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billetComment le monkeypox m'a fait réfléchir à ma consommation de sexe

Par David Sant le 16/07/2022
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[Billet] Si l'abstinence est privilégiée par les gays et bi redoutant le plus la variole du singe, des esprits astucieux tentent des alternatives de rencontre. Et voient une opportunité de questionner leur désir. C'est le cas de David, qui nous a fait parvenir ce texte.

C'était presque trop beau. Après deux ans de confinements et de couvre-feux, de peur et de culpabilité, l'été 2022 apportait avec lui la promesse tenace de la liberté retrouvée. Débarrassés du masque obligatoire, on allait enfin voir le sourire de ce garçon poilu aux yeux noirs qui nous avait tapé dans l'œil, aller lui demander du feu pour engager la conversation avant de danser sur le gazon de cet open air dans lequel nos potes plus cools que nous nous ont traînés. On avait même imaginé quitter avec lui le dancefloor pour aller le déshabiller dans son appart mal rangé avec trois jours de vaisselle dans l'évier, l'embrasser fougueusement, maladroitement, contre la porte de la salle de bain, avant de lui faire l'amour avec la passion que l'on met dans les étreintes d'un soir que l'on croit éternelles. 

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Et puis, un nouveau mal a fait son apparition. La variole du singe, autrement appelée monkeypox, anglicisme qui donnerait presque un vernis cool à un virus qui provoque trois semaines de quarantaine avec fièvre, maux de tête, douleurs musculaires et éruption cutanées parfois sévères sur le visage, les mains, les organes génitaux. Un calvaire pour ceux qui l'ont contractée, et un coup de massue dans l'été solaire et sensuel que l'on s'était promis de vivre.

Chercher des alternatives

Alors non, l'été ne sera sans doute pas ce qu'il aurait pu être, et autour de moi, je vois des mecs se faire une raison. Si des esprits étroits persisteront à pointer l'irresponsabilité des homos dans la transmission du monkeypox – alors qu'il faudra encore pour nombre d'entre nous attendre quelques semaines pour avoir sa dose de vaccin –, ce que je vois sur les applis de rencontres semble pourtant montrer que les gays sont bien plus conscients du danger qu'on ne voudrait le croire. Il faut dire qu'après quatre décennies de lutte contre le VIH, la communauté a pris de l'avance sur la population générale, question prévention et santé sexuelle. J’en vois qui cherchent des alternatives, proposer pour les plus téméraires des plans branle et sans contact, debout dans leur appart, en respectant des distances de sécurité – le virus se transmettrait aussi par ces fameuses gouttelettes rendues célèbres par le coronavirus – voire se proposent… de prendre un verre. 

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Peut-être que ça n’a aucun rapport, et que l’augmentation ressentie des gens affichant sur une app de cul leur recherche d'un drink avec un garçon sympa ne tient qu’à la saisonnalité. Peut-être que ce n'est qu'un effet de loupe de la poignée de Parisiens que je croise dans le périmètre limité auquel Grindr me donne accès, et pourtant, j'ai l'impression qu'ils sont de plus en plus nombreux, les hommes qui, pour patienter en attendant ce vaccin qui nous délivrera, se retrouvent dans des cafés pour se rencontrer quand même, et discuter, voir s’ils se font rire ou s’ils s’intéressent, et surtout s’ils se désirent. Une idée qui paraît désuète face au modèle des plans cul à consommer dans l’heure, sans trop se poser la question de savoir si on a envie de l’autre. On a envie de sexe, l’autre aussi, et on anticipe tellement la frustration générée par une pulsion inassouvie que l’on ne veut même pas prendre la peine d’attendre qu’elle se transforme en désir. Parce que dans la majorité des cas, nous serions frustrés et devrions alors trouver quoi dire pour quitter l’appartement, ajoutant à sa propre insatisfaction la culpabilité de l’imposer à l’autre. 

Accomplissement différé de nos désirs

Je dis nous, mais je suis peut-être le seul à avoir un problème avec ma gestion de la frustration. Mais quand je vois le succès de Deliveroo et des applis qui livrent tout, à quasiment n’importe quelle heure, la place prépondérante que se sont taillé Grindr, Tinder et consorts dans nos vies romantiques et sexuelles, la consommation généralisée de drogues ou d’alcool et les millions – milliards ? – d’euros annuels que ramasse l’industrie pharmaceutique avec le Viagra ou le Cialis, je ne peux m’empêcher de penser qu’on est nombreux à ne pas savoir gérer l’accomplissement différé de nos désirs les plus basiques. Il faut avoir sa bouffe dans les vingt minutes sans avoir à couper des légumes, bander comme un taureau sans être excité – et sans même se donner le temps de l’être parce que l’autre attend à quatre pattes sur le tapis du salon –, baiser sans désir parce que notre besoin de récompense est devenu plus fort que tout.

