Un an à peine après son éléction, Marie Cau, la première femme trans élue maire en France voit déjà plus grand. A un an de l'élection présidentielle, l'élue du Nord annonce qu'elle vise désormais l'Elysée. Interview.
Après avoir été la première femme trans élue maire en France, à Tilloy-lez-Marchiennes, dans le Nord, en 2020, Marie Cau ambitionne de devenir la première femme trans présidente de la République. Pour Têtu, elle livre les raisons qui la poussent à présenter sa candidature.
Un an après été élue maire de Tilloy-les-Marchiennes, vous avez décidé de viser un autre mandat...
Effectivement, cela fait quelques mois que j'y pense. Le climat politique en France est assez désagréable. Les médias véhiculent beaucoup de haine, de colère, de peur. Je me suis dit: autant me lancer pour apporter une voix différente. Suite à mon élection, j'ai eu beaucoup de retours positifs sur mon discours et ma façon de voir les choses. Je me suis dit qu'il était temps de faire évoluer la politique vers plus de bienveillance que ce qu'on voit actuellement, surtout avec la montée des extrémismes de droite et de gauche. Il y des tensions très fortes. Même au sein de la communauté LGBT, qui n'est pas un arc-en-ciel, mais plutôt mosaïque, il y a des tensions. Je voudrais apporter un message positif et bienveillant en me présentant à l'élection présidentielle.
Je ne suis pas une personne politique, qui s'inscrit dans une carrière politique comme députée ou autre, même si j'ai des appels du pied en ce sens. Mais vu le contexte actuel, je me suis dit qu'il faut faire bouger les lignes, faire passer un message positif et au final c'est l'élection présidentielle qui est la plus appropriée pour ça. Plutôt que de rentrer dans les appareils, rentrer sous les fourches caudines de choses qu'on approuve pas forcément, je préfère garder ma liberté de parole. Je suis personne en politique, donc je peux représenter tout le monde. Je ne suis pas étiquetée. Je peux avoir une parole libre et ne pas opposer les gens, mais plutôt les fédérer.
"Je ne veux pas être un porte-drapeau LGBT mais au contraire dire "nous aussi, nous avons quelque chose à apporter à la société", une vision du monde qui est peut-être plus tolérante."
Vous présentez simplement pour témoigner ou pour être élue ?
Pour être élue ! On peut penser que c'est une expérience un peu folle et irréaliste. Mais je ne le crois pas. Je pense qu'aujourd'hui beaucoup veulent d'aller vers autre chose, vers une autre société. Nous sommes face à un choix de civilisation: soit nous nous enfonçons dans un monde agressif, où on parle toujours de violence, soit nous allons vers un monde plus bienveillant et on change de modèle de société. On sent qu'il y a une aspiration dans ce sens chez les jeunes, mais qui est reprise plutôt par des gens qui sont extrémistes et les gens s'y retrouvent pas.
Je me lance dans cette démarche pour réussir, sinon je ne le ferais pas. Et si ça ne marche pas, au moins j'aurai l'occasion de faire passer des messages et de montrer qu'il y a une autre manière de penser, qu'on peut débattre sans combattre, qu'on peut faire avancer les idées avec bienveillance. Pour beaucoup de personnes, je représente un symbole de normalité : montrer qu'on peut être LGBT et avoir une vie normale. Donc je veux continuer sur cette voie. Je ne veux pas montrer une différence et être un porte-drapeau LGBT mais au contraire dire "nous aussi, nous avons quelque chose à apporter à la société", une vision du monde qui est peut-être plus tolérante, plus créative.
Vous n'appartenez à aucun parti, mais sur l'échiquier politique. Où vous situez-vous politiquement ?
