SantéVariole du singe et vaccination : "Il ne serait pas raisonnable d’attendre davantage"

Par Laure Dasinieres le 24/06/2022
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Au jour du 23 juin 2022, 330 cas confirmés de variole du singe, ou monkeypox, ont été rapportés en France. Face à une croissance exponentielle notamment chez les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, des mesures individuelles et collectives sont essentielles. 

[Mise à jour, vendredi 8 juillet : la Haute autorité de santé (HAS) a validé les préconisations du gouvernement, ouvrant la vaccination aux hommes gays et bi multipartenaires, ainsi qu'aux personnes trans multipartenaires et aux travailleur·es du sexe.]

Depuis le premier cas de variole du singe – ou monkeypox – confirmé par Santé Publique France le 19 mai 2022, 330 cas en tout ont été recensés par l’établissement en charge de la veille épidémiologique. Parmi eux, une grande majorité d’hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH) et rapportant des partenaires sexuels multiples. Si le nombre de cas est encore faible, la croissance exponentielle appelle à la vigilance pour se protéger mais aussi éviter que le virus ne se propage au sein de la communauté et en dehors. 

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Commençons par répéter quelque chose d’essentiel. Si le monkeypox a tendance à se répandre au sein de la communauté HSH, ce n’est pas pour autant un "virus gay" et il peut affecter chacun·e, quel que soit votre genre et votre sexualité. D’ailleurs, quelques cas chez des femmes ont été rapportés. Comme le rappelle Sexosafe, "toutes les épidémies commencent quelque part, dans une population plutôt qu’une autre. De grands rassemblements européens, après deux années de Covid, ont favorisé la transmission parmi les hommes gays et bisexuels en raison du nombre de participants et de leur origine de nombreux pays."

Pour la Pride, baisons moins !

Ceci posé afin d’éviter toute stigmatisation qui nuirait à la lutte contre le virus, on ne peut que prendre acte de la réalité épidémiologique et du fait que les HSH multi-partenaires représentent une population à risque. C’est donc à cette population – adepte des partouzes, du chemsex, des saunas – mais aussi aux TDS qu’il faut s’adresser, sans fausse pudeur, en termes de prévention. Il convient également d’adapter les modalités de prévention individuelles et collectives. 

Ce que l’on sait aujourd’hui du monkeypox est qu’il se transmet lors de contacts rapprochés, notamment lors des relations sexuelles, par le contact de la peau ou des muqueuses (bouche, mains, sexe, anus) avec les lésions causées par l’infection, par les gouttelettes (postillons, éternuement…) et la salive ainsi que par le partage de linge (vêtements, draps, serviettes…), d'ustensiles de toilette (brosse à dents, rasoirs…), vaisselle, sextoys, seringues etc. "Nous avons de grosses craintes pour la Pride de Paris", signale à têtu· Nathan Boumendil, militant à Aides dans le 93, qui voit les cas s’envoler autour de lui et notamment lors de ses permanences. 

"Il faut se surveiller soi et son corps et être vigilant au corps de son/ses partenaires."

Le Pr Jean-Michel Molina, médecin en pathologie infectieuse et tropicale dans les hôpitaux parisiens de Saint-Louis et Lariboisière, explique les consignes de prévention aujourd’hui accessibles : "Sur le plan individuel, la limitation de la propagation du virus et la protection individuelle reposent sur la limitation des contacts avec des personnes ayant des lésions cutanées suspectes ainsi qu’avec celles présentant des symptômes caractéristiques de la phase pré-éruptive [fièvre, maux de tête, fatigue, douleurs au niveau de la nuque, gène oculaire, ganglions gonflés, courbatures...] et sur le port d’un masque." Il ajoute qu'il est "recommandé aux personnes présentant des lésions cutanées de les couvrir pour limiter la transmission et de consulter un médecin ou d’appeler le 15 pour être orientées vers une consultation adaptée, et de s'isoler et prévenir leurs contacts". Un isolement qui devra durer au minimum trois semaines à partir de la date du début des symptômes jusqu'à guérison totale des lésions de la peau. 

