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militantismeBarbara Butch : "Je tiens à la représentation positive du corps gros"

Choisie comme égérie du parfum La Belle de Jean-Paul Gaultier, la DJ et militante Leslie Barbara Butch revient pour TÊTU sur cette victoire et ses combats. Il y a un an, sa photo en une de Télérama était censurée par Instagram, révélant au grand public l’absurde censure des corps gros sur ce réseau social, qui…

Choisie comme égérie du parfum La Belle de Jean-Paul Gaultier, la DJ et militante Leslie Barbara Butch revient pour TÊTU sur cette victoire et ses combats.

Il y a un an, sa photo en une de Télérama était censurée par Instagram, révélant au grand public l’absurde censure des corps gros sur ce réseau social, qui n’indignait jusque-là que les militant·e·s gros·ses. Aujourd’hui, Barbara Butch pose à nouveau sur fond rouge, menton et double menton fiers, pour la déclinaison intense du parfum La Belle de Jean-Paul Gaultier. Du jamais vu. Ou presque. Pour les gros·ses, cette campagne n’est pas sans rappeler la puissance d’Anne Zamberlan — co-fondatrice de la première association anti-grossophobie française, Allegro Fortissimo (et accessoirement créatrice, en 1994, du mot grossophobie) — en égérie de Virgin Megastore, en 1988.

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Si Augustin Trapenard a décroché des mâchoires en interviewant Barack Obama début février, ce n’était finalement qu’un simple échauffement avant de recevoir notre icône grosse et gouine, résolue à être vue, et surtout entendue. Quelques jours après le tourbillon de joie en sillage de cette collaboration (dé)culottée qui manquait à nos vies, Barbara Butch nous a ouvert sa porte, juste à temps pour mardi gras ! Un hasard calendaire de bonne augure pour cet entretien qui ne manque pas de nous faire rire. Entre excitation et apaisement suivant son nouveau buzz, elle est en descente et nous reçoit dans son lit, en visio...

Avec deux autres femmes, tu as été choisie pour représenter la déclinaison intense du parfum La Belle de Jean-Paul Gaultier sur Internet. Raconte-nous comment ça s’est passé !

Tout est allé très vite ! On m’a appelée, j’ai fait mine de réfléchir — deux minutes — et j’ai dit oui, bien sûr. En dehors même de cette opportunité dingue, ça m’a sauvée financièrement car c'est compliqué pour les artistes en ce moment, et j'ai pu payer mon loyer. Bref... on a fait les photos le vendredi, et le lundi, elles étaient postées. Et le message, je le trouve hyper puissant, car le parfum, il s'appelle quand même La Belle ! C’est plein de sens. Je suis très honorée et fière d’être l’un des visages, un des corps, de ce parfum. Certes, c'est sur les réseaux sociaux uniquement, mais c'est quand même une représentation positive du corps gros à travers le capitalisme. Et même si je ne suis pas encore dans les couloirs du métro, sur des affiches, ou les panneaux lumineux de Time Square... je me dis que c'est peut-être un début.

C'est la prochaine étape ?

Pourquoi pas ? En tout cas, tout ça prouve une chose : il ne faut pas lâcher. J'ai eu raison de continuer à me battre pour la visibilité de tous les corps, quels qu'ils soient.

« Je tiens à la représentation positive du corps gros »

Comment vis-tu de faire partie des muses de Jean-Paul Gaultier ?

C'est puissant. Je me dis que sur une campagne comme ça, c'était quand même couillu de leur part de faire appel à moi. Et si certain·e·s pensent que la marque s'est servie de mon image... Je crois que Gaultier n'a pas besoin de ça. Il n'a pas à prouver qu'il n'est pas grossophobe, on le connaît déjà dans ses engagements. Même si ce n'est « que » digital, je trouve ça important. Je tiens à la représentation positive du corps gros, qui n'est montré que sous le prisme du régime, de stéréotypes limitants pour les personnes grosses. J'ai pu être celle que je rêvais de voir ado ! Et puis, c'est quand même un fantasme, de me faire habiller par Jean-Paul Gaultier. Ce n'est pas n'importe quel créateur, c'est quelqu'un qui a toujours été à l'avant-garde, qui a mis en avant beaucoup de personnes issues des minorités, même si ce n'est pas forcément dit. Il choisit des personnes trans pour des campagnes, fait défiler des personnes de la télé-réalité comme Loana ou Nabilla, ou des personnes hors des normes comme Rossy De Palma ou Beth Ditto. Dans cette continuité, je trouve qu’avoir fait appel à moi pour cette campagne est cohérent.

Vous vous êtes rencontré·e·s ?

