reportageLula vs. Bolsonaro : la communauté LGBTQI+ du Brésil suspendue à la présidentielle

Par Florian Chevallay le 24/10/2022
Le second tour de l'élection présidentielle au Brésil se déroule ce dimanche 30 octobre 2022

Quelque 156 millions d'électeurs sont appelés aux urnes pour le second tour de l'élection présidentielle au Brésil, ce dimanche 30 octobre. La communauté LGBTQI+ vit dans la peur de voir le sortant, Jair Bolsonaro, ouvertement homophobe, rester au pouvoir.

Mise à jour, dimanche 30 octobre : Lula élu avec 50,9% des voix
Au terme du second tour de l'élection présidentielle au Brésil, Luiz Inacio Lula da Silva a obtenu 50,9% des voix contre 49,1% pour le président sortant d'extrême droite Jair Bolsonaro. Un come-back historique pour l'ancien métallo âgé de 77 ans, qui débutera le 1er janvier son troisième mandat, douze ans après avoir quitté le pouvoir.

"J’avais peur d’y aller. Dans le bureau de vote, j’étais très nerveuse, je me sentais observée, je n’ai pas arrêté de transpirer…" Wescla garde un très mauvais souvenir du premier tour de l'élection présidentielle 2022 au Brésil, le 2 octobre. Cheveux blonds décolorés, léger rouge à lèvres et veste kaki, à 24 ans, cette jeune femme trans originaire de Fortaleza, dans le nord du pays, vit aujourd'hui à Rio de Janeiro, la capitale. "Tout au long de la journée, on s’est écrit avec mes amies. Certaines ont subi des insultes jusque dans l’isoloir. Des gens leur disaient voter Bolsonaro pour les dégager ou pour les tuer", témoigne-t-elle, encore plus anxieuse, dans l'attente du second tour qui oppose, ce dimanche 30 octobre, le président sortant d'extrême droite, Jair Bolsonaro, à l'ancien président de gauche Lula, arrivé cinq points en tête au premier tour.

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Si le climat est tendu depuis le début de la campagne présidentielle, pour Wescla la situation a empiré dès l’arrivée au pouvoir du leader d’extrême droite, en janvier 2019. "Je ne connais pas un seul endroit, à Rio ni au Brésil, où les personnes trans peuvent se sentir en totale sécurité. Notre corps provoque de la haine, dans la rue, dans les bus ou dans le métro. Certains quartiers sont pires que d’autres", raconte-t-elle. Elle décrit des regards, des rires ou des insultes… "Parfois, des gens vous filment carrément dans la rue pour se moquer de vous."

Le Brésil dangereux pour les personnes trans

Alors, depuis quelques années, elle s’engage pour aider les jeunes trans issues des favelas de Rio, où elle-même a vécu. "C’est primordial, dit-elle dans un sourire malicieux. Porter une robe, se faire les ongles ou se teindre les cheveux, c’est quelque chose d'essentiel pour moi, pour les personnes trans. Le problème, c’est que mes ami·es qui vivent dans les favelas ne peuvent pas le faire. C’est beaucoup trop dangereux. Iels doivent se cacher et trouver d’autres moyens d’exprimer leur identité."

Et pour cause : le Brésil est le pays qui compte le plus grand nombre de crimes contre les personnes LGBTQI+. Les personnes trans, en majorité des femmes noires ou métisses issues des classes populaires, sont les plus exposées. Le projet Trans murder monitoring a recensé 92 morts l'année dernière, et leur espérance de vie ne dépasse pas 35 ans, soit moitié moins que l’ensemble de la population.

"Le Parlement brésilien est aujourd'hui en grande majorité réactionnaire, anti-démocratique et contre le peuple."