Chaque plan cul, chaque commande de fast fashion livrée en 24h sur internet, chaque séance de sport devient dans nos têtes comme un chèque de l’Euromillion, qu'on reçoit avec petits fours, photographes et champagne au milieu du staff de la Française des jeux qui nous applaudit en nous disant “bravo”. Bravo pour cette journée de plus dans cette société malade qui refuse d’aller chez le médecin. Bravo d’avoir joué à colin-maillard et d’avoir fait semblant de ne pas retirer le bandeau qui te cachait les yeux. Bravo de ne pas avoir dit à l’arbitre que tu avais vu les autres tricher. Tiens, voilà ton shot de dopamine ! Ce systématisme du plaisir immédiat dans nos sexualités me fait parfois douter de ce que je crois être mon désir, et me demander si je ne fais pas que me plier aux désirs que d’autres ont inventés pour moi. Je me sens à la fois comme un enfant à qui l’on accorde de regarder les dessins animés sur l’iPad, et comme un adolescent qui le briserait en mille morceaux pour trouver par lui-même ce qu’il désire vraiment.

Réinventer le sexe

Je ne sais pas ce qui relève de mon rapport au capitalisme, à l’homophobie de la société que j’ai intégrée malgré moi et qui a sans doute laissé des traces, si notre apprentissage de la sexualité par le porno nous a conditionnés ou si des raisons sont à trouver du côté de ma propre éducation, de ma blanchité, de mes privilèges. Je n’ai pas envie de formuler des injonctions à la déconstruction, mais de partager une expérience que je souhaite faire avec moi-même. 

"J’ai envie de donner une chance à mon désir"

Jusqu’à ce que le vaccin soit enfin disponible, j’ai envie d’essayer d’être ce mec qui propose une bière à un garçon qu’il trouve sexy sur Grindr – ou d’être celui qui accepte d’aller la boire. J’ai envie d’être un humain prêt à vivre un moment de malaise, assis face à un inconnu sur une terrasse bondée, en lui posant des questions de merde comme “c’est quoi tes passions ?” pour alimenter une conversation gênée et banale que j’aurais préféré éviter dans n’importe quelle autre circonstance, avec la foi intacte que chacun des hommes que je rencontrerai pourra avoir le même bénéfice que mes joies répétitives. J’ai envie de donner une chance à mon désir, d’essayer de le comprendre, de le sentir cheminer en moi comme un petit train touristique dans un centre-ville bondé, et de ne pas le comparer aux piétons qui avancent plus vite que lui. J’ai envie d’imaginer le corps qui se cache sous les vêtements de cet homme de l’autre côté de la table, et de laisser mon imagination travailler – parce qu’abreuvée d’images, je la sens se tarir. J’ai envie d’un deuxième rendez-vous où nos genoux s’effleurent à travers la toile de nos pantalons, et sentir que ça m’excite autant que de débarquer chez un inconnu pour le sucer entre mon rendez-vous chez le psy et mon assiette de pâtes avalée devant Netflix. Je veux que le premier contact, une fois que l’on pourra enfin se rouler à nouveau des pelles, soit électrique. Que sa main touche ma main, et que ce soit  comme une décharge de dix-mille volts dans mon corps, un réveil à six heures du matin, un sursaut pareil à celui que j’ai ressenti lorsque, jeune étudiant, je me retrouvai enfin dans le lit avec ce camarade de classe que je cherchais depuis longtemps. Connaître encore l’attente, le cœur qui bat à chaque bruit de drap qui se froisse, l’excitation de sentir qu’il se rapproche aussi, une excitation plus forte que la maladresse et la timidité qui se dégagent de nous à ce moment-là. Je veux que tout mon corps vibre au moment où sa main viendra se poser enfin sur ma peau. Je veux savoir si le désir, c’est comme ce qu’on dit de l’héro : si on passe sa vie à rechercher la puissance de la première fois. 

Le plaisir d'une rencontre

Je veux profiter de la défaillance du gouvernement à écouter les alertes des épidémiologistes pour réapprendre à ressentir le chemin que parcourt le désir dans mon corps blasé, pour me convaincre, au fond, que j’ai tort de rechercher des décharges éphémères de bonheur pour lutter contre la vacuité de l’existence. Je veux la preuve que ces petits plaisirs immédiats, devenus au fil du temps la seule béquille à mon mal de vivre, ne sont qu’une boule de PQ dans une narine qui saigne, et que ça ne suffira jamais à stopper vraiment l’hémorragie.  

On m’a demandé, à longueur de slogans creux et de posts Instagram, de développer mon amour de moi, ma fierté, ma différence et parfois, la place que j’accorde à moi-même me paraît être une sentence à la solitude. Alors cet été, je veux croire que la rencontre d’un autre humain peut générer plus de plaisir qu’un rail de coke ou qu’une nouvelle paire de baskets. Ce monkeypox sera pour moi l’occasion, dans ce grand supermarché de la drague, de réhumaniser les personnes que je rencontre, et de donner sa chance à l’autre de n’être que ce qu’il est, sans doute lui aussi à la recherche de satisfaction, d’une béquille, d’une récompense pour tenir le coup face à ce que notre humanité nous impose : une vie, finalement, comme cet été qu’on avait fantasmé; jamais aussi bien que ce qu’on avait prévu.

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