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télévision"Le drag est un art que tu emmènes où tu veux" : rencontre avec Leona Winter, la queen française à l'assaut de l'univers

Par Florian Ques le 01/03/2022
Leona Winter, drag queen française

À l'âge de 26 ans, Leona Winter peut se targuer d'avoir fait rayonner les couleurs de la France jusque de l'autre côté de l'Atlantique. Elle s'apprête à tout donner dans le nouveau show de RuPaul, Queen of the Universe. Portrait.

Avec ses envolées lyriques aussi impeccablement maîtrisées que son maquillage, Leona Winter s'est imposée comme l'une des ambassadrices du drag français à l'international. Une ascension graduelle depuis 2018, année où elle fait ses débuts... à la télévision chilienne. Aujourd'hui elle figure au casting de la première saison de Queen of the Universe, un nouveau télé-crochet produit par World of Wonder – la boîte derrière la franchise RuPaul – où des queens venues du monde entier donnent de la voix dans l'espoir de l'emporter. Comme un The Voice croisé avec Drag Race, à découvrir dès le mardi 7 mars à 22h30 sur MTV en France.

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Leona Winter, une queen venue du sud

Rien n'aurait prédestiné le jeune Rémy Solé – son nom à la ville – à une telle carrière. Sans doute pas son enfance passée à Arles-sur-Tech, une petite commune située à deux pas de Céret dans les Pyrénées-Orientales. Il est élevé en majeure partie par ses grands-parents. "Mes parents travaillaient beaucoup pour nous offrir une vie convenable car je ne suis pas issu d'une famille très riche", confie-t-il à TÊTU. Même s'il évoque de "très belles amitiés", Rémy ne fait pas de langue de bois quant au harcèlement scolaire qu'il a subi : "C'était quasiment toutes les semaines. On me frappait dans les toilettes, on m'insultait, on me bousculait... C'était constant mais je pense que c'est aussi ce qui a fait aujourd'hui ma force et ma personnalité."

"Le drag est un art que tu emmènes où tu veux" : rencontre avec Leona Winter, la queen française à l'assaut de l'univers
Les candidates de Queen of the Universe (crédit photo : World of Wonder / MTV)

À l'aube de l'adolescence, le jeune homme questionne sa sexualité mais également son identité de genre. "Je me suis demandé si le fait d'être androgyne ne cachait pas chez moi le fait que je sois né femme dans un corps d'homme, développe-t-il. Ça m'a mené à une petite période de dépression alors que je me cherchais." Il mentionne une lourde perte de poids, liée à son anorexie. Mais alors qu'il accepte son homosexualité, ses jours deviennent meilleurs. Le drag débarque ensuite un peu par hasard, opportunité rêvée pour laisser libre cours à sa féminité.

Après avoir pris goût au chant, à la danse et au théâtre dans sa ville natale, Rémy poursuit ses études en Espagne et commence à se produire sur scène dans des cabarets. "J'ai commencé le drag au détour d'une soirée où on mettait les femmes en hommes et les hommes en femmes, se rappelle-t-il. Ça me permettait de faire ressortir la féminité naturelle que j'avais chez moi, d'être à l'aise dans mes gestes, d'être davantage en accord avec moi-même." Il développe alors son alter ego : Leona Winter, en hommage à Leona Lewis, dont on se souvient du tube "Bleeding Love".

Drag Race, The Voice, Les Anges…

Là où certaines drag queens prennent plaisir à concevoir un personnage sassy et exubérant aux antipodes de leur caractère au quotidien, Rémy opte pour la simplicité. Leona est construite à son image : "Mon but était et est toujours de rester naturelle, accessible, sincère... De rester moi-même avec les codes du féminin pour mieux m'exprimer." C'est peut-être cette fraîcheur qui lui permet d'être repérée pour le casting de The Switch Drag Race, une déclinaison chilienne de Drag Race avec un tas d'épreuves inédites. "Au début, je me répétais que je n'avais pas le niveau pour me confronter à des artistes internationales", avoue-t-elle. Et pourtant, elle crée la surprise en décrochant la première place du concours, notamment face à l'impertinente Gia Gunn.

Forte de cette apparition télévisée couronnée de succès à l'étranger, Leona Winter est fin prête pour un prime-time français. C'est ainsi qu'elle auditionne en 2019 pour la huitième saison de The Voice, atterrissant dans l'équipe de Jenifer et se hissant tout de même jusqu'aux demi-finales. C'est alors la toute première fois qu'une drag queen foule le plateau de l'émission de TF1 : "J'en avais conscience et je savais que ça allait être important pour la représentation. Mais en même temps, je voulais vivre cette aventure comme quelque chose qui ne soit pas porte-drapeau."

L'année suivante, changement de chaîne... et de tonalité. Leona Winter arrive sur les ondes de NRJ12 avec Les Anges de la télé-réalité. Malgré l'étiquette trash de l'émission, elle n'en garde qu'un "souvenir très positif". Car elle a intégré le programme avec un objectif précis : produire le single pop qu'elle désirait tant et se détacher de son image trop "cabaret". "Je voulais aussi montrer aux gens qu'être Leona, c'était du boulot, ajoute la drag queen. Montrer qu'il y a une personne derrière Leona. Mais dans l'ensemble, j'étais très loin du candidat de télé-réalité typique. J'ai vécu cette aventure comme une colonie de vacances."

Queen of the Universe, "comme un Eurovision"

D'abord au Chili, puis en France, les émissions de télé auxquelles participe Leona s'enchaînent mais ne ressemblent pas. À cette liste vient aujourd'hui s'ajouter Queen of the Universe. C'est l'occasion parfaite pour valoriser autant le perfectionnement de son drag que ses prouesses vocales. Le tout, en prime, devant son idole de toujours : Leona Lewis, qui trône au sein du jury. "C'était un peu comme un Eurovision, j'avais vraiment l'impression de devoir représenter la France, confie-t-elle. J'avais peur des crêpages de chignons comme dans un Drag Race mais c'était à mille lieues de ça. C'était très bienveillant dans l'ensemble, même s'il fallait tout donner."

"Ça fait des années qu'un tel programme aurait dû exister en France."

Leona Winter est aux anges de voir la représentation des drag queens grimper en flèche à la télévision. "Les pays étrangers pensent qu'on voit des drags partout en France, commente-t-il avec une certaine pointe d'ironie. Pour eux, c'est ultra ouvert alors que c'est tout le contraire. On doit se battre pour exister." Elle évoque d'ailleurs avoir démarché avec son mari plusieurs boîtes de production afin de lancer une émission de drag. "Autant les boîtes de prod' étaient motivées, autant les chaînes de télé ne l'étaient pas du tout, explique-t-elle. Alors que ça fait des années qu'un tel programme aurait dû exister en France."

Ce sera prochainement chose faite avec Drag Race France, nouvelle version bleu-blanc-rouge de la franchise tentaculaire de RuPaul. Leona Winter s'en réjouit, non sans nourrir quelques attentes : "Il y a quelque chose que je trouve dommage aujourd'hui : la nouvelle scène drag ne s'identifie pas à la scène traditionnelle transformiste française inversement. J'espère que cette émission pourra faire le pont entre ces deux cultures et montrer que le drag est un art que tu emmènes où tu veux, comme tu veux, avec les armes que tu as." Une fusion entre tradition et modernité qu'elle met actuellement en lumière dans Folle Illusion, un spectacle flamboyant à La Nouvelle Ève à Paris. Car Leona Winter n'a pas fini de démocratiser le drag. En France mais aussi bien au-delà.

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Crédit photo : World of Wonder / MTV