Pas encore, mais je pense que ça va venir. Je suis pas quelqu'un de pressé, j'ai déjà attendu 40 ans pour arriver là où j’en suis, et j’aurais certainement eu plus de facilités dans ma carrière de DJ si j'avais été mince, d’ailleurs. Mais ce n’est pas grave, j'ai fait les choses à mon rythme, et à celui de la société. En tout cas, si Jean-Paul Gaultier et moi on se rencontre pas, ce serait quand même dommage pour lui ! [RIRES]

« Bien sûr, il y a eu des commentaires grossophobes sur Facebook, mais il y a aussi beaucoup plus de gens qui leur répondent qu’avant »

En tout cas, l’enthousiasme suscité par ta participation à cette campagne semble assez unanime sur les réseaux sociaux...

Oui ! Et puis, je crois que les gens n'osent plus avec moi. Bien sûr, il y a eu des commentaires grossophobes sur Facebook, mais il y a aussi beaucoup plus de gens qui leur répondent qu’avant. La photo a été partagée des centaines de milliers de fois et j'ai mis plus de 24h pour pouvoir répondre à toutes mes mentions. Parmi tous ces messages, je n'ai eu qu'un seul mec qui m'a dit « t'as pas honte de te faire du fric sur l'obésité ? »

Ah, l'obésité est lucrative maintenant ?

Si c’est le cas, j'espère en faire encore plus et devenir riche. Je lui ai répondu « Merci de m'avoir donné ton avis chaton, je comprends, je te souhaite une très bonne soirée, bisous ! ». Une demi-heure plus tard, il s’excusait.

Tu as une manière bien à toi de gérer les trolls, aussi...

Pendant le confinement, je me suis pris un gros raid de masculinistes et autres fachos, qui avaient prévu d'être violents car c'est leur délire. Menaces de mort et compagnie. Du coup je les ai accueillis sur mon live Instagram : j'ai mis le morceau L'amour, l'amour, l’amour, que j'ai diffusé à la fin de ma carte blanche pour Augustin Trapenard la semaine dernière, en boucle. Je leur ai dit « allez-y, lâchez-vous ». Et ils sont partis comme ils sont venus. Ils savent que j'ai pas le temps. 

Quels sont les retours que tu as eus, alors ?

J'ai eu énormément de commentaires positifs, y compris de gens minces et hétéros, contents et touchés de cette représentation autre de la beauté, même si je ne les représente pas forcément eux. Toutes ces personnes qui m’ont dit « enfin ! »… J'ai pleuré pendant 48h devant tous ces retours pleins d'émotions, rien que d'en parler j'ai à nouveau les larmes aux yeux. (C’est vrai, ndlr). C'est hyper empouvoirant, d'entendre ces retours de personnes qui ont eu des prises de conscience, qui ont changé le rapport à leur corps. La militance body positive et joyeuse, c’est ça, et non pas des minces qui se contorsionnent pour faire apparaître un bourrelet.

« Je voulais qu'on voie de la peau, de la chair, du bourrelet et montrer que c'est beau »

Toute la presse féminine a repris l'info, aussi. Qu'est-ce que ça te fait de te voir, grosse et gouine comme tu le revendiques, flattée par des titres comme Elle, Gala ou Madame Figaro ?

Incroyable. Pendant l'affaire de la couverture de Télérama, cette presse féminine là n'est pas du tout montée au créneau. Là, par contre, y'a du monde, on commence à voir que la petite, là, elle est sérieuse ! J'ai été très surprise. ELLE, quoi...  Cet été j'y avais eu un encart pour les soirées L'appart chez moi, mais là c’est différent, on parle de beauté. Tout le monde a lu un ELLE au moins une fois dans sa vie et a eu envie de s’identifier aux meufs irréelles que l'on y voit. Ce type de publications qui entretient tant de stéréotypes... je n’en reviens pas. Il ne manque plus que Valeurs Actuelles maintenant ! [rires] « Le gros remplacement », je vois ça d'ici. Ça viendra sans doute à un moment. Là je suis sur un projet musical, je vais peut-être devenir une des rares grosses chanteuses ? Qui sait. En tout cas, il n'y a plus rien qui m'arrête.

En parlant de Télérama, tu ne trouves pas que le visuel de cette campagne rappelle un peu cette couverture d’il y a un an, avec ce fond rouge, comme un clin d'œil à la censure que tu as subie alors ?

Ah oui, carrément. Mais je pense qu'ils n'y ont pas du tout pensé. Les autres filles ont à peu près la même position, avec le même décor, sauf que moi, je prends plus de place dans le cadre. Il n’y a aucune raison pour que ce soit censuré.

