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témoignages"Là-bas, j’étais cassé" : réfugiés gays, ils nous racontent leur nouvelle vie en France

Par Pierre Cochez le 12/12/2023
Pride 2023 de Paris

En danger dans leur pays qui réprime l'homosexualité, ils ont obtenu l’asile en France. Deux ou trois ans après leur arrivée, Mourad, Félix, Nyuwa et Omar nous racontent comment ils vivent aujourd’hui.

Ils ont connu les brimades, la violence, parfois la prison, la peur toujours. Parce qu’ils étaient gays. Du Burkina Faso, de Tchétchénie, du Bangladesh ou du Sénégal, il ont décidé de fuir le pays qui les maltraitait pour vivre leur vraie vie en France. Les risques qu’ils encourent en cas de retour là-bas ont été reconnus comme véritables par l’administration française. En vertu de la Convention de Genève dont la France est signataire, ces migrants ont obtenu le statut de réfugié. C’est le début d’une nouvelle histoire, qu'ils nous racontent, en n’oubliant pas d’où ils viennent.

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Un jour de 2018 à Grozny, capitale de la Tchétchénie en Russie, Mourad a compris qu’il devait partir pour "sauver sa vie". La police tchétchène a alors commencé une chasse aux gays"Ils faisaient le nettoyage dans le milieu des artistes. Ils agissaient sur dénonciation, en épluchant les contacts des téléphones portables, les sites visités… Quand on a commencé à raconter cette purge dans les pays européens, la police tchétchène a décidé de ne plus libérer les gays mais de les tuer. Je sentais que l’étau se resserrait et qu’il fallait partir." De toute façon, à 18 ans, Mourad a compris que sa sexualité ne changerait pas : "Soit je vivais comme on me le demandait, soit je devais partir".

Assos et milieu gays

Mourad a aujourd'hui 29 ans. Il a dû quitter son métier d’enseignant à l’université de Grozny et ses étudiants, à regret : "Ça me manque cette impression d’être important dans la société". Il a aussi laissé sa famille derrière lui. D'abord, il a demandé l’asile en Allemagne. Lors de l’entretien administratif, il y est assisté pour la traduction "par un interprète avec une longue barbe de taliban". Un agent tchétchène ? Pour ne pas mettre en danger sa famille restée à Grozny, il élude son homosexualité dans son récit. L’asile lui est refusé, Mourad part alors en France. L’interprète, cette fois, est une femme russophone : il raconte ce qu’il a vécu à Grozny et obtient l’asile. 

Arrivé à Paris, Mourad prend la direction du Melting Point, la permanence dominicale pour les gays étrangers qui se tient au centre LGBTQI+ de la rue Beaubourg. Avec pas moins de 450 dossiers traités cette année, le centre, comme l’association Ardhis, spécialisée dans l’accueil des personnes LGBTQI+ étrangères, le constate : ils sont "sous l’eau" devant l'afflux des demandes d’asile pour homosexualité. Mourad reconnaît qu’il a eu la chance "de tomber sur des gens formidables qui (l')ont aidé". Mais, il est réticent à parler de "communauté LGBT+", tant celle-ci lui semble regrouper des réalités différentes. "Ça prend le temps pour oser, pour prononcer que je suis homosexuel", reconnaît-il, lui qui est arrivé en France "presque vierge". Il se souvient de son premier bar gay, au Rosa Bonheur dans le parc des Buttes Chaumont : "Dans la queue pour entrer, deux garçons s’embrassaient. J’ai eu comme une décharge électrique. J’arrivais d’une société où on ne parlait pas des gays, j’ai pris peur et j’ai refusé d'entrer dans le bar". Depuis, Mourad a fait son chemin, et même installé les applications de rencontre : "Ça a été une surprise de voir à quel point c’était facile d’avoir un rapport sexuel. Même si recevoir la photo d’un sexe au lieu d’un bonjour, ça fait toujours bizarre !"

"Obtenir l’asile est une récompense mais ce n’est pas le bout de l’effort."

Félix a aussi commencé à s'approprier les codes de la communauté gay parisienne, et remarque : "Si tu t’attaches, tu es vu comme un looser. Celui qui te paie un verre dans un bar, il s’attend à ce que tu rentres avec lui". Ce Burkinabé de 40 ans a obtenu l’asile il y a deux ans. Il vit en sous-location à Cormeilles-en-Parisis, dans le Val-d'Oise, et travaille comme facteur intérimaire dans la banlieue sud de Paris. "Obtenir l’asile est une récompense mais ce n’est pas le bout de l’effort. D’accord, on n’a plus peur des contrôles de police, mais ce n’est pas pour ça que tu peux vivre ta vie d’homo comme tu la vois dans les films", signale-t-il. Dans sa banlieue, estime-t-il, il a intérêt à faire profil bas sur son homosexualité : "Je rencontre des hommes via les applications. Ce sont comme des relations secrètes et c’est ce que je vivais au Burkina Faso !"

