santéShigellose : la communauté gay doit-elle (encore) s'inquiéter d'une nouvelle IST ?

Par Elodie Hervé le 28/06/2022
La shigellose n'est pas à proprement parler une IST

Après la parution de plusieurs articles alarmistes, une partie de la communauté gay s’inquiète de l'émergence d'une "nouvelle IST" : la shigellose. Une bactérie qui n'est ni nouvelle, ni spécifiquement une IST, mais qui pose néanmoins quelques soucis aux scientifiques. Explications.

C’était sympa cette partie de sexe, hier soir. Mais aujourd’hui, ça l’est beaucoup moins… Des crampes lacèrent vos intestins et les allers-retours sur le trône se font de plus en plus fréquents. C’est peut-être la shigellose. Une maladie provoquée par des bactéries nommées Shigella qui sont des clones spécialisés de Escherichia coli, explique l’Institut Pasteur, rapportant que 1.000 personnes déclarent l’avoir contractée chaque année en France, dont une infime partie lors de rapports sexuels.

“On peut considérer la shigellose comme une IST, explique Daniel Gosset, médecin au 190, un centre de santé sexuelle gay parisien. Mais ce n’est pas qu’une IST, c’est une maladie bactérienne qui se transmet d’abord par les eaux et les aliments souillés, et qui touche majoritairement les enfants de 0-9 ans. Les cas chez les adultes sont rares et sporadiques.”

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Maladie diarrhéique, très contagieuse, la shigellose est responsable d’épidémies à travers le monde. Les êtres humains sont le seul réservoir de cette bactérie et la transmission interhumaine est le plus souvent directe. Concrètement, elle s’attrape lorsque des selles contaminées arrivent à la bouche. En France, de petites épidémies sont parfois rapportées dans les écoles, essentiellement à cause de mains mal lavées. Côté sexualité, la shigellose peut évidemment se transmettre lors d'anulingus ou si des objets, des sexes ou des doigts passent de l’anus à la bouche sans avoir été lavés. “Il faut que les germes arrivent dans la bouche, et ces germes-là viennent uniquement des selles”, insiste Daniel Gosset.

La shigellose : une nouvelle IST ?

Dans sa thèse datée de 2019 et intitulée La Shigellose : une nouvelle IST ?, la médecin Chloé Bourguignon rapporte que “les premiers articles soulevant cette problématique [la shigellose en tant qu'infection sexuellement transmissible] datent des années 70, et émanent tous des États-Unis, en particulier des grands centres urbains tels que Seattle, New-York ou encore San Francisco.” En France, quelques cas avaient été identifiés en 2018 à Bordeaux chez des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). “Rien de très grave, souligne Charles Cazanave, professeur et praticien hospitalier au CHU de Bordeaux, au service des maladies infectieuses et tropicales. Nous n’avions eu que très peu d’hospitalisations, moins de 5%, et aucun cas n’était mortel.”

Au maximum, cela peut durer jusqu’à une semaine.

En clair, la shigellose est donc comparable à une tourista ou une gastro. Dans la très grande majorité des cas, les symptômes ne sont pas graves et passent en quelques jours. Pendant cette période, il est recommandé de bien s'hydrater, de manger des aliments qui ralentissent le transit comme le riz et, bien entendu, d’éviter les parties de jambes en l’air. Les médecins interrogé·es par têtu· soulignent qu’il est nécessaire de consulter si la diarrhée est persistante ou que du sang apparaît dans les selles. “En général les symptômes vont durer deux, trois jours, reprend Charles Cazanave. Au maximum, cela peut durer jusqu’à une semaine, mais pas plus.” Si les douleurs semblent insurmontables, il est aussi possible d’aller voir son ou sa généraliste pour une prescription d'antibiotiques.

Pas d'inquiétude à avoir donc, contrairement à ce qu'ont pu laisser penser certains articles de presse : ce n’est pas une nouvelle maladie, et il n’y a pas actuellement de recrudescence particulière en France. Pour s’en prémunir, il suffit de se laver correctement les mains, d’éviter le passage direct des fesses à la bouche notamment lors de sexe en groupe, ou bien sûr d’éviter de pratiquer un anulingus à une personne malade. Il est aussi possible d’utiliser des gants, des préservatifs ou même des digues dentaires pour le sexe oral. 

Inquiétude sur l'antibiorésistance 

Comme souvent, une difficulté réside dans le manque d’information auprès du grand public mais aussi auprès du personnel soignant. Chloé Bourguignon concluait d’ailleurs sa thèse en appelant à la mise en place d’une campagne de communication ciblant les médecins généralistes. “Beaucoup de personnes ne font pas le lien entre rapports sexuels et diarrhée, reconnaît Daniel Gosset, et chez les médecins qui n’ont pas été formés à la santé sexuelle, la shigellose n’est probablement pas perçue comme IST. Pour une bonne prise en charge, il faudrait vraiment l’ajouter dans les informations à communiquer lors d’une consultation, au même titre qu’un voyage à l’étranger.” 

Si les médecins se veulent rassurants sur les symptômes et la propagation de la shigellose, une donnée inquiète en revanche une partie des scientifiques sur son cas : l’antibiorésistance. Parmi les cas diagnostiqués, l’Institut Pasteur comptait 100 cas de shigellose avec des souches hautement résistantes en 2021, contre 10 en 2020. Une hausse nette qui fait craindre des difficultés à venir pour la prise en charge des patient·es. 

“À terme, nous redoutons que cette maladie ne soit plus soignable avec des antibiotiques car elle est de plus en plus résistante

“Cela reste une grosse gastro, mais il est vraiment nécessaire de demander à son médecin de faire un antibiogramme avant toute prescription d’antibiotiques pour éviter de prendre des antibiotiques qui ne vont pas être efficaces et qui risquent en plus de créer de nouvelles formes d’antibiorésistance”, signale Sophie Lefèvre, directrice adjointe du Centre national de référence des Escherichia coli, Shigella et Salmonella à l’Institut Pasteur. Un antibiogramme est réalisable dans n’importe quel laboratoire d’analyses médicales et les résultats sont disponibles, en général, en moins de 48h. “C’est une vraie problématique, abonde Charles Cazanave, parce que les antibiotiques qui sont prescrits par défaut pour soigner la shigellose sont aussi ceux que l’on donne pour d’autres IST. De fait, les personnes qui font du sexe en groupe peuvent avoir déjà été en contact avec ce type d’antibiotique et donc développer plus d’antibiorésistances.” 

“À terme, nous redoutons que cette maladie ne soit plus soignable avec des antibiotiques car elle est de plus en plus résistante, poursuit Sophie Lefèvre. On risque d’arriver dans une impasse thérapeutique.” Or, si la shigellose n’est pas dangereuse pour les adultes qui vivent dans des pays où les conditions sanitaires sont correctes (eau courante potable, toilettes, etc.), elle tue environ 200.000 personnes dans le monde par an, dont 65.000 enfants de moins de 5 ans. Des personnes qui vivent dans des régions pauvres, souvent surpeuplées, qui n'ont pas accès aux antibiotiques et qui continuent, faute de mieux, de consommer des aliments souillés ou de l’eau non-potable. 

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