Le 2 octobre, les électeurs brésiliens n’ont pas seulement voté pour élire leur nouveau président, ils ont aussi renouvelé la totalité des membres de la Chambre des députés, un tiers des sièges de sénateurs ainsi que les gouverneurs et assemblées régionales du pays. Le constat est sans appel : l’extrême droite progresse partout. À la chambre des députés, le parti libéral de Jair Bolsonaro a obtenu 99 sièges, soit trois fois plus qu’aux dernières législatives il y a quatre ans. Au Sénat, il en grappille 14 et devient la première formation politique de la Chambre haute.

Pourtant, et c’est tout le paradoxe, le pays a dans le même temps vécu une avancée historique : deux députées transgenres, Érika Hilton et Duda Salabert, ont été élues au Parlement fédéral. En tout, 79 personnes trans étaient candidates dans tout le Brésil, un chiffre en augmentation de 44% par rapport aux élections de 2018, selon l’Antra, l'association nationale des travestis et transgenres du Brésil. Pour sa secrétaire nationale, Bruna Benevides, cette élection est source d’espoir et va permettre de faire évoluer les choses – "Cela va créer un précédent, c’est très important" – mais celle qui est aujourd’hui la seule femme trans dans la Marine brésilienne reste prudente : "Nous n’avons que deux députées trans, dans un contexte très violent. Et même si toutes les deux sont compétentes et parfaitement préparées pour ce poste, le Parlement brésilien est aujourd’hui en grande majorité réactionnaire, anti-démocratique et contre le peuple".

L'homophobie assumée du président Bolsonaro

Et les résultats des élections lui donnent raison. Le président sortant, pourtant arrivé en deuxième position au premier tour (avec 43,2% des voix) derrière Lula (48,4%), a fait mentir les pronostics et réalise un score bien plus important que ce que les instituts de sondages avaient prévu. Un résultat qui attriste les sympathisants de gauche, comme Francisco. "Je suis malheureux de me rendre compte que plus de 50 millions de Brésiliens sont racistes et LGBTphobes", soupire-t-il. Pantalon en toile blanc et t-shirt bleu aux couleurs de l’océan, ce Carioca (nom donné aux habitants de Rio), professeur de littérature et homo, est assis en tailleur le long de la plage d’Ipanema, quartier gay de la ville. Ici, les drapeaux arc-en-ciel s’affichent fièrement, et les couples de même sexe flânent le long de la bande de sable fin investie par les volleyeurs et vendeurs de coco.

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Francisco a le visage qui se durcit quand il évoque certaines sorties médiatiques de Jair Bolsonaro : "Il a dit qu’il ne laisserait pas son fils jouer avec un enfant adopté par un couple homosexuel ou que le Brésil ne devait pas être un pays de pédés." Le président sortant "légitime la violence envers les gays", explique-t-il : "Aujourd’hui, lorsqu'on rentre dans un restaurant avec son copain, on ne sait jamais ce qui peut arriver, si on risque de se faire agresser ou non. On doit toujours rester vigilants".

L’autre inquiétude de Francisco, et de la communauté LGBTQI+, concerne le tribunal suprême fédéral. Plus haute juridiction du pays, ce dernier joue un rôle déterminant dans l’évolution des questions de société au Brésil, comme l’avortement, le port d’arme ou l’adoption par les couples de même sexe. Les juges sont nommés par le président et approuvés par le Sénat. Après la nomination l’an dernier par Jair Bolsonaro d’André Mendonça, un évangéliste très conservateur, deux postes sur 11 seront vacants en 2023, ce qui donne un pouvoir énorme au futur président : "Il pourrait faire basculer la cour encore plus à droite !" En évoquant cette perspective, Francisco nous confie : "J’ai peur que Bolsonaro ne revienne sur le droit au mariage pour tous. Mais on va tout faire pour l’en empêcher. On va gagner dimanche. Lula, lui, saura protéger nos droits." Il habite à Tijuca, quartier du nord de Rio, où il va voter ce dimanche et où Bolsonaro a vécu avant de devenir président.

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Crédit photo : EVARISTO SA/AFP