Au pays, ce qu'il appelle sa "petite vie", jusqu’à 35 ans, c’était un baccalauréat, un bref mariage forcé avec une cousine, un fils, un boulot de vendeur dans une boutique d’objets d’art pour touristes, des liaisons avec quelques Européens de passage, puis avec un Béninois installé pour son métier à Ouagadougou. Jusqu’au jour, où sa vie secrète a été découverte par son beau-frère qui a alerté voisins, famille et police. Résultat, il a dû prendre la route pour le Maroc, l’Espagne, jusqu’au Melting Point à Paris. "Ils m’ont aidé à connaître mes droits, m’ont accompagné dans le processus, qui n’est pas simple." Quant à se trouver un copain ici, Félix prend son mal en patience : "Les sentiments, ce ne sont pas des choses que tu peux forcer. Mais, on m’empêchera pas de penser qu’un mec qui te donne des nouvelles au bout de six mois de silence, comme si c’était normal, ça n’a pas de sens !"

Coming out et vie amoureuse

Nyuwa est originaire du Bangladesh. Il fait partie d’une minorité bouddhiste souvent discriminée dans ce pays musulman : "À Dacca, la capitale, on nous traite de 'Chinois'". Il vit son homosexualité caché, dans un pays qui la criminalise toujours : "Si tu te comportes comme une femme, tu es une 'half lady', une 'moitié femme'. J’ai grandi avec ce mot." Ces critères de discrimination lui ont permis d’obtenir l’asile et la liberté. Même si ça n’a pas été simple au début. En 2020, il s’inscrit dans une école de danse pour parfaire sa technique apprise au Bangladesh. Le covid l’oblige à rester chez lui. Quand tout se débloque, papiers et covid, il décide de suivre une formation à l’Inalco et obtient un diplôme en médiation qui lui permet de travailler avec des ONG. Côté amis, Nyuwa s’en fait de "de toutes les couleurs", au centre LGBTQI+ et dans une association gay de badminton à Paris. Pour les rencontres, résume-t-il, "j’avais une vision de conte de fées avec prince charmant, mais j’ai compris que dans le milieu, c’était plutôt pour le fun". Il a quand même eu pendant deux ans un petit ami français, de confession musulmane : "Sa famille n’était pas au courant de sa sexualité et il voulait des enfants". Rideau, donc. Ce qui change pour lui en France, "c’est la liberté. Avec une réserve : j’ai toujours peur de me faire agresser si je sors maquillé et habillé comme je veux".

"Une communauté gay organisée qui peut se révéler un havre en cas de problèmes."

Venu en France pour ses études supérieures, Juary est resté "bloqué" pendant six ans avant de faire son coming out. Une fois sa situation régularisée, cet architecte cap-verdien de 29 ans vient de s’engager comme bénévole à l'Ardhis, pour épauler des queers étrangers dans leurs démarches : "En France, ils peuvent bénéficier d’un cadre législatif qui protège leurs droits. Ils ont aussi la possibilité d’être soutenu par une communauté gay organisée qui peut se révéler un havre en cas de problèmes". C’est tout ce que n’a pas connu Omar quand il était au Sénégal. Il fêtait en tête à tête l’anniversaire surprise de son copain quand ils sont découverts par le propriétaire du logement prêté pour la soirée. Scandale dans le quartier, jets de pierre, bastonnade, commissariat de police. Son copain est mort deux semaines plus tard à l’hôpital. Omar a fait un mois de prison. Ensuite, il est exfiltré par sa mère et son oncle vers le Mali, puis il entreprend la route jusqu’en France. Arrivé à Paris, il dort une semaine dans la rue : "Certains jours, je mangeais une baguette et c’était tout". Un Guinéen rencontré à la Gare de Lyon l’héberge un mois. Il ne lui dit pas qu’il est gay. Il finit par rencontrer un Sénégalais gay, plus âgé, qui ne peut pas le loger mais lui donne 50 euros et l’adresse du Melting Point. Aujourd’hui, il a obtenu l’asile et suit une formation de deux ans pour devenir pâtissier. "Ici, en France, je peux faire ma vie tranquillement. Là-bas, j’étais cassé." Au Melting Point, Omar a trouvé un copain, Guinéen, également en formation de pâtissier. S'il fréquente les boîtes gays, il évite certains quartiers comme Château-Rouge : "Je continue d'avoir peur dans les endroits où il y a beaucoup d’Africains, ils ont des regards bizarres sur moi". Ce qu’il attend maintenant, c’est la visite dans quelques mois de sa mère, accompagnée de sa petite sœur de 10 ans. Cela fait trois ans qu’ils ne se sont pas vus.

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Crédit photo : illustration, Pride 2023 de Paris, Henrique Campos / Hans Lucas via AFP