de genre ont une longue histoire sur le continent, indépendamment de tout rapport avec l’étranger. Nous ne devons pas opposer droits universels et traditions locales. Cela étant, n’oublions jamais qu’il y a une ligne rouge, et que les spécificités culturelles ne sauraient en aucun cas justifier que l’on viole les droits humains. 

La France a-t-elle selon vous une légitimité particulière à faire valoir sur les sujets LGBTQI+ ?

On oublie souvent que la France a été la première, dès 1791, à dépénaliser ce qui était appelé le "crime de sodomie", même s'il y a eu un recul avec le retour à la pénalisation de l'homosexualité par le régime de Vichy. Au sujet de la transidentité, on a également été l’un des premiers pays à reconnaître, en 2010, qu’il ne s’agit pas d’une maladie. Nous avons été pionniers aussi pour inscrire le sujet à l’agenda de la communauté internationale. La France a été la première, en 2008, à présenter une déclaration à l’Assemblée générale des Nations unies condamnant les violations des droits des personnes LGBT+ et demandant la dépénalisation de l’homosexualité.

Comment lisez-vous la carte du monde sur les sujets LGBTQI+ ?

Il y a trois ensembles d’une soixantaine de pays chacun : ceux qui criminalisent et où l’enjeu est la dépénalisation ; ceux qui ne pénalisent pas mais protègent mal les droits des personnes LGBT+, où l’enjeu est de lever les restrictions aux libertés, notamment à la liberté d’expression, et de développer des politiques de lutte contre la haine anti-LGBT+ ; enfin il y a les pays "progressistes" qui s’attaquent à cette haine et font avancer l’égalité des droits, où l’enjeu est de développer des coopérations et des synergies. Mais il faut se garder de toute vision figée. Tout progrès se paie d’une réaction, en retour, des forces conservatrices. Rien n’est acquis et nous sommes vigilants face à la contestation des droits des personnes LGBT+ qui, sur notre continent, accompagne presque toujours les mouvements populistes ou autoritaires.

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Quels sont nos outils pour répondre à ces régressions ?

Nous disposons d’un canal européen pour faire avancer les choses dans l’Union européenne. D’un canal multilatéral, celui des Nations unies notamment, pour soutenir des évolutions positives à l’échelle plus globale. Et il y a bien sûr le canal bilatéral, celui que représentent nos ambassades, nos échanges diplomatiques de haut niveau, par lequel nous pouvons faire passer beaucoup de messages. Enfin, il existe le canal de la société civile : nous voulons être plus présents auprès des associations qui s’engagent à l’étranger, souvent dans des conditions très difficiles, pour améliorer le sort des personnes LGBT+.

Disposerez-vous d’un budget propre ou allez-vous utiliser des lignes budgétaires existantes ?

Je suis en train d’identifier les moyens financiers. De nombreux leviers peuvent être utilisés : les ambassades disposent de budgets pour les ONG ; à Paris, un fonds de solidarité prioritaire existe pour mener des actions ; l’Agence française pour le développement dispose également d’instruments utiles. 

"Notre décision, c'est de parler des droits humains les yeux dans les yeux avec nos interlocuteurs plutôt que de faire des déclarations tonitruantes. C'est plus efficace, et donc plus utile."

Les ambassadeurs thématiques travaillent avec leur équipe mais aussi avec les différents services du ministère dans lesquels ils disposent de référents. J’ai ainsi créé un groupe de travail qui rassemble des référents de très nombreuses directions, fonction qui attire d'ailleurs de nombreuses candidatures ! Il est absolument nécessaire que la thématique soit transversale et portée par l’ensemble du Quai, et non par une seule équipe réduite.

Comprenez-vous que la France ne se soit pas fait plus entendre concernant la Coupe du monde au Qatar ?

Il y a eu une expression publique française et les choses sont claires : nous plaidons sans ambiguïté pour l’abrogation de toutes les dispositions prohibant l’homosexualité. J’ai pu m’exprimer en ce sens en réponse à une interpellation parlementaire. Notre décision, c’est de parler des droits humains les yeux dans les yeux avec nos interlocuteurs plutôt que de faire des déclarations tonitruantes. C’est plus efficace, et donc plus utile.

Par ailleurs, nous avons eu des contacts avec les autorités qatariennes pour que les supporters LGBT+ puissent être accueillis dans les mêmes conditions que les autres, notamment que les couples homosexuels puissent loger ensemble à l’hôtel, sans discrimination. Nous sommes attentifs à ce que les engagements pris soient respectés.

Irez-vous au Qatar pendant cette Coupe du monde ?

Non, mais les messages sont bien passés. Vous avez pu noter que la ministre des Sports a porté un pull aux couleurs arc-en-ciel lors du match France-Angleterre.

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Crédit photo : Ludovic MARIN/AFP