Cette couverture iconique a permis de visibiliser la censure des personnes grosses, qui n'indignait que les concerné·e·s jusqu'ici...

Complètement. Ça faisait trois ans que je luttais contre la censure de mes photos, et celles de mes ami·e·s, et d'un coup les gens se sont rendus compte qu'il existait cette censure des corps gros sur internet. Et c'était aussi l'occasion de se rendre compte d’à quel point on pouvait dégoûter, mettre mal à l'aise, certaines personnes. Télérama c'est quand même vendu à 500.000 exemplaires, c'est énorme. Pour les abonné·e·s — beaucoup de bourges quand même —  se retrouver avec une grosse sur leur table basse, ça a dû leur faire tout drôle !

Tu tires une certaine satisfaction d'avoir mis en lumière ce malaise face aux personnes grosses ?

Oui. Surtout qu’à la base, on ne devait pas entendre parler de moi. J’étais juste là pour illustrer un dossier qui donnait la parole à Gabrielle Deydier, à Gaëlle Prudencio et aux fondatrices de Gras Politique, Daria Marx et Eva Perez-Bello… Initialement, pour cette photo, je ne devais pas être nue, c'est moi qui ai demandé à l’être. Sur les shootings, les stylistes ont du mal à trouver des options décentes pour les modèles gros·ses, il n'y a jamais de vêtements mais toujours un peignoir en taille S qui couvre à peu près autant qu’une cape, donc je finis toujours à poil sur les photos. Là, je voulais qu'on voie de la peau, de la chair, du bourrelet et montrer que c'est beau.

Ah oui, en fait, c'était vraiment ta couverture de Télérama !

Ben franchement… oui ! [Rires ] Et puis ça a permis de ramener le sujet de la grossophobie dans plein d'endroits où l'on n'en parle habituellement pas. D’un coup, on a eu des sujets au journal de 20h sur la censure des corps gros ! Peu importe la manière, je pense que c'est important que l'on entende parler des gros·ses et de la grossophobie.

Tu as la sensation que les choses ont changé depuis le #BarbaraButchChallenge ?

Oui, depuis la couv’ de Télérama, la manière dont les corps gros sont censurés a quand même évolué. Pas en story, parce que c'est un bordel sans nom au niveau des algorithmes donc, dans le doute ça supprime tout dès qu'on voit trop de chair, même si certaines photos passent à la trappe. Ça fait un an que je n'ai pas un seul post qui a sauté, et j'ai plein d'ami·e·s dans le même cas que moi. Mais aujourd'hui, le problème qui se pose avec Instagram et Facebook, et les enjeux politiques derrière, c’est qu’ils censurent de plus en plus les comptes militants. Principalement les posts de féministes, quand on dit « men are trash » ou qu’on demande ce qu’il faut faire pour que les hommes cessent de violer. Ils sont plus sur la censure de la parole actuellement, et c'est encore pire. 

« La personne que tu rêves d'être, tu l'es sans doute déjà »

Après la grossophobie de confinement... Tu deviens l'un des visages d'un parfum Jean-Paul Gaultier, l’émission décriée sur la chirurgie de l’obésité de Karine Le Marchand fait un flop, Yseult met le feu à la scène des Victoires de la musique... On ne serait pas en train d'entrer dans une ère de la fatoyance ?

Oui, je pense qu'on entre dans une ère où, enfin, on prend la place qu'on mérite, la place qu'on a le droit de prendre. Physiquement, les personnes grosses, on occupe de l’espace, mais on essaie toujours de se faire les plus petit·e·s possibles. Mais là, on est en train de réaliser que c'est mort, on ne se cachera plus. Vous allez vraiment nous voir et en prendre plein les yeux ! Ça ne fait que commencer. Là, on est à un tournant énorme, et on va avoir de plus en plus de meufs grosses sur les écrans, devant les micros. J'espère qu'on ne va plus avoir honte de prendre des meufs grosses sur des plateaux télé, peut-être qu'on aura des groniqueuses... [RIRES]

Tu es en train de décrire et de contribuer à réaliser l’un des rêves des premières militantes françaises contre la grossophobie, dans les années 90...

Mais oui, c’est ouf ! Ce que je fais, c’est pour toutes les petites filles qui se sentent invisibles, ou peut-être trop visibles, mais surtout pas à leur place, dénigrées, lorsqu'on leur dit qu'elles ne méritent pas de vivre. Et pour en revenir à l’émission grossophobe de M6, Opération Renaissance, c’est complètement à côté de la plaque. Moi, j’ai la sensation d’être en train de renaître, là, justement, sauf que je suis toujours grosse. Je suis bien contente que l'annonce de ma participation à cette campagne pour le parfum La Belle Intense arrive après cette émission de merde, où on te dit que tu n'existeras qu’une fois que tu auras minci. La personne que tu rêves d'être, tu l'es sans doute déjà.