Je suis hors parti. Il n'y a pas de mauvais français, il n'y a que des mauvaises idées. Dans chaque parti, il y a de bonnes et de mauvaises idées. Aujourd'hui, l'écologie est un sujet important. Mais le social et la solidarité le sont aussi. J'ai une vision plus libérale de l'économie. Il faut développer la créativité, retirer les réglementations qui étouffent les petites entreprises. Je pense aussi qu'il faut défendre l'identité française, sa culture, sa langue, mais de manière positive. Je pense qu'on peut faire une synthèse de ce qui rassemble les gens plutôt que de passer son temps à s'opposer sur les différences. Il y a plus de choses qui fédèrent les gens que de choses qui les séparent. Parce que c'est le jeu politique, on met toujours en avant ce qui sépare, ce qui oppose. Je ne suis pas affiliée à la droite ou à la gauche. Je suis plutôt à la recherche d'idées et de projets qui peuvent être partagées par le plus grand nombre.
Vous présidente, quelles sont les mesures concrètes que vous pouvez mettre en œuvre ?
Une société, c'est toujours très long à évoluer. Donc il y a une stratégie de long terme, qui peut prendre dix à vingt ans. Ce n'est pas le temps électoral. Et il y a des mesures de plus court terme, qui peuvent être faciles à mettre en œuvre. Cela peut être sur des sujets de société, la PMA, la GPA, si on reste dans le domaine LGBT. Cela peut être du côté de la Justice. On parle beaucoup des violences sexuelles. Il y a des choses à faire de ce côté-là en termes législatifs. Sur le logement aussi. J'ai pas mal d'idées, aussi j'ai lancé un blog, avec quelques unes d'entre elles. Elles ne sont pas parfaites. Je ne suis pas une espèce de gourou qui sait tout. Je pose des idées qui montrent qui je suis. S'il y a une adhésion sur ma façon de penser et ma façon de voir les choses, il faudra créer un programme politique avec des choses plus concrètes.
"C'est une liberté fondamentale d'avoir des enfants et d'aimer qui on veut"
Sur les questions LGBT, y a-t-il quelques revendications défendues par les associations qui vous tiennent plus à cœur que d'autres?
Je ne défends pas les personnes LGBT pour défendre les personnes LGBT, je défends la liberté et l'égalité. Ce sont des communautés qui sont discriminées. C'est une liberté fondamentale d'avoir des enfants et d'aimer qui on veut. Aujourd'hui cette liberté n'est pas accordée à tout le monde. Donc ce n'est pas un combat LGBT, c'est un combat universaliste. Parce que c'est là qu'il devient légitime. Aimez qui vous voulez, vous avez le droit d'avoir des enfants, vous ne devez pas être jugés pour ça, soyez qui vous voulez être, vous n'avez pas d'autorisation à demander à qui que ce soit. Mon débat est plus universaliste, donc forcément c'est un débat LGBT parce que nous sommes parmi les personnes les plus discriminées. Je ne le fais comme un combat spécifiquement LGBT. Simplement, nous demandons les mêmes droits que tout le monde.
Vous dites que vous êtes favorable à la GPA, mais ce n'est pas un sujet très populaire, notamment au sein de la communauté...
C'est un sujet compliqué, donc je comprends qu'il y ait des réticences. C'est une chose qui bouleverse la société, donc je ne rentre pas dans le débat moral du pour ou du contre. Je dis simplement que si on ne légifère pas, si on ne cadre pas par des règles éthiques, c'est là où il y aura des dérives. Tout simplement. On pourrait dire qu'il y a une marchandisation du corps pour le don d'organe. Ce n'est pas le cas parce qu'on a légiféré. Le don d'organe est parfaitement encadré par des lois éthiques. La GPA est inévitable. Si on ne légifère pas elle continuera à se faire à l'étranger. Soit dans de mauvaises conditions avec des trafiquants, soit réservé aux riches et ce sera inégalitaire.
Si on veut un système qui soit éthique, égalitaire et juste, il faut légiférer. Qu'on soit pour ou contre. On l'a vu notamment sur les enfants issus de GPA dont on a refusé la transcription à l'état civil. C'est inadmissible. Il ne faut pas attendre d'être condamnée par la Cour Européenne des droits de l'Homme pour agir. Légiférons, apaisons le débat. Aujourd'hui des pays comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni le permettent, ce ne sont pas des pays arriérés ou des dictatures... S'ils le font, c'est peut-être parce qu'ils sont entrés dans une démarche plus progressiste.
