TRIBUNE - La députée socialiste Lamia El Aaraje regrette, dans une tribune à TÊTU, que l'interdiction des mutilations des enfants intersexes n'ait pas été intégrée dans la loi visant à interdire les "thérapies de conversion".
La République porte en elle une promesse : liberté, égalité, fraternité. Cette promesse est celle qui devrait permettre à chaque enfant de trouver sa place au sein de notre société et ce, quelles que soient ses conditions de départ dans la vie. Or, force est de constater qu’à de nombreux égards, cette promesse est loin d’être tenue et que la République inclusive reste, encore, un combat à mener.
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Début octobre, nous avons examiné à l’Assemblée nationale la proposition de loi relative à l’interdiction des thérapies de conversion portée par la députée LREM Laurence Vanceunebrock. Enfin votée, cette interdiction vient clarifier le positionnement de notre pays sur des pratiques barbares, des actes de torture, de traitements inhumains cherchant à modifier ou sanctionner une identité de genre ou une orientation sexuelle.
De prétendus exorcismes plus ou moins violents en pratiques présentées comme psycho-thérapeutiques, voire en traitements médicamenteux doublés d’électrochocs, ce que nous désignons sous l’expression courante, mais singulièrement trompeuse, de « thérapies de conversion » recouvre une réalité protéiforme.
Il était temps
Nous avons collectivement voulu croire que cela n’existait pas « chez nous », et renvoyer ces pratiques ubuesques à un ailleurs lointain. Mais les victimes ont su briser le silence, prendre la parole et nous rappeler que ces maltraitances exploitent un filon qui se porte hélas toujours trop bien, celui de la stigmatisation, de la haine au prétexte de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre, des caractéristiques sexuées des personnes.
Il était temps d’affirmer haut et fort que, dans notre République, nul ne peut s’arroger le droit de décréter qu’une personne serait « à guérir » au motif de son orientation sexuelle ou de son identité de genre et de prétendre l’accompagner en ce sens. Ces maltraitances ne font que nourrir une vision inégalitaire et indigne, qui promeut la haine des personnes LGBTI+ et s’attaque aux plus fragiles, en particulier les enfants et les jeunes en questionnement, dans ce qu’ils ont de plus intime. Ces pratiques n’ont pas leur place dans notre République, et nous nous devions d’y mettre, enfin, un terme.
Cette avancée met fin au balancier chronophage du gouvernement sur ce sujet : tantôt il s’agissait d’une urgence, tantôt il n’y avait pas lieu de légiférer, selon l’intérêt politique de court terme qu’il s’était défini.
Des mutilations de personnes intersexes éludées du texte
Pour autant, il y a lieu de regretter des imprécisions ou manquements dans ce texte qui peuvent, à terme, constituer un danger pour les personnes concernées. Au vu des interventions, notamment sur les bancs les plus conservateurs de l’Assemblée nationale, il aurait été opportun d’indiquer explicitement que les accompagnements affirmatifs de la transition ne sont pas visés dans ce texte ; tout comme il nous semblait important de renforcer la protection des mineurs en questionnement ou en transition. La protection de l’enfance doit être en mesure d’accompagner chaque enfant pour qu’il ait le droit d’être ce qu’il est, qui il veut ou peut être, et comme il veut l’être.
En la matière, la question des mutilations des personnes intersexes a été, une nouvelle fois, éludée d’un texte qui aurait pu permettre de progresser en la matière. C’est une autre occasion manquée d’interdire, enfin clairement, ces pratiques. Les réponses du gouvernement et des députés LREM sur ce sujet renvoient soit à une inadéquation avec l’objet de la proposition de loi portée par Laurence Vanceunebrock, soit à la prise en compte adéquate, selon eux, de cette problématique dans la loi de bioéthique de 2020.
4.678 opérations potentiellement illégales
Or il n’en est rien. La loi de bioéthique a permis que les traitements médicaux des enfants intersexes soient effectués par des centres spécialisés, via une équipe collégiale et avec une meilleure information des parents. Mais elle n’interdit en aucun cas les mutilations de façon explicite. Et nous le regrettons.
Chaque année, 1,7% des enfants naissent intersexes. 96% d’entre eux reçoivent un traitement hormonal, 38% subissent une réduction du clitoris jugé « trop long », 33% des opérations vaginales et 13% une « correction » des voies urinaires. En 2017, selon le SNIIRAM, le fichier de l’Assurance maladie, cela représente 4.678 opérations potentiellement illégales sur des enfants de moins de 13 ans, dont 87,4% sur des enfants de 4 ans. Si le Code civil porte une interdiction de principe des mutilations, il est impossible, aujourd’hui, d’en mesurer la portée exacte en France faute d’étude claire ou de rapport poussé.
C’est inacceptable.
Il s’agit là d’une volonté politique : aucun nourrisson, aucun enfant ne devrait avoir à subir de traitement irréversible ou d’acte chirurgical visant à modifier ses caractéristiques sexuelles tant qu’il n’est pas en mesure d’y consentir après avoir reçu des informations adaptées et dédiées à sa situation. Il s’agit là de l’exacte transposition des dispositions relatives au consentement éclairé du patient de la loi Kouchner de 2002.
Aucun enfant ne devrait avoir à subir de traitement irréversible
J’ai porté, au nom du groupe Socialistes et apparentés, des amendements visant à interdire les mutilations intersexes et à bénéficier de rapports et études sur ce sujet de façon à mieux l’appréhender en France. Ces amendements ont été rejetés. Preuve s’il en fallait que le chemin de l’égalité est encore long.
Nous devons nous doter d’une stratégie ambitieuse en matière d’égalité des droits et de lutte contre les discriminations. Il nous semble important de veiller en particulier à ce que les professionnels intervenant dans les écoles, ainsi que ceux accompagnant les sportifs, les jeunes de l’Aide Sociale à l’Enfance ainsi que tous les professionnels de santé, soient sensibilisés à ces questions et conscients de leur rôle.
Notre responsabilité, aujourd’hui, est de veiller au respect des personnes, et en particulier des enfants et des jeunes, trans et intersexes, et notamment dans l’accompagnement respectueux de leur autonomie par des professionnels compétents soucieux des droits humains. La pathologisation de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre perpétue la violence des discriminations, et expose les personnes LGBTI+. Il est temps d’affirmer, haut et fort, qu’il n’y a, vraiment, rien à guérir.
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Crédit photo : Elodie Hervé pour TÊTU