Des demandeurs d'asile LGBT+ se voient refuser le statut de réfugié sous prétexte qu'ils ne peuvent pas prouver qu'ils sont bien gay. Une hérésie pour les associations qui tentent d'alerter sur un durcissement des conditions d'accueil en France
"J'ai laissé ma famille quand j'avais 17 ans et depuis, je suis rejeté partout parce que je suis homo." D'une voix assurée, John détaille ses années à Haïti, ses déménagements successifs et les discriminations qu'il subissait dans son pays. "J'étais superviseur à l'aéroport et personne ne voulait travailler avec moi parce que j'étais gay." Lors d'un carnaval, il se déguise en roi et se retrouve conspué. "Les gens me jetaient des objets dessus et criaient homosexuel en haïtien." Jusqu'au jour où, sur sa porte, il découvre un tag : "On va te brûler".
"Après ça, j'ai quitté Haïti, j'avais trop peur de ce qui pouvait m'arriver." John arrive en France, où il fait une demande pour obtenir le droit d'asile. Les mois s'enchaînent avant qu'il obtienne un rendez-vous à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), l'administration qui s'occupe de recevoir les demandeurs d'asile (DA), d'écouter leur récit et de décider si oui ou non, cette personne peut rester en France et obtenir le statut de réfugié.
L'OFPRA met en doute les parcours
Depuis plusieurs années, les procédures de demande d'asile sont régulièrement dénoncées par les associations comme la Cimade ou l’Ardhis, qui tentent d’alerter sur un durcissement des conditions d’accueil en France et demandent, entre autres, la suppression de la notion de "pays sûrs" et un meilleur respect des droits des étrangers.
Pour John, après plusieurs mois d'attente de ce rendez-vous puis de la réponse, sa demande est rejetée. "J'ai tout raconté, les rejets, mon travail, tout. Mais ils n'ont pas cru que j'étais vraiment homo…" Comme lui, de nombreuses personnes LGBT+ racontent avoir eu le sentiment que l’OFPRA doutait de leur récit, n'hésitant pas à poser des questions intrusives pour les tester : "A quel moment tu prends conscience de ton homosexualité ? Pourquoi aimais- tu cette personne ? Qu'est ce qu'elle avait de particulier ? Qu'est ce que vous craignez si vous retournez dans votre pays ?”
John, lui, va faire appel de ce rejet et demander le réexamen de son dossier devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Autour de lui, plusieurs migrant-es LGBT+ sont venus, ce mercredi à la Maison des associations LGBT+ à Paris, pour demander de l'aide après le rejet de leur dossier. Ils et elles dénoncent l'homophobie des personnes qui reçoivent leurs témoignages, et le manque d'intérêt pour leurs parcours de vie.
"Le monsieur qui m'écoutait était pressé, souligne Rama, 26 ans, originaire du Sénégal. Il était là, à taper mon témoignage le plus vite possible et en 1h30, c'était terminé." Victime de viols, excisée et mariée de force parce que lesbienne, elle dit avoir raconté tous ces faits lors de son entretien à l'OFPRA. "Mais le monsieur en face n'en a pas tenu compte”, insiste Hervé Latapie, président du Centre LGBT+, qui l’y a accompagnée.
La longue attente des réfugié·e·s
"Pour lui c'étaient des petits détails, se remémore Rama. Sauf que c'est ma vie, et c'est pour ça que j'ai décidé de tout quitter. Et l'homme qui doit décider de mon avenir est pressé, ne m'écoute pas et considère ces violences comme des petits détails !" Ce rendez-vous, elle l'attendait depuis un an. "L'attente est très difficile et pendant cette période, on ne peut rien faire. Ni travailler, ni construire nos vies, rien du tout. On attend c'est tout.".
Esther, elle, est originaire du Burkina Faso. "On me reproche d'être militante en France et pas dans mon pays au Burkina. Sauf qu'au Burkina, je ne connais pas de centre LGBT+. Quand tu passes trois ans à attendre et qu'on te refuse au prétexte que tu n'as pas été assez militant dans ton pays, c'est injuste." Elle aussi a attendu dix mois avant d'avoir un rendez-vous à l'OFPRA, puis encore neuf mois pour que le rejet lui soit notifié.
Partie de chez elle en 2017 après avoir été excisée et mariée de force, elle arrive en France parce qu'elle a été "dublinée" – la procédure de Dublin permet de renvoyer la personne migrante dans le premier pays européen qu'elle a traversé. Dénoncée par les associations, elle a pour conséquence de prolonger encore plus les parcours de migration et de ne pas permettre le choix du pays d'accueil.
Sa demande d'asile ayant été rejetée, Esther a déposé un recours gracieux dans l'optique d'obtenir un réexamen de son dossier. En attendant, elle en veut à l'OFPRA qu'elle accuse de ne pas avoir entendu ses souffrances et de douter, encore, de son lesbianisme. Depuis 2013 pourtant, les agents de l'OFPRA sont formés aux questions LGBT+. "Les agents de l'OFII comme ceux de l'OFPRA sont formés pour prendre en compte les critères de vulnérabilité dont l'orientation sexuelle", précise Didier Leschi, de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), ajoutant que son organisme a aussi des partenariats avec des structures d'hébergements spécifiques pour accueillir les personnes LGBT+.
Un grave recul pour les personnes LGBT+
Aude Le Moullec-Rieu, présidente de l'Ardhis, estime que ces formations ne sont pas suffisantes. Son association n'a d'ailleurs jamais réussi à en obtenir les documents pour ces formations ni à vraiment savoir de quoi elles étaient faites. "La spécificité des demandes d'asile LGBT, c'est qu'il revient à la personne de prouver qu'elle est bien LGBT+, explique-t-elle. Par essence, cela est impossible. L'acceptation de cette demande va donc découler de l'intime conviction de la personnes qui va faire l'interview".
Avec son association, Aude Le Moullec-Rieu tente aussi d'alerter sur une décision du Conseil d'Etat qui date du 30 mars : "Le Conseil d'état affirme que l'établissement de l'orientation sexuelle ne suffit plus, même dans les pays où les personnes LGBTI sont persécutées". Une régression du droit d'asile qui pénalise fortement les personnes concernées. "Nous constatons que des demandes d'asile pour des personnes LGBT+ d'Algérie, de RDC ou du Sénégal sont rejetées car la cour estime qu'il n'y a pas de craintes personnelles de persécutions. Et cela, alors même que ces pays sont très homophobes. Avec cette jurisprudence, ces rejets vont se multiplier. Nous assistons au plus grave recul pour le droit d'asile des personnes LGBT+ depuis plusieurs années."
Rama, elle, voudrait que l'on arrête de douter qu'elle est bien lesbienne. "Qu'est ce que l'OFPRA veut qu'on leur prouve ? lance-t-elle. Qu'on est vraiment lesbienne ? Qu'on a beaucoup souffert ? S'ils veulent une vidéo porno de moi avec une femme, qu'ils le disent et je le fais ! Mais je n'en peux plus, il faut que ça s'arrête."