[Interview] La députée Lamia El Aaraje, sortante de la 15e circonscription de Paris, ne décolère pas depuis que la Nupes lui oppose la candidature de l'Insoumise Danielle Simonnet. Elle estime devoir représenter l'Union de la gauche aux législatives.
Elle n'entend pas laisser son siège de députée. Dans la 15e circonscription de Paris, Lamia El Aaraje a annoncé ce mercredi 11 mai maintenir sa candidature en dépit de l'investiture par la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (Nupes) de l'Insoumise Danielle Simonnet. Depuis le départ de George Pau-Langevin qui a permis son élection dans une partielle en 2020, Lamia El Aaraje a notamment imprimé sa marque à l'Assemblée sur les dossiers LGBTQI+. Cette force tranquille a notamment déposé des amendements pour que la loi interdisant les "thérapies de conversion" inclue l'interdiction des mutilations génitales des enfants intersexes. Elle nous explique pourquoi elle estime être la candidate naturelle de l'union de la gauche rassemblée derrière Jean-Luc Mélenchon. Entretien.
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Alors que la Nupes a présenté une candidate dans votre circonscription, pourquoi avez-vous décidé de vous maintenir à l'élection législative ?
Lamia El Aaraje : Il y a moins d'un an, une élection législative partielle a eu lieu où les électeurs se sont déplacés pour exprimer quelle députée ils souhaitaient pour les représenter. En l'occurence, j'ai gagné cette élection avec 14 points d'avance sur Danielle Simonnet. Considérer aujourd'hui que cette élection n'a pas existé est une malhonnêteté intellectuelle. Par ailleurs, j'ai le sentiment d'avoir travaillé d'arrache-pied sur tout un ensemble de sujets, notamment LGBTQI+, et d'avoir parlé d'une voix forte à l'Assemblée nationale. J'ai travaillé au service des habitants de ma circonscription pour reconstruire un lien démocratique qui s'étiole de plus en plus. Aujourd'hui, la Nupes me dit que ce travail a été vain en raison d'une tambouille entre amis.
Quelle gauche entendez-vous incarner ?
J'estime représenter une nouvelle génération politique. Je suis socialiste et je le resterai, je n'ai pas honte de le clamer. Ce n'est pas le choix de certains de mes camarades qui ont rejoint la France insoumise ou La République en marche. Je suis restée loyale au parti de Léon Blum et de Jean Jaurès, dont je suis porte-parole. Je suis arrivée en France à l'âge de 17 ans, j'ai pu faire mes études parce que j'étais boursière avec moins de 460 euros par mois. J'ai travaillé, ce qui ne m'a pas empêchée d'avoir un doctorat en pharmacie et un diplôme de droit de la santé.
Danielle Simonnet n'est pas légitime ?
Danielle Simonnet a été candidate en 2012 dans la 6e circonscription de Paris. Elle a été battue. Elle s'est représentée en 2017, elle a été de nouveau battue. Par opportunité électorale, elle s'est déplacée en 2020 dans la 15e circonscription. Elle a encore été battue. Aujourd'hui, le message qu'envoie la France insoumise, c'est que Danielle, qui a perdu sur deux circonscriptions différentes en 2012, 2017 et 2020, est choisie plutôt que moi qui ai gagné dans cette circonscription où je vis et où j'élève mes enfants.
"Le préalable de l'accord, c'était que les députés sortants étaient systématiquement reconduits."
Lamia El Aaraje
Sur votre affiche de campagne, on voit le logo du PS. Mais Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste, a indiqué que les candidats qui ne s'effacent pas devant la Nupes seront exclus. Qu'en est-il ?
Je suis la candidate légitime de l'Union de la gauche. Le préalable de l'accord, c'est que les députés sortants étaient systématiquement reconduits. Je suis la seule députée sortante à ne pas être réinvestie dans le cadre de cet accord [à l'exception désormais de Jérôme Lambert en Charente dont le PS a renoncé à l'investiture, ndlr]. Cela fait de moi la candidate légitime de la gauche contre une manipulation d'un petit jeu d'appareil : Sophia Chikirou, qui était investie dans la sixième circonscription, empêchait Danielle Simonnet d'y être candidate. Le Parti socialiste m'a soutenue le 5 mai lors d'un vote où une résolution a été présentée demandant à rouvrir des négociations avec la France insoumise.
Comment avez-vous réagi quand vous avez vu que Jérôme Lambert, qui a voté contre le mariage pour tous et l'ouverture de la PMA, était investi par votre camp politique ?
Je trouve honteux qu'un type, député depuis 1986, soit mon année de naissance, et qui a porté des propos scandaleux, abjects, en incohérence avec nos valeurs, nos fondamentaux, soit investi au nom du Parti socialiste. Quel est le sens de tout cela ? La reconstruction de la gauche implique beaucoup de clarté sur ce que l'on veut porter. On ne peut pas fléchir sur les questions internationales, le respect des droits humains, le soutien aux peuples opprimés, la question de la livraison d'armes à l'Ukraine, le renouvellement générationnel, la République, la laïcité...
"Sur la question de l'interdiction des mutilations des enfants intersexes, nous ne sommes pas allés assez loin."
Lamia El Aaraje
Continueriez-vous à porter des sujets LGBTQI+ si vous étiez députée durant la prochaine législature ?
On a commencé un travail sur les "thérapies de conversion". J'ai en bouche un goût un peu amer car je pense que sur la question des mutilations des enfants intersexes, nous ne sommes pas allés assez loin. Un deuxième sujet extrêmement important concerne la PMA pour les couples de femmes, qui doivent réaliser une reconnaissance anticipée de l'enfant, ce qu'on ne demande pas aux couples hétéros. Je ne vois pas pourquoi on devrait faire une différence entre un couple homo ou un couple hétéro. Enfin, il y a un sujet qui est moins législatif que règlementaire, mais il y a une forme d'hypocrisie dans la possibilité donnée aux couples non-hétéros d'accéder à l'adoption. Il serait opportun d'avoir une commission d'enquête parlementaire sur le sujet, de façon à comprendre pourquoi le dispositif ne fonctionne pas.
Comment les sujets LGBTQI+ sont-ils devenus les vôtres alors que vous n'êtes, a priori, pas directement concernée ?
Mon fil conducteur depuis toujours, c'est la lutte pour l'égalité réelle et contre les injustices. Le rôle du progrès social, c'est de réfléchir à comment on permet aux individus de dépasser les assignations sociales, territoriales, de genre, d'orientation sexuelle, de couleur de peau, de religion prétendue... J'ai été très marquée par le débat sur le mariage pour tous. Cela m'a politiquement choquée et humainement affectée par les paroles inacceptables qui ont été prononcées. Je ne pensais pas qu'en France, on était capables d'être aussi réactionnaires.
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Crédit photo : Lamia El Aaraje / Mathieu Delmestre