Pour revenir à des choses moins joyeuses, ça va faire bientôt un an que tu as commencé les soirées dansantes via Zoom, L’appart chez moi. Toujours autant d'enthousiasme de la part du public ?

Oui ! On arrive bientôt à la trentième et j’ai pas mal d’habitué·e·s. Ces soirées sont indispensables à nos santés mentales, c'est vraiment un sas de décompression toutes les deux semaines. Il y a peut-être un tout petit peu moins de monde qui vient, maintenant que je suis passée sur un modèle payant... Mais c'est un travail, ça me demande énormément de temps de préparation, d'investissement, et puis, ça coûte de l'argent d'organiser des soirées. Et puis, qui en organise 30 en moins d’un an ?

Qui sont les personnes que tu fais danser par visio interposée ?

Il y a vraiment tous types de personnes, des homos, des hétéros, des personnes trans et non-binaires, des putes, des personnes handies... tout le monde, en fait. Et le plus beau là-dedans, c'est que c'est hyper safe. C'est la fête la plus safe que j'ai faite dans ma vie ! T'es chez toi, personne pour te mettre une main au cul ou te glisser de la drogue dans ton verre à ton insu... Et le plaisir que je prends, c'est de voir des potes qui peuvent rarement sortir parce à cause d'un handicap physique, ou d'une phobie sociale, pouvoir faire la fête chez elleux, mettre le volume au niveau qui leur convient, rencontrer des gens ou non, grâce à la chatroom... C'est génial ! Je pense qu'après tout ça, quand je mixerai à nouveau dans le monde réel, j'essaierai de garder cet espace Zoom pour ces personnes-là. Il y a mille façons de rendre la fête accessible, et il faut que l'on s'empare de ça.

« Le plus urgent n'est pas d'organiser des fêtes en réel, mais de s’unir pour soutenir les personnes les plus fragiles de nos communautés ! »

Avec le contexte sanitaire, le monde de la nuit souffre, et certaines personnes de la communauté LGBTQI qui y ont leurs cercles de sociabilisation avec. Quel message as-tu envie de faire passer à ce sujet ?

Je pense que pour le moment, il faut protéger physiquement les plus faibles. Il faut que nous prenions, tous•tes, notre mal en patience. C'est important de créer des espaces virtuels de rencontre, puisqu'on ne peut pas le faire physiquement mais là, le plus urgent n'est pas d'organiser des fêtes en réel, mais de s’unir pour soutenir les personnes les plus fragiles de nos communautés ! Il y a de plus en plus de gens qui se retrouvent à la rue, sans possibilité de payer leur loyer ou à manger, et survivent grâce aux colis alimentaires du FAST réalisés à La Mutinerie. Quand j’entends certain·e·s se plaindre de ne pas pouvoir faire de soirées ou de voir leurs potes comme avant, ça me met en colère. Oui, tout le monde est isolé. Sauf que les plus isolée·e·s de la communauté ne pensent pas à sortir faire la fête, mais surtout à pouvoir bouffer et dormir au chaud. En vrai, qu'est-ce qu'on s'en fout de faire la fête « en réel » ? Si tu veux vraiment aider les queers, tu vas aider celleux qui n'ont pas de thune. Je pense notamment aux migrant·e·s LGBT, qui n'ont rien du tout, et pour qui on recherche des lits et canapés tous les jours. C'est la base.

Qu'as-tu envie de dire à tes frères, soeurs et adelphes qui se sentent isolé·e·s ?

N'hésitez pas à demander de l'aide, qu'elle soit matérielle ou physique. À travers mes réseaux, j'essaie toujours de créer des liens, de mettre des gens en relation. C'est hyper important qu'on soit solidaires. Pour le moment, on n'a que nous, personne d'autre ne se bougera à notre place. Il faut vraiment qu'on fasse front commun, il y a encore trop de chacun pour sa gueule. Tout le monde a besoin d'amour, et on est capables d'en partager les un·e·s avec les autres, il faut juste ne pas avoir peur de le faire. Je suis là pour créer des espaces, je le dis, je le répète et je continuerai à le faire tous les jours s'il le faut, mais si vous vous sentez mal, n'hésitez pas à me contacter ! Je relayerai votre message en story et on trouvera une solution, car c'est une méthode qui marche, les gens répondent. On a vraiment besoin de développer des réseaux d’entraide et de bienveillance, parce que ce ne sont pas que des grands mots, ce sont aussi des actions.

Par Olga Volfson le 19/02/2021