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Différentes limitations se font jour ici. D’abord, les symptômes non-dermatologiques ne sont pas forcément intenses et ils sont aussi peu caractéristiques (Covid or not Covid ?). Quant aux lésions, elles ne sont parfois visibles (si elles le sont) que sur le sexe et sur l’anus – des personnes contaminées nous rapportent néanmoins qu’elles provoquent des douleurs très désagréables qui auront au moins le mérite de servir d'alerte. "Il faut se surveiller soi et son corps et être vigilant au corps de son/ses partenaires", martèle Nathan Boumendil, invitant également à réduire le nombre de ses partenaires "même si ça fait chier"

Il convient aussi que les cas contacts respectent un isolement au moins jusqu’à l’obtention des résultats du test PCR réalisé durant ou à la suite d'une consultation dédiée. "Après deux ans de Covid et de restrictions, personne n’a envie de s’isoler", constate Marc-Antoine Bartoli, coordinateur prévention d’Act Up Paris. En outre, il ne faut pas oublier ceux dont la situation empêche l’isolement. Sans amortisseur social et économique, les travailleurs du sexe migrants et/ou précaires ne pourront ainsi pas s’isoler. Loin de toute stigmatisation, il est urgent de leur proposer au minimum un toit en cas d’infection afin de permettre l’isolement et éviter une précarisation supplémentaire. 

Vaccin contre la variole et "tracing"

Si le vaccin contre la variole, efficace contre le monkeypox, est proposé en post-exposition selon les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS), la question du "tracing" représente également un frein dans la lutte contre le virus. "Il est parfois difficile aux personnes contaminées de dire où et quand elles l’ont été et de donner leur liste de contacts pour qu’ils puissent être sollicités afin de se faire vacciner. En effet, il peut s’agir de rencontres de personnes dont on ne connaît ni le nom de famille, ni le numéro de téléphone. Ainsi l’identification des cas risque d’être insuffisamment exhaustive et les données de Santé Publique France rapportent qu’une proportion importante de cas ne savent pas qui a pu les contaminer", rapporte le Pr Jean-Michel Molina. À ce sujet, Nathan Boumendil invite à faire preuve de responsabilité en prenant désormais systématiquement les coordonnées de ses partenaires, au cas où l'on serait infecté. 

"Le vaccin contre la variole, efficace contre le monkeypox, est un vaccin de 3e génération, bien toléré et qui est capable d’induire de bonnes réponses immunitaires."  

Face à ces considérations sur les angles morts du "tester/tracer/isoler" et au constat réaliste d’un trop-plein de restrictions après deux ans de pandémie de Covid, les expert·es et le monde associatif réclament une vaccination large des populations à risque. "Il est aujourd’hui important de compléter la stratégie de prévention existante en proposant également de vacciner les personnes à risque contre le monkeypox en pré-exposition", plaide le Pr Jean-Michel Molina, ajoutant : "Le vaccin contre la variole, efficace contre le monkeypox, est un vaccin de 3e génération, c’est un vaccin atténué, non réplicatif [cela signifie qu’il ne contient pas de virus de la variole, ndlr], qui est bien toléré et qui est capable d’induire de bonnes réponses immunitaires contre le virus de la variole."  

Le scientifique fait d'ailleurs part de sa confiance envers la communauté HSH pour se mobiliser : "Aujourd’hui, l’épidémie est encore maîtrisable et la communauté HSH est connue pour sa capacité à se mobiliser pour des actions de santé publique lorsque cela est nécessaire – on l’a vu lors d’une récente épidémie d’hépatite A en Europe, qu'une vaccination très large a permis d’endiguer prestement." C’est désormais aux autorités de décider : aujourd’hui en France, les vaccins contre la variole sont réservés dans des stocks d’État et destinés uniquement aux cas contact – inutile donc pour l'heure de vous rendre chez votre médecin pour demander une injection. 

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Pour notre expert, le temps presse : "Il ne serait pas raisonnable d’attendre davantage : il faudrait que la vaccination contre le monkeypox puisse être rapidement et largement proposée aux personnes à risque. Cela permettrait en effet d’éviter que cette épidémie ne touche des personnes plus fragiles (enfants, sujets immunodéprimés) chez qui les conséquences de l’infection seraient potentiellement beaucoup plus graves." Marc-Antoine Bartoli entérine: "Nous avons urgemment besoin d’une vraie volonté politique pour mettre en place un dispositif de vaccination contre le monkeypox."  

L’urgence est d’autant plus grande que le vaccin contre la variole nécessite une dose de rappel avec un intervalle de 28 jours au minimum entre les deux injections afin d'obtenir une immunité optimale. Le Québec, les États-Unis et l’Allemagne ont déjà ouvert la vaccination pré-exposition aux populations à risque. On espère au plus vite des recommandations française en ce sens. 

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