"Je ne me présente pas en tant que femme trans, je me présente comme personne qui a pour projet de lutter contre les extrémismes"
Même si vous défendez une approche "universaliste", vous êtes malgré tout la première femme trans maire en France, ce qui a fait le tour du monde. Vous dites-vous que votre candidature peut avoir une importance pour les personnes trans?
Je ne me présente pas en tant que femme trans, je me présente comme personne qui a pour projet de lutter contre les extrémismes, de droite comme de gauche, qui créent des tensions dans le pays et qui créent des scissions dans la population. Moi mon objectif c'est de rassembler. Je me présente comme quelqu'un qui veut faire avancer la société. Mais il est clair que ma spécificité de femme trans me permet de porter une parole que d'autres ne peuvent pas avoir. J'ai deux caractéristiques : la première c'est d'être une femme trans et évidemment ça peut attirer l'attention. L'autre, c'est que j'ai déjà été élue, ce qui me donne une légitimité. J'ai en quelque sorte ce double levier qui me permet d'être entendue. J'espère qu'il y aura une adhésion sur le discours, parce que je veux réconcilier les gens, je ne veux pas les opposer. On a plus à gagner à se réunir qu'à se diviser. La société est en train de se laisser gagner chez les extrémismes, même chez les personnes LGBT.
A quoi pensez-vous quand vous parlez d'extrémisme chez les personnes LGBT?
Je vois sur les réseaux sociaux des gens qui en agressaient d'autres parce qu'ils n'emploient pas le bon vocabulaire. Un vocabulaire qui fait partie de la culture LGBT mais que Monsieur et Madame Tout-le-monde ne connaissent pas forcément. Ce n'est pas parce qu'ils n'ont pas le bon vocabulaire qu'ils sont homophobes et transphobes. Il faut les éduquer, les informer. J'ai eu la surprise en discutant avec des ami.e.s gay ou lesbiennes qu'ils ne connaissaient pas du tout la thématique de la transidentité. Même au sein de la communauté LGBT, tout le monde ne connaît pas. Il ne faut pas s'en formaliser, il faut que la société évolue, il faut expliquer et pas forcément traiter tout le monde d'homophobe et de transphobe parce qu'ils n'ont pas utilisé le bon mot ou qu'ils ont été maladroits dans leurs propos. Il faut juste recadrer. Mais pas agresser. Aujourd'hui on a des trans activistes extrêmement virulentes envers des féministes lesbiennes, par exemple. Ces tensions sont contre-productives.
Lorsque nous vous avons interrogée il y a un an, vous nous disiez que votre transidentité n'était pas du tout un sujet chez les gens qui vous ont élue. Depuis un an, on vous a beaucoup vue dans les médias. Cela a-t-il changé quelque chose?
Non. Mes administrés sont des gens qui vivent à la campagne. Ce qu'ils attendent c'est qu'on bouche les nids de poule sur la voirie, l'ouverture de la crèche ou l'arrivée de la fibre optique. Ce que je suis n'est pas un problème. Certains sont même un peu fiers, je crois. Mais ce n'est pas pour ou contre ça que j'ai été élue. Les gens attendent des résultats concrets.
Si vous vous présentez à l'élection présidentielle, c'est que vous n'êtes pas satisfaite du président actuel. Comment voyez-vous son bilan ?
Je ne suis pas du tout contre le bilan du président Macron. Surtout en cette période, il vaut mieux éviter de tirer sur le commandant de bord quand on est en pleine tempête. Aujourd'hui, c'est plus un constat général sur la société française de polarisation et de montée de l'extrémisme. La France est un pays difficile à gouverner. Nos différents présidents ont eu des réussites et des échecs. Je ne suis pas dans une posture d'opposition. Aujourd'hui, on a affaire à une élite, à une aristocratie républicaine, à des partis politiques qui sont un peu déconnectés de la réalité. C'est plutôt ça que je veux changer. Je veux un mouvement citoyen, mais pas politique. Si je commence à me mettre en opposition aux mouvements politiques, je fais de la politique et je ne veux pas ça. Je veux faire avancer un projet et des idées. Je ne suis pas anti-Macron, je suis anti-extrémiste.
D'accord, mais si vous voulez vraiment changer les choses en étant présidente de la République, il vous faudra travailler avec le parlement, composer un gouvernement et être confrontée aux partis, donc faire de la politique...
Bien sûr. Par contre, il ne faut pas rentrer dans les travers qu'ont pris les partis politiques, qui sont davantage des organisations qui font monter des leaders plutôt que débattre sur les idées. Aujourd'hui les partis se combattent et ne débattent plus. C'est ça qui pose problème.
L'étape suivante pour moi c'est de créer une association de financement pour ma campagne, donc virtuellement de créer un parti, mais pas de rentrer dans les travers d'un parti avec une structure hiérarchique, des luttes de pouvoir, d'influence... Sinon on retombe dans les erreurs du passé. Aujourd'hui les réseaux sociaux et internet permettent d'avoir une fluidité de l'information et des idées que ne peut pas avoir un parti. Il faut vraiment s'appuyer là dessus et je compte vraiment sur les jeunes, parce que les jeunes sont déjà dans cette façon de voir les choses.
"Je vais défendre beaucoup la ruralité et les villages."
Le premier défi pour un.e candidat.e à l'élection présidentielle c'est de décrocher les parrainages des élu.e.s. Comment comptez-vous vous y prendre?
Techniquement ce n'est pas impossible. C'est 500 signatures sur trente départements. Toute seule je ne peux pas y arriver, c'est clair. Donc il faudra que je me fasse aider. Je vais déjà observer dans les semaines qui viennent s'il y a une adhésion et un soutien à ma candidature. Si c'est le cas, naturellement cela favorisera les signatures. Donc je démarrerai la collecte. Je compte beaucoup les maires ruraux, parce que je vais défendre beaucoup la ruralité et les villages. Je compte sur les femmes élues, dont le nombre commence à être important. Je compte aussi sur les jeunes. Je compte sur ceux qui ont envie que les choses changent. J'espère, c'est mon pari, que les signatures vont venir assez facilement. Si ce n'est pas le cas, c'est que ma candidature n'est pas si légitime que ça et qu'il vaut mieux que je me retire.
"Ma candidature est une aventure, mais c'est faisable. Des petits candidats y arrivent. Je compte lancer un financement participatif. Si 100 000 personnes donnent 10 euros, on peut y arriver."
Quel est votre calendrier?
C'est compliqué parce qu'on est un peu bousculés par l'actualité Covid. Je pense que d'ici un mois on va lancer, si les retours sont bons, la création d'une association de financement, un financement participatif et la collecte des signatures. On a six mois pour boucler ça. En parallèle, il faudra faire passer nos idées, collecter les soutiens, animer les médias, etc. Cela se fera beaucoup par les réseaux sociaux et les moyens modernes, parce qu'évidemment, je n'ai pas de parti derrière moi. Il faudra que tout le monde vienne spontanément donner un coup de main. C'est une aventure, mais c'est faisable. Des petits candidats y arrivent. Je compte lancer un financement participatif. Si 100 000 personnes donnent 10 euros, on peut y arriver. Le seul argent qui sera dépensé ce sera pour les bulletins de vote. On ne fera pas de meeting, ça ne sert à rien, c'est le vieux monde, c'est juste pour plébisciter les leaders. Il y aura 40 millions de vote à financer, même à 0,001 centimes, ça fait quand même une somme ! Donc il faudra trouver de l'argent pour ça, sinon les gens ne pourront